DINER-DEBAT

avec

Monsieur Jean-Philippe LAFONT

Chanteur lyrique international (baryton), Coach vocal (d'Emmanuel Macron pendant sa campagne)
Jeudi 25 janvier 2018
" Une carrière internationale de chanteur lyrique et le coaching vocal des hommes politiques "
 
Jean-Philippe Lafont est l¹un des plus grands barytons de sa génération, comptant parmi ses rôles fétiches Falstaff (Verdi), Scarpia dans Tosca (Puccini), Telramund dans Lohengrin (Wagner), ou encore Barak dans La Femme sans ombre (R. Strauss) et Wozzek (Berg), émergeant des cent opéras qu'il a interprêtés. Il s¹est produit sur les plus prestigieuses scènes internationales telles que Covent Garden, le Metropolitan Opera de New-York, le Staatsoper de Vienne, la Scala de Milan, l¹Opéra de Paris. Il demeure l¹un des très rares chanteurs français à s¹être produits à Bayreuth. Il a aussi interprêté deux rôles au cinéma, dans Carmen de F. Rosi aux côtés de Julia Migenes-Johnson, Plácido Domingo et Ruggero Raimondi, et dans le Festin de Babette de G. Axel.

Aujourd¹hui, il se consacre à l¹avenir de l¹art lyrique, du chant et de la voix en animant des masterclasses et en prodiguant du coaching vocal à des personnalités lyriques, politiques et économiques et plus particulièrement il a coaché vocalement Emmanuel Macron pendant la campagne électorale qui l¹a menée à la victoire. Il vient d¹écrire un livre « avec voix et éloquence" publié aux éditions Larousse afin de faire partager son expérience en tant que chanteur lyrique international et coach vocal.

Jean-Philippe Lafont nous parlera d'abord de son parcours musical, de sa vie d'artiste international et des rôles qu'il a interprêtés et dans lesquels il s'est fortement investi, en incarnant littéralement ses personnages. Il élargira ensuite ses propos sur la voix et l'éloquence, et sa nouvelle carrière de coach vocal qui l'a conduit à être le "professeur" d'Emmanuel Macron au cours d'une dizaine de séances de coaching tout au long de la campagne électorale de 2017.

Maison des Polytechniciens, Paris 7

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Compte-rendu

Le chanteur lyique

Jean-Philippe Lafont a joué jeune dans une équipe de rugby à Toulouse ; il a la carrure d’un rugbyman qui lui donne aussi le « coffre » d’un grand chanteur. Il s’est fait remarquer, non pas comme joueur émérite, mais pour sa voix profonde. Il a aussi été professeur d’éducation physique.

Trois personnes ont beaucoup compté dans sa carrière : Henri Amiel, surveillant général du collège de Toulouse où étudiait JP Lafont, et qui poursuivait parallèlement une carrière lyrique. Il le présente à Denise Dupleix, une cantatrice de 24 ans son aînée, qui devient à la fois son professeur et sa compagne. Quarante ans après il la voit toujours malgré leur séparation. Elle a aujourd’hui 91 ans. Enfin Louis Erlo qui l’accueillera à l’opéra de Paris.

Ses quatre rôles de prédilection sont Golaud dans Pélléas et Mélisandre (C. Debussy), Barak dans la Femme sans ombre (R. Strauss), Falstaff (G. Verdi) et Wozzek (A. Berg). JP Lafont fait plus que chanter, il interprète le rôle, en s’imprégnant du personnage. Ainsi, pour jouer Wozzeck, il décida de fréquenter des malades mentaux pendant plusieurs semaines pour comprendre leur pensée, leur souffrance et il se fit « interner » si l’on peut dire dans un hôpital psychiatrique, vêtu comme les autres patients, partageant sa chambre et ses repas avec eux, ainsi que des balades et conversations avec ceux qui l’acceptaient. « Je ne les ai pas abordés directement car ma seule présence les perturbait ». JP Lafont a d’ailleurs hésité entre une carrière lyrique et de comédien de théâtre. Il a même été acteur au cinéma en jouant dans le Festin de Babette, dans Carmen de Rossi aux côtés de Julia Migenes Jonhson, Placido Domingo et Ruggiero Raimondi. Récemment il fut Göring dans le film « J’étais à Nüremberg ».

JP Lafont est l’un des deux seuls chanteurs français à s’être produit à Bayreuth, plus qu’un théâtre, un véritable temple lyrique, où le public connait mieux le rôle que le chanteur ! Après la première représentation, terrassé par l’émotion il n’a pas pu se rendre à la réception donnée par le maire mais a passé la nuit aux urgences de l’hôpital !

Et Don Juan ? « Il voit une jeune femme, il lui parle, c’est un réflexe, il ne lui fait pas vraiment la cour, mais s’efforce de la séduire, pour jouer, il n’ira pas jusqu’au bout, ce qu’il dit n’a pas de sens, pas d’importance, c’est un personnage banal, qui n’existe pas. En fait, j’ai complètement raté ce personnage, parce qu’il ne m’a pas intéressé ».

JP Lafont a été marqué par plusieurs grands chefs d’orchestre, dont Gergiev et Georges Prêtre entre autres.

Le coach vocal

Mais un soir funeste, le 14 septembre 2016, lors d’une répétition sur un escalier raide de la scène à l’Opéra Bastille, JP Lafont fait une mauvaise chute et se blesse assez gravement. Après une longue guérison et rééducation, il réalise qu’il ne pourra plus se produire sur scène. Alors, il entame une reconversion en tant que coach vocal, pour aider chacun à bien porter sa voie et les orateurs leurs idées. Parmi ses premiers élèves, on note un certain Emmanuel Macron, qui s’égosillait dans ses meetings au début et risquait de perdre et sa voix et celles de ses électeurs. « Je devais voter Fillon, qui est un ami, mais en voyant le candidat Macron, j’ai tout de suite reconnu le futur président. Il ne ressemblait à aucun autre candidat ». Il lui prodigue des conseils, que le candidat suit plus ou moins, notamment d’interrompre son discours par des silences, des respirations qui lui permettent de reprendre son souffle et aux auditeurs de digérer ses paroles, aussi riches soient elles. Il ne faut pas être trop dense dans son discours au risque de noyer l’auditeur. Savoir accentuer la voyelle et articuler la consonne, fait partie du métier.

Le mot est une boite à malices d’où sortent les esprits. Les gens parlent trop vite, ne favorisant pas le mot important de la phrase. En chant c’est aussi le cas : certains chanteurs escamotent les mots dans une langue qu’ils ne comprennent pas. JP Lafont cite comme exemple la phrase : « Cette personne en pleine génuflexion » en insistant sur le « gé » pour montrer le mouvement, et sur le « x » de flexion, pour faire comprendre la position. « On sent la moelle, le jus du mot juste. Ne disons pas les mots au hasard, en appuyant le « r » façon Nougaro ». « L’élocution c’est la qualité du discours, et la bonne diction la qualité du parler. Pour soutenir l’attention de l’auditoire il faut mêler ces deux qualités ». « La voix se soutient par la colonne d’air, d’où l’importance de gérer son souffle et de ne pas forcer quand on manque d’air. J’amplifie le son par le souffle, si je l’amplifie en forçant ça peut casser au niveau des cordes vocales, et générer des varices, des nodules ». JP Lafont a publié un ouvrage « Avec voix et éloquence » (Larousse, 2017).

Quelques exercices sur des participants au diner transformés en cobayes ébahis, montrent comment gérer sa respiration, ne pas expirer à fond, respirer par les basses côtes.

Bien sûr, la voix a besoin d’une belle acoustique pour porter : la plus belle acoustique est à Bayreuth, ainsi qu’au Concert-gebouw d’Amsterdam. A la question « Avez-vous eu le trac ? », JP Lafont nous répond par une méthode pour dompter le trac : « Soufflez, expirez, cela ralentit la fréquence cardiaque ».

A une question relative à ses rapports avec les chefs d’orchestre, JP Lafont évoque un désaccord qu’il a eu à 30 ans avec un chef d’orchestre désagréable à Rome. « Tout le monde le détestait. Je me suis plaint à la direction mais c’est moi qui aie été viré ! ».
Pierre-Yves Landouer (MP1984)