DINER-DEBAT

avec

Damien COLAS (MP 1990)

Prix de Rome 1993
Mardi 14 Septembre 1993
" A la recherche de ROSSINI ou comment retrouver les rossignols dans les malles de nos grands-mères "
 
Damien Colas est né en 1963. Il suit d'abord une formation de biochimiste à l'Ecole Normale Supérieure avant d'être agrégé de musique et d'enseigner, depuis 1988, l'histoire de la musique à l'université de Paris IV. Il a travaillé avec Marc Honegger, Jean-Michel Vaccaro et Philippe Gosset. Il prépare un doctorat sur l'improvisation dans les opéras de Rossini et a enregistré une histoire de l'opéra italien, diffusée en août sur France-Culture (5 émissions totalisant 7h30 d'écoute). De notoriété internationale (malgré son jeune âge…), Damien Colas est lauréat de la FNEP (Mission 1990 sur les Entreprises de la Culture) et vient d'obtenir le prix de Rome 1993 en musicologie. Rossini, opéra de lumière par Damien Colas (MP90), collection Découvertes/Gallimard

Si vous connaissez Figaro, l'homme à tout faire de la ville de Séville, alors vous connaissez presque Rossini, car les deux personnages se ressemblent étrangement. Fils unique du volcanique "trombetta" Giuseppe Antonio Rossini et de la douce soprano Anna Guidarini (qui n'avait jamais su lire la musique), Giovacchino-Antonia Rossini est né en 1792 à Pesaro, dans un milieu modeste et souvent à cours d'argent...30 ans plus tard, il sera l'ami intime du roi Georges IV d'Angleterre (qui chantait parfaitement faux) et le compositeur officiel de la Restauration des Bourbons, tant à Naples qu'à Paris: pour le couronnement de Charles X (1825) il écrit une cantate "Le voyage à Reims", désopilante, pleine de gags et d'irrévérences qui sera reprise en 1848 pour fêter la Révolution, puis oubliée, retrouvée et restaurée en 1980. Célèbre, ayant fait fortune, il cesse brutalement de composer à 37 ans et passe alors 25 années de sa vie, muré dans un silence absolu, entre Bologne et Florence. L'homme malade, déprimé, est en vie, mais le compositeur est mort…Il ne peut même pas achever le "Stabat Mater" entrepris en 1832. L'histoire de la genèse de ce Stabat Mater est d'ailleurs férocement relatée par Richard Wagner (p. 122).

En 1855, Gioachino et la très belle Olympe Pelissier, ex "modèle" du peintre Horace Vernet, régulièrement épousée, s'installent à Paris. Rossini se porte alors miraculeusement bien : entouré de ses amis, il improvise des recettes de cuisine à base de foie gras et de truffes noires du Périgord, infiniment meilleures que les truffes blanches d'Alba qui ont le goût de l'ail… Aucun compositeur italien n'avait connu une carrière aussi fulgurante…Enfant prodige, Rossini avait reçu à Bologne une solide et sévère éducation musicale sous la férule du Padre Mattei, intraitable sur les fautes d'écriture, ce qui lui permettra de composer très vite. L'année même de ses débuts, en 1812, il compose 6 opéras ! Tous les théâtres s'arrachent ce jeune génie qui répond en composant chef-d'oeuvre sur chef-d'oeuvre…On connaît certes "Il Barbiere di Siviglia" dont la première à Rome en 1816 fut un fiasco légendaire; pourtant la qualité musicale de cette oeuvre, écrite en 15 jours, tient du miracle !

Un an plus tard l'exploit est renouvellé : la "Cenerentola", opera buffa tiré du Conte de Cendrillon, écrit en 24 jours, fut, quant à lui, un des plus grands succès du vivant de Rossini.

Citons encore parmi ses oeuvres "Guillaume Tell", "l'Italiana in Algeri", thème probablement né de la légende de Roxelane, épouse de Solimani le magnifique, et qui avait dejà inspiré beaucoup "d'opéras turcs", dont "l'enlèvement au Sérail" de Mozart en 1782. Et puis encore…"Otello", "Semiramide" etc… sans oublier la musique religieuse (Messa di Gloria, Petite Messe Solennelle, Stabat Mater…) et la musique de chambre pour piano…

La Scala de Milan, la Fenice à Venise, Rome, San Carlo à Naples sont conquises tour à tour. Le "Napoléon de la musique" triomphe (cf. Stendhal)…Après l'Italie, colonisée en 10 ans, Vienne et Londres succombent. A Paris, où l'opéra italien avait été interdit sous l'Ancien Régime, l'enthousiasme touche à l'hystérie collective. Et c'est alors que Rossini devient silencieux : une des plus grandes énigmes de l'histoire de la musique…

Le livre est illustré d'une superbe iconographie et accompagné d'une partie "témoignages documents" particulièrement piquante. "Mes biographies, sans aucune exception, sont pleines d'absurdités et d'inventions qui me donnent la nausée" (Rossini, 1862). Celle-ci fait sans doute exception. Il s'agit là du premier ouvrage écrit par un auteur français tenant compte des dernières découvertes.

Chez Jenny, Paris 3

Compte-rendu

Avec qui avons-nous passé une merveilleuse soirée ce dernier mardi de l'été ? Il est panglossien, il est jeune, beau, brillant (banal, ils sont tous comme cela ! ). Son métier, sa passion, la musique (cela se précise). Son adresse, villa Médicis à Rome (là, pas de doute). Dois-je ajouter que l'élu de son cœur est italien et mondialement célèbre... Et oui, vous avez deviné, il s'agit du lauréat 93 de ce que l'on appelait il y a encore quelques années le Prix de Rome : Damien Colas, par ailleurs lauréat de la Mission FNEP 1990.

C'est en pleine nature, au centre du superbe parc de Saint-Cloud, surplombant dédaigneusement la civilisation du XXème siècle, que nous nous sommes laissés charmer. Alors quoi de neuf sur l'opéra italien ? Savez-vous que l'on retrouve encore aujourd'hui des chefs d'œuvre dans les greniers ? Damien nous conte l'aventure d'une partition : Rossini met en musique une tragédie de Voltaire, Tancrède. Il compose, comme le veut la coutume, une fin heureuse.

L'opéra est joué une vingtaine de fois et, surprenant pour l'époque, donne lieu à une reprise. Rossini décide alors de réaliser une fin tragique, plus conforme à l'œuvre de Voltaire. Nouveauté jugée scandaleuse. la partition disparaît dans un coin. Que se passe-t-il ensuite ?

L'interprète de Tancrède est une femme (et non un castrat). Elle épouse un français mais flirte avec un comte italien. L'oeuvre sera retrouvée 150 ans plus tard dans la famille du comte. Damien Colas nous fait écouter les deux variantes du final. Pour nous, le deuxième n'a rien de scandaleux; il est même superbe, émouvant. La tension de l'auditoire en est le témoin.

Il y a une autre méthode pour faire évoluer l'histoire : retrouver le complément d'une partition, où, me direz-vous ? Dans une bibliothèque tout simplement. Connaissez-vous le "spartito" et le "spartitino" ? Le "spartito" est un document pré-imprimé, conçu pour y inscrire les notes de musique. Mais le nombre de portées étant limité et donc le nombre d'instruments, l'auteur ajoute, en cas de besoin, un complément appelé le "spartitino". Quand ils arrivent tous les deux dans la bibliothèque, étant de taille différente, ils sont séparés. Le nom de l'œuvre n'apparaissant pas sur le spartitino, imaginez la travail de "romain" pour reconstituer les morceaux. Tel est le cas de la fanfare de "la Dona del Lago" (la Dame du Lac) retrouvée il y a 2 ou 3 ans, ou des choeurs du "Voyage à Reims".

Quittons Rossini et parlons de l'opéra italien en général.

Au début du XXème siècle, comment réalise-t-on un opéra ? Un mois avant, la première, commande est passée, le librettiste se met au travail et transmet les feuillets au fur et à mesure au compositeur, qui lui-même alimente les interprètes. Les chanteurs ont une formation instrumentale (clavecin, violoncelle) et une expérience solide qui leur permet d'être à temps.

Un opéra est un événement, un jour donné, dans un théâtre donné, pour un public donné, les interprètes ayant toute latitude pour l'improvisation. Aujourd'hui le disque a figé les œuvres. Certains , qui se disent spécialistes, parlent même d'une interprétation de référence !

En conclusion, je dirai que Damien a su, avec beaucoup de simplicité et d'humour, nous faire partager sa passion pour la musique et Rossini en particulier. Je tiens à le remercier au nom des nombreux panglossiens présents, captivés par son éloquence et heureux de pouvoir pénétrer un univers d'initiés.
Danielle Chemin (MP 1991)