DINER-DEBAT

avec

Monsieur Jean-François GAYRAUD

Commissaire divisionnaire
Jeudi 2 décembre 2010
" Showbiz, people et corruption "
 
Jean-François Gayraud est docteur en droit, diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris et diplômé de l’Institut de criminologie de Paris. Ancien élève de l’Ecole Nationale Supérieure de Police, il est commissaire divisionnaire.

Auteur de livres de sciences sociales publiés aux Presses Universitaires de France (La dénonciation ; Le vol ; Le terrorisme) et aux éditions Odile Jacob (Le monde des mafias, géopolitique du crime organisé ; Showbiz, people et corruption). Il publiera en 2010 chez cet éditeur un livre sur la dimension criminelle de la crise des subprimes.

L’ouvrage Showbiz, people et corruption tente de répondre à deux questions essentielles : quelles sont les nouvelles élites de la société du spectacle ? Comment ces nouvelles élites se laissent-elles corrompre par le crime (organisé) ? La criminalisation des élites (spectacle et autres) est explorée à travers des exemples puisés dans l’histoire américaine et française. La perspective historique se double d’une approche analytique afin de comprendre les invariants de cette corruption du nouvel upperworld par l’underworld traditionnel.

Vin et marée, Paris 14

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Compte-rendu

Pour ceux qui avaient craint de rencontrer un commissaire divisionnaire, Jean-François Gayraud, auteur d'ouvrages de sciences sociales publiés aux Presses Universitaires de France ou chez Odile Jacob (1) malgré 17 ans passés à la DST et 3 ans à l’INHESJ semble étonnamment jeune, certains diraient séduisant, et vu son impressionnant cursus, est clairement un policier hors norme. Dès l’apéritif, il a su créer un climat d’empathie autour de lui, climat qui a prévalu pendant l’ensemble du repas, au risque pour les convives de ne pas manger tant les échanges étaient passionnés. Heureusement qu’Alain Dubail veillait à la santé de ce sympathique auteur. Lors de son exposé liminaire il a tenu à préciser ce que sont les nouvelles élites et quelle est la place du crime organisé dans la société.

Les nouvelles élites et le crime organisé

Si l’on examine l’évolution de la société, se sont succédées :
- la société féodale, dont l’élite était constituée par les nobles qui s’identifiaient par les liens du sang ;
- la société bourgeoise, dont l’élite entrepreuneuriale se caractérisait par la possession de l’argent ;
- et maintenant la société du spectacle (ou selon Guy Debord, la société de l’hyper-consommation et du divertissement), dont l’élite artistique au sens large (art, divertissement, mannequinat, sport spectacle,…) se caractérise par la notoriété.

Ainsi pour la société dans laquelle nous vivons, ce qui compte c’est d’être connu, indépendamment de la possession d’un talent. Certes l’argent donne la notoriété, mais cela vient en sus, ce qui compte avant tout c’est de faire partie des « people ».

Ces nouvelles élites détiennent deux types de pouvoirs :
- le pouvoir d’influence, de prescription ;
- le pouvoir d’accès aux décideurs administratifs, politiques et économiques.

Le pouvoir de prescription, c’est celui que se sont approprié Nicolas Hulot et Yann Arthus-Bertrand sur l’écologie au détriment des experts ou des mouvements écologistes, celui que possède Jamel Debbouze pour parler de manière « autorisée » sur l’intégration, c’ est celui du chanteur Bono sur le « charity Business ». A titre d’exemple, les invités de Michel Drucker dans son émission du dimanche après-midi sont les nouvelles élites qui supplantent les anciennes. Ou encore le moment crucial dans la campagne de Barak Obama est son invitation par Oprah Winfrey à son show. Par ailleurs, pour savoir quelles sont les nouvelles élites, il suffit d’examiner la liste des médaillés de la Légion d’honneur. On y trouve et on parle surtout des personnes célèbres, car la notoriété est maintenant perçue comme un talent. Qui aurait imaginé au XIXè siècle qu’il y aurait autant de « saltimbanques » décorés, alors que les comédiens étaient encore marqués par l’infamie qui leur interdisait dans les siècles précédents d’être enterrés au cimetière. Que sont le talent et le mérite d'aujourd’hui ?

Pour le crime organisé, les exemples sont plus faciles à trouver aux Etats-Unis. D’abord c’est moins dangereux, car en France, le risque est grand de se retrouver assigné au tribunal pour atteinte à la vie privée ou diffamation. Ensuite les Etats-Unis ont toujours un temps d’avance sur nous en termes de modernité. Enfin on trouve aisément, au pays de la transparence, des documents sur le crime, alors qu’en Europe et notamment en France on a plutôt une culture du secret.

Y a-t-il un lien entre cette médiasphère et le crime organisé ? Pour le savoir, voyons si toutes les résidences secondaires de continentaux sautent en Corse; au cours des 25 dernières années et des 3 catégories d’attentat (attentat nationaliste, parfois doublé de racket, attentat par le grand banditisme, attentat pour raisons commerciales). Il est frappant de noter que la médiasphère est en général épargnée. Sans doute parce que des puissances de même force ont tendance à s’éviter quand elles ne vont pas jusqu’à se « congratuler ». Le crime organisé évite d’attaquer les nouvelles élites, car cela aurait un retentissement médiatique peu favorable à leurs affaires d’une part, et ces élites ont accès aux responsables institutionnels donc à leurs instruments de rétorsion. Même quand on attaque la villa d’un « certain acteur », on montre que l’on a le sens des limites… A l’inverse les activistes corses bénéficient d’une empathie peu commune de la part des médias, que rencontrerait sans doute un mouvement de libération du Lubéron s’il se créait, mais dont ne pourrait probablement pas bénéficier un équivalent auvergnat.

Le traitement médiatique permet de constater que la criminalité est généralement sous estimée. Ainsi aux US, en 2009, le terrorisme a fait 3 victimes, mais a été très présent dans les médias, et bien plus que les fabricants de faux médicaments qui ont pourtant fait 200 000 victimes en Afrique. De même qui a dénoncé des taux de cancer en Campanie ? L’influence du crime organisé au Japon est soulignée par le fait que les Yakusas ont réussi à imposer aux restaurants d’être décorés avec les fleurs en plastique dont ils contrôlent la production sans qu’un seul média ne s’en émeuve !!! Enfin aux Etats-Unis, il est symptomatique que pour gagner la faveur du public, les personnages célèbres n’hésitent pas à exhiber leur vie privée dans les médias, y compris les aspects sombres selon le cycle maintenant bien éprouvé : je deviens célèbre, je succombe donc à la drogue, je l’avoue publiquement dans les médias et j’obtiens ainsi la réhabilitation auprès du bon peuple (sic), accroissant au passage ma notoriété !!!

Deux affaires symptomatiques des nouveaux liens entre people et crime organisé

Pour illustrer les nouveaux liens entre le monde des people et le crime organisé, Jean-François Gayraud nous propose d’examiner en détail deux affaires :
- aux USA, l’assassinat de J.F. Kennedy :
- en France, l’affaire Marcovic.

Selon notre invité : "L’histoire de J.F. Kennedy est celle d’un homme politique qui s’est rendu vulnérable par ses relations avec un monde interlope et son assassinat a créé un traumatisme aux Etats-Unis. Il y a un avant et un après novembre 1963, d’autant plus que cet assassinat constitue un mystère dans une société sans mystère. Comme souvent « tout est dans le père », Joseph Kennedy est un petit banquier qui va à Hollywood, s’intéresse à la RKO et mène une double vie avec Gloria Swanson. En fait c’est un trafiquant d’alcool, un bootlegger qui a des relations avec la mafia, notamment les familles de Chicago qui vont le sauver d’un attentat dans les années 30. Il a une ambition, devenir Président des Etats-Unis, mais pour cela il a 3 handicaps : il est catholique, il est irlandais et enfin il est pro-nazi.

Il va reporter cette ambition sur ses enfants, d’abord le premier, qui est hélas tué lors de la deuxième guerre mondiale. Ce sera donc le second, JFK, qui devra porter cette ambition. Pour cela il va s’appuyer sur les catholiques, le monde syndical et surtout sur un pacte explicite avec la mafia passé par Jo : si JFK est élu, il mettra en œuvre une politique de l’apaisement qui rénovera le pacte de Hoover. Le plan fonctionne puisque JFK est élu avec une petite marge de 108 000 voix. Dès son élection connue, les familles de Chicago et de la Nouvelle-Orléans font éclater leur joie mais un problème apparaît rapidement. En effet JFK choisit comme ministre de la Justice son frère Bob Kennedy, un catholique sincère, naïf et qui déclare la guerre à la Mafia, en faisant passer de nouvelles lois, notamment sur les écoutes. Le Pacte est trahi et les liens sont rompus…

Ce qui n'empêche pas que JFK soit, comme son père, fasciné par Hollywood où il trouve des maîtresses, Marilyn Monroe bien sûr, mais surtout Judith Campbell. Il entretient également des relations avec la mafia par l’intermédiaire de Franck Sinatra et, pendant deux ans et demi, il partagera Judith Campbell comme maîtresse avec Sam Giancana, parrain de la mafia de Chicago. Elle servira à faire passer des messages mais aussi de l’argent de JFK vers la mafia. Indirectement cela permet à Hoover, qui est au courant de tout, de conserver son poste à la tête du FBI. Sam Giancana souhaite faire cesser la « croisade » de Bob Kennedy, mais avant qu’il ait pu le contacter, Joseph Kennedy décède d'un AVC. Les liens sont donc rompus…

Concernant l’assassinat de JFK, on doit noter que celui-ci se mettait en danger de manière quasi névrotique… Deux arguments militent dans le sens d'une implication de la mafia : tout d’abord la rupture du contrat du fait de la « croisade » de Bob Kennedy, et ensuite l’affaire de la baie des Cochons qui marque la fin des espoirs de retour à Cuba et donc pour la mafia la perte des hôtels-casinos qu’elle y possédait et dans lesquels elle pouvait blanchir son argent. Par ailleurs le mode opératoire de l’attentat de Dallas rappelle celui de l’attentat qui avait visé Franklin Delano Roosevelt en 1933, accompagné du maire de Chicago. Or la mafia n’aime guère innover et reprend donc le même mode opératoire à Dallas. On peut objecter que ce premier attentat avait échoué. Peut-être si on considère que la cible était F.D. Roosevelt, mais la véritable cible n’était-elle pas le maire de Chicago, Anton Cermak, tué lui dans l'attentat ? En effet ce dernier venait de rompre certains marchés de la ville avec les familles italo-américaines pour en attribuer une part aux irlandais. Sam Giancana sera lui-même assassiné car il a commis aux yeux de ses pairs deux erreurs : la première d’avoir choisi de soutenir JFK, la deuxième d’avoir dû procéder à son attentat, car cela a attiré l’attention sur les relations JFK/mafia et sur les activités de celle-ci… L’implication de la mafia dans l’assassinat de JFK est donc plausible.

L’affaire Markovic en France a rejailli sur Georges Pompidou. Celui-ci était finalement un provincial ébloui par le « tout Paris» et tenté par les frasques de la jet-set à Saint-Tropez, malgré les mises en garde du Général de Gaulle qui avait décrété qu’un Premier Ministre doit éviter de se montrer dans ce « mauvais lieu». Tout démarre avec l’assassinat du secrétaire d’Alain Delon qui était également l’amant de son épouse Nathalie. Or Alain Delon, malgré ses multiples relations, des deux bords semble-t-il, était extrêmement jaloux. A cette occasion apparaissent des photos truquées qui montrent Claude Pompidou dans des situations équivoques. A partir de là, le scandale qui concernait le monde du Showbiz va dériver en scandale politique. Il faut se souvenir qu'Alain Delon est issu du milieu avec lequel il a gardé des relations assez troubles, notamment avec Marcantoni, le probable assassin de Markovic. Marcantoni était connu pour servir d’intermédiaire, voire de médiateur dans les affaires mettant en cause le showbiz, et chaque fois qu’il a publié des livres il a bénéficié d’une préface d’A. Delon.".

Ces exemples, affirme notre invité, illustrent la complexité des relations entre les people et le crime organisé.

Le crime organisé et l’industrie du spectacle

De manière plus générale, il faut se souvenir que l’industrie américaine du cinéma et de la musique a toujours été assez proche de crime organisé, ce qui n’est pas le cas en France. La raison remonte aux origines d’Hollywood dans les années 1920/30. A cette époque, les WASP ne croient pas au futur de l’industrie cinématographique, ce sont donc les juifs (les parias) et les italo-américains qui vont donc investir dans ce domaine. Le crime organisé, quant à lui, y voit 2 intérêts principaux :
- la possibilité de blanchiment de l’argent sale ;
- la possibilité de fréquenter de belles femmes (cf. Al Capone et la chasse aux blondes…).

A l’inverse, Hollywood est fasciné par les voyous à travers l’idéologie de la marginalité, commune aux acteurs et aux voyous, un peu comme les rebelles à la télé aujourd’hui, nos « mutins de Panurge ». Les acteurs peuvent jouer au dur alors qu’ils ne le sont pas.

Le cas le plus caractéristique est celui de Steven Seagal, acteur dans des séries B violentes (Echec et Mort, Justice Sauvage, Piège en haute mer,…) dont l’ami et producteur Julius R. Nasso était associé à la famille Gambino de Cosa Nostra, qui va tenter de le racketter lorsqu’il s’arrête de vouloir jouer des films violents, suite à sa conversion au bouddhisme. Les mafieux vont même débarquer à l’improviste sur les tournages et pourtant il ne portera jamais plainte à la police, préférant s’adresser à un membre de la famille Genovese, alors en prison pour qu’il trouve une solution civilisée. Ainsi le dur au cinéma ne l’était pas dans la vie…

Bien évidemment les américains prétendent que les liens entre industrie du cinéma et mafia appartiennent à un passé révolu… Et pourtant…

Concernant la musique, le crime organisé a rapidement vu que le moyen de tenir cette industrie était de contrôler les disc-jockeys qui font le succès ou l’échec d’un titre… Ainsi Il est probable, note Jean-Français Gayraud, que la firme Motown, le label de la musique noire, né à Detroit qui s’installe ensuite à Los Angeles, ait été contrôlée par la mafia. Joe Isgro, lié à la mafia y aura ainsi une ascension fulgurante et y tissera des relations avec le père des Jackson Five, avant de passer à EMI, de créer son propre label, de posséder un restaurant en commun avec Franck Sinatra… Il passera ensuite au cinéma où il produira un film sur le leader des teamsters (Hoffa) et lancera un projet de film visant à réhabiliter Lucky Luciano…

Plus globalement, affirme notre invité, l’Amérique puritaine ne saurait rejeter le crime, tout comme « les puritains vont au bordel », et Hollywood va donc inventer le film de gangster, qui relève souvent de l’apologie du crime… Même Martin Scorsese présentera les gangsters sous un jour relativement sympathique. C’est là le 3ème intérêt que voit le crime organisé pour la société du spectacle, la possibilité de confirmer son statut d’entrepreneur, car la mafia se voit en entreprise offrant du « plaisir », en alcool, en sexe, en drogue….

Tout débute avec Bonnie and Clyde qui va utiliser de grandes vedettes (Warren Beatty et Faye Dunaway) pour rendre ces criminels sympathiques, mais même la contre-culture va y contribuer. Ainsi Easy Rider, le film mythique des sixties est-il autre chose qu’une apologie de la drogue ?

Cette entreprise de réhabilitation marche. Ainsi au-delà des jeux vidéo violents, deux films font référence dans la « culture des banlieues » :
- Scarface, (la version de 1983 de Brian de Palma) qui montre comment obtenir la réussite par le crime ;
- Heat de Michael Mann avec Robert de Niro et Al Pacino qui fascine Jamel Debbouze parce qu’il décrit un gang de braqueurs très professionnels.

Ainsi le crime est une profession, dans l’imaginaire des banlieues !!!

Pour revenir aux jeux vidéo qui représentent un marché de 50 milliards d’euros par an, on ne peut que constater que les 9/10èmes d’entre eux sont violents. Or leur influence sur les jeunes est très forte car contrairement au livre qui agit par identification au personnage, le jeu-vidéo agit en faisant appel au processus d’incarnation…

Par exemple, que penser de l’influence de Grand Theft Auto (souvent abrégé GTA) dont Libération, « le journal libertaire amoral », fait l’apologie ? GTA est une série de jeux vidéo de type action-aventure qui permet d’incarner un criminel qui doit remplir des missions de tous types pour se faire un nom dans la ville.

En ce qui concerne la mode musicale, que penser de l’arrivée en France du gangsta-rap, mode de musique né dans les années 80 sur la côte ouest des Etats-Unis ? Si l’on se souvient que les premiers Gangsta Rappers étaient issus des gangs et racontaient leur vie dans la violence, on n’est pas étonné que les thèmes récurrents soient la violence, la haine de la police, la drogue, le proxénétisme et l’argent.

Or pour les jeunes la référence n’est plus la famille ou l’école, mais la médiasphère. Quelle sera alors la société de demain, sous de telles influences ? Pour finir cela nous renvoie aux visions de Pasolini et Debord : on ne peut échapper à ce qui nous tombe dessus.

Notre avenir, affirme Jean-François Gayraud, étant probablement voué à être de plus en plus marqué par la proche coexistence de la richesse et de la pauvreté au sein de mêmes villes, au lieu de se scinder en pays favorise sans doute le développement potentiel d'une criminalité de l "envie".


Discussion

Les échanges ont été très riches et certains sont déjà intégrés dans l’exposé de Jean-François Gayraud. D'autres points sont évoqués ci-dessous.

Le rôle de la mafia lors de la deuxième guerre mondiale

Aux Etats-Unis, les Docks sont en général contrôlés par les immigrés les plus récents qui ne sont pas intégrés. Dans les années 40, c’étaient donc les allemands et les italiens dont se méfiaient la CIA. Lucky Luciano était donc sous les verrous. Or l’armée américaine avait besoin de cartes pour le débarquement et la campagne d’Italie. Le deal a donc été de faciliter les informations et contacts. Grâce à cela Luciano a été libéré en 1945 et la mafia a pu reprendre un rôle majeur en Sicile avec l’aide des services secrets américains. En ce qui concerne le naufrage jugé accidentel du paquebot Normandie, il y eut aussi des allégations selon lesquelles ce fut en fait l’oeuvre de la mafia qui aurait ainsi joué les « pompiers pyromanes ».

Y a-t-il eu un autre Président américain financé par la mafia ?

Certaines thèses tendent à accréditer l’idée de liens entre Obama et les familles de Chicago. En effet ce dernier est « sorti du néant » très rapidement. En 2002 il était inconnu y compris au sein du parti démocrate, et il faut garder à l’esprit que l’appareil politique de Chicago est connu pour être totalement corrompu. Or il en a fait partie… Quand on sait qu’aux US, c’est l’argent qui fait l’élection, on doit souligner qu’en 2008, son deuxième fund raiser n’est autre que Penny Prisker, la célèbre milliardaire, petite fille des propriétaires de la chaîne d’hôtels Hyatt. Ceci explique sans doute pourquoi Obama a du mal à s’attaquer à Wall Street, malgré le scandale des subprimes et des bonus des traders. Cela donne une résonance particulière au mot de Warren Buffet qui déclarait en 2005 "qu’ils (les riches) avaient gagné la guerre des classes" et cela rend plus critique l’infiltration de Wall Street par la mafia décrite par Greg B. Smith dans son roman How the Mob infiltrated Wall Street (2).

Pour aller au-delà, contentons-nous de renvoyer au roman America’s First (3) de Charles D. Edwards, écrit en 2000, date à laquelle Obama était totalement inconnu et qui décrit l’irrésistible ascension d’un Afro-Américain qui, orphelin a été élevé par son grand-père… Or le héros du roman est pris en charge par une famille mafieuse de Chicago, épouse une juriste noire et jolie, est élu sénateur de l’Illinois en 2005 grâce à l’argent de la mafia et finira premier président des Etats-Unis à l’âge de 46 ans… Certes, l’auteur prend soin de préciser que « toute ressemblance avec des personnes vivantes ou mortes est le fruit du hasard », néanmoins que de coïncidences !!!

Comment peut-on affirmer qu’il y a une politique délibérée de réhabilitation de la mafia par le cinéma ?

Au-delà de l’invention du film de gangster par Hollywood et du cas de Bonnie and Clyde, déjà décrit, au-delà de l’influence de Scarface et Heat, regardons deux autres cas : La trilogie de Coppola, et Mesrine.

La trilogie de Coppola du Parrain présente une vision en partie erronée de la mafia. Contrairement à ce qui est décrit la « famille mafieuse » n’est pas familiale, elle regroupe des personnages d’origines diverses. Par ailleurs les familles n’ont jamais hésité à se lancer dans le trafic de la drogue. Enfin si l’on examine le fond de la trilogie, il tend à accréditer l’idée qu’il s’agit de l’histoire de l’intégration sociale d’une famille d’immigrés italo-américains dans un monde WASP raciste et hostile aux ritals, qui sont donc obligés d’être des « entrepreneurs » marginaux pour réussir… et finissent par obtenir la rédemption…

Enfin pour l'anecdote, note Jean-françois Gayraud :
- le premier volet respecte les interdits linguistiques des années 70, à aucun moment on ne parle de mafia, ni de Cosa Nostra ;
- Coppola a dû engager des figurants désignés par la ligue des droits civils des Italo-américains (fondée en 1970 par Joe Colombo, chef d’une des familles de New-York) qui étaient donc membres de la mafia, l’un d’entre eux sortant même tout juste de prison au moment du tournage de la fameuse scène du mariage.

Concernant la saga de Mesrine, deux faits sont à souligner. Tout d’abord le film enjolive systématiquement le bandit pour en donner une vision positive ; ainsi Mesrine qui était violent avec son épouse, est présenté la battant parce qu’il est menacé par elle de dénonciation (sic). Par ailleurs pour le film c’est un ancien complice de Mesrine, Charlie Bauer, qui sera embauché comme consultant. "Imagine-t-on un consultant policier ?" se demande jean-François Gayraud.

Le phénomène est d'ailleurs mondial. A Hong-Kong les films d’arts martiaux font l’apologie des triades et servent au blanchiment de leur argent. Idem pour Bollywood dont le fonctionnement est très bien décrit dans le livre de Suketu Mehta, Bombay Maximum City, qui raconte la guerre des gangs pour le contrôle économique et politique de la ville, guerre orchestrée par des parrains mafieux installés au Moyen-Orient.

Conclusion

Bruno Auger remercie Jean-François Gayraud pour son exposé passionnant qui donne envie de lire son livre en entier très rapidement, même s’il n’incite guère à l’optimisme, et conclut que c’est à nous d’approfondir notre réflexion sur les changements de la société et d’essayer d’y porter notre contribution.
Jean-François Cuvier (MP 1975)
(1) Bibliographie de Jean-François Gayraud :
- aux Presses Universitaires de France : La dénonciation ; Le vol ; Le terrorisme
- aux éditions Odile Jacob : Le monde des mafias, géopolitique du crime organisé ; Showbiz, people et corruption et à venir en 2010 un ouvrage sur la dimension criminelle de la crise des subprimes.
(2) et (3) Voir les notes de lecture de Jean-François Gayraud sur ces romans disponibles sur le site du Club Pangloss : www.clubpangloss.org