DINER-DEBAT

avec

Monsieur Claude BOURDIN

Conseiller général et député du Loiret
22 octobre 1993
" Politique culturelle et politique touristique, quel rôle pour chaque acteur, ville, département, canton, région, Etat ? "
 
Claude Bourdin est né le 3 mai 1943 à La Ferté-Saint-Aubin. Il a étudié à l'école normale d'instituteurs puis à la faculté des lettres de l'université de Tours. Il débute dans la vie politique à Beaugency (Loiret) dont il est élu conseiller municipal en 1971. Il est élu conseiller régional de la région Centre-Val de Loire en 1986 puis conseiller général du Loiret. Candidat suppléant dans la première circonscription du Loiret aux élections législatives de 1988, il devient député en 1991, lorsque Jean-Pierre Sueur entre au gouvernement d'Édith Cresson.

Compte-rendu

Le rôle des acteurs

Le dîner-débat s’est tenu dans une des salles magnifiquement voûtées de l’aile Gaston d’Orléans. Il a constitué le point d’orgue de la réflexion et un prolongement intéressant de la mission principale 1990 sur « Les nouvelles entreprises de la culture ». L’absence de Jack Lang, empêché, n’a cependant pas nui à la qualité des échanges. La présence de son attaché parlementaire, Patrick Dugois et de Claude Bourdin, Conseiller Général et Député du Loiret, ont permis d’aborder les différents aspects du sujet et d’apporter des éléments de réponse à des questions souvent complexes.

Le discours introductif de P. Dugois a été suivi par un exposé complet et concrètement illustré de C. Bourdin qui nous a permis de mieux cerner le rôle et les responsabilités de chacun des acteurs. Le débat s’est ensuite amorcé, avec des questions souvent sans complaisance sur la transparence financière de la politique de préservation du patrimoine, les critères de sélection des oeuvres prises en charge par les pouvoirs publics (Etat et/ou collectivités locales), les relations avec les acteurs privés (entreprises et particuliers), le rôle des médias et le défaut de pédagogie manifeste de la politique de préservation du patrimoine historique en France, pour ne citer que quelques uns des thèmes abordés.

Nous savons gré à nos invités d’avoir bien voulu nous répondre, sans recourir à la langue de bois, ce qui eut été une solution de facilité. La qualité des mets servis, la finesse des vins et le charme du lieu y sont aussi peut-être pour quelque chose.

Intervention de Claude Bourdin

C. Bourdin remercie les Club Pangloss et le C.I.E.L. (Communication Internationale Education et Loisirs) de leur invitation. Le thème du dîner lui paraît particulièrement intéressant, s’agissant d’une préoccupation forte pour la région. De plus, il s’agit d’un sujet éminemment d’actualité, le contrat de plan Etat/Région en cours de discussion offrant l’opportunité de clarifier les rôles et missions de chacun. Chaque acteur a en effet un rôle à jouer dans ce domaine et il convient aussi d’évoquer l’impact de l’Europe, en appliquant toutefois le principe de subsidiarité.

La région du Loiret consacre 2,7% de son budget à la culture, ce qui est bien supérieur à la moyenne nationale (1% environ), même si cela reste insuffisant. Les élus font preuve d’intérêt pour la culture, même s’ils ont bien d’autres priorités (sociales, économiques, etc...).

En fait, depuis A. Malraux et l'âge d’or de la culture, il n’y a plus eu de « nouvelle donne » dans ce domaine. D’une part, la décentralisation, malgré les efforts du précédent Ministre de la Culture, maire de cette ville, n’a pas clairement défini les rôles de chaque échelon territorial (région, département, commune), et d’autre part la déconcentration (qui se différencie de la décentralisation par un transfert de compétences, de moyens, mais non du pouvoir décisionnel) n’a pas suffi à donner aux collectivités l’autonomie et l’élan nécessaires à son développement. Par conséquent, celle-ci se retrouve un peu le domaine laissé pour compte de la région, à l’image de ce qu’elle représente au niveau national.

Enfin, il convient de souligner le rôle récent de levier joué par les entreprises, acteurs à part entière dans le domaine culturel. C’est d’ailleurs à un partenariat collectivités publiques/entreprises que l’on s’efforce de parvenir.

Débat et questions

1) Le tourisme de masse est-il le fast food de la culture ou un enjeu économique ? Les tours operators font bien souvent preuve de peu de discernement et vendent n’importe quoi, au nom de la rentabilité économique. Or, la notion de culture est quelque chose de noble, de personnel : ce sont des « épousailles » avec un lieu, une oeuvre, que l’on respecte. Quelle est la valeur culturelle de cette surconsommation de masse ? Ne peut-on améliorer le rapport que les gens ont avec la culture, par l’éducation, par l’information, par la défense d’une action culturelle de qualité ?

R/ Même si le tourisme de masse est en soi critiquable il faut bien reconnaître que la France est l’un des premiers pays en Europe à dégager un excédent commercial grâce au tourisme. Pour permettre un développement noble de la culture, encore faut-il adopter une démarche de type marketing qui consiste à partir des besoins des touristes, avant de recourir à un tourisme intelligent. L’exception culturelle dont on parle tant au GATT est une illustration de cette préoccupation. De plus, c’est le rôle de l’Education Nationale d’inculquer dès le plus jeune âge le goût pour la culture.

2) Quel est le rôle joué ou qui devrait l’être par l’Education Nationale pour l’éveil des enfants à la culture ? Existe-t-il d’autres méthodes d’éducation à la culture ?

R/ Témoignage d’un professeur de lettres classiques : les lycées organisent des classes-patrimoines, lors desquelles les élèves sont transplantés sur des sites artistiques, parfois liés au programme de lettres (ex : récemment, une classe Georges Sand a été organisée et amenée sur des lieux historiques liés à la vie de l’écrivain). Tous les élèves se sont montrés très intéressés et motivés pour apprendre. De plus, la collaboration de la DRAC (Direction Régionale de l’Action Culturelle) a été déterminante. C’est une manière d’apprendre autrement que par les livres, qui s’est révélée particulièrement enrichissante. Il faut croire en la pédagogie : on pourrait ainsi organiser un partenariat culture-milieu éducatif.

Une autre méthode qui paraît primordiale est de mettre en valeur notre patrimoine. Au Canada, par exemple, où le patrimoine n’est pas aussi riche qu’en Europe, celui-ci est particulièrement mis en valeur. Si on sait mettre en avant notre professionnalisme, par la création de nouveaux produits par exemple, on sera d’autant plus crédible.

Enfin, il faut sensibiliser les gens à l’art. L’exemple de l’art moderne est à cet égard éloquent.

3) Culture et patrimoine : gestion publique ou gestion privée (Chambord ou Disneyland) ?

R/ Les collectivités locales ne peuvent pas tout faire ! Les particuliers aussi achètent et restaurent des châteaux. En fait, il n’y a pas opposition entre public et privé, mais bien une complémentarité, par rapport à des objectifs d’intérêt général. Bien souvent, le secteur privé supplée les défaillances du secteur public. Une grande partie du patrimoine est gérée par le secteur privé. Mais le problème est le coût de l’investissement et la durée de l’amortissement, tous deux élevés. L’Etat n’intervient que pour assurer des missions de service public, et ne consacre qu’un pour cent de son budget à la culture.

4) Quels sont les critères de choix, de sélection, d’attribution pour le patrimoine culturel ? De quelle transparence l’Etat ou les collectivités locales font-ils preuve dans ce domaine ?

R/ C’est la qualité des monuments qui constitue généralement le critère principal. Toutefois, il est vrai que les critères de classement sont difficiles à définir. De plus, la notion de patrimoine n’est pas évidente : ainsi, en matière d’ethnologie, qu’est-ce qu’une coutume, une tradition ? Comment les protéger ?

Bien souvent, c’est l’état du monument qui constitue un problème. Il existe au niveau national une Commission, qui décide du classement qui permet de déclencher les subventions. Mais les moyens consacrés ne sont pas suffisants, et on constate aujourd’hui un retard de plusieurs années. En effet, les programmes de restaurations ne concernent pas seulement les monuments, mais aussi les anciens quartiers, les rues, etc...

5) Quelle est la politique de l’Etat et des collectivités locales en matière d'achat d'objets d'art ?

R/ C’est tout le travail du conservateur qu'il faut évoquer ici. Si l'on achète un patrimoine ce n'est pas pour le négliger, comme c'est le cas par exemple dans des pays comme l'Italie ou l'Espagne qui n'ont pas les moyens matériels d'entretenir et mettre en valeur leurs richesses nationales.

Le conservateur applique une logique de collection, c'est-à-dire qu'il a en charge une collection. Mais l'un des grands débats a l'heure actuelle est de permettre des échanges de musée à musée, de collection à collection, sans nuire à leur rareté, à leur cohérence, etc ... Les réserves dans les musées regorgent de richesses que le public ne voit jamais (ex : Le Louvre).

6) Le budget culturel : effet d’éviction du social ? La culture pourrait-elle être un lieu d’investissement créateur d’emplois, malgré la baisse constatée de sa part dans les budgets de fonctionnement ?

R/ C’est un problème lié à la décentralisation. Il aurait en effet fallu confier les compétences culturelles aux régions, seules collectivités à avoir la taille critique suffisante pour investir.

En fait, l’État est tenté de se désengager de la culture pour des raisons financières. Il existe bien d’autres interlocuteurs, dont les entreprises, généralement intéressées par la culture sous la forme de mécénat, mais qui n’investissent que si elles en retirent un bénéfice.

7) Liens entre le Ministère des Affaires Culturelles et celui des Affaires Sociales ?

R/ La question qui se pose en fait est de savoir si la culture est un facteur d’intégration sociale. Les programmes de DSQ (Développement Social des Quartiers) agissent dans ce sens, par exemple en embauchant des artistes ou en favorisant l’expression culturelle des exclus. Il est vrai que l’on ne mesure pas l’impact de mesures telles que la création d’un théâtre ou d’un opéra, généralement peu fréquenté par ce type de population, mais l’on trouve des exemples d’intégration par la culture qui démontrent que de toute façon, c’est une carte à jouer, par exemple dans les établissements scolaires en zones sensibles.

8) Le mécénat des entreprises, alternative au pouvoir des médias en matière de culture ?

Les médias jouent un rôle important dans la diffusion de la culture de masse. Seules les entreprises sont à même de contrebalancer ce pouvoir. Le problème, c’est que généralement le mécénat n’est considéré par celles-ci que comme du sponsoring ou au mieux un investissement de long terme et donc peu rentable.

Il faut en fait, comme on l'a déjà souligné, commencer par l'Ecole. On a trop longtemps considéré la culture comme un investissement mineur, négligé par les établissements scolaires, faute de moyens. Un partenariat entreprises-Ecoles ne serait-il pas une solution enrichissante ?

L’Éducation Nationale ne peut pas apporter toutes les réponses. Il faut aussi amener les enfants à créer la culture de demain.
Sylvie Pittaro (MP 1992)