DINER-DEBAT

avec

Monsieur Didier LOMBARD

Directeur Général des Stratégies Industrielles
au Ministère de l'Industrie
Mercredi 25 Octobre 1995
" Quelle politique industrielle pour la France ? "
 
Ingénieur Général des Télécommunications, M. LOMBARD a eu un long parcours professionnel lié aux télécommunications avant d'assumer, après un passage au Ministère de la Recherche et de la Technologie, les fonction de Directeur Général des Stratégies Industrielles au Ministère de l'Industrie, poste qu'il occupe depuis 5 ans, ce qui constitue un record de "longévité administrative" sur une fonction perçue comme pouvant être "à risques".

Hotel Hilton, Paris 7

Compte-rendu

Parlons "industrie"...

Pourquoi envisager une politique industrielle lorsque la tertiarisation des économies développées semble condamner l'industrie à avoir un poids constamment décroissant dans le Produit Intérieur Brut (PIB) ? M. LOMBARD invite à une autre lecture des chiffres : si la part de l'industrie au sens strict dans le PIB est tombée à 28%, cette part remonte à 51% si l'on y intègre les services qui dépendent de l'industrie. Il importe également de souligner qu'un emploi dans l'industrie en génère directement deux dans les services. Important également de rappeler que l'industrie représente 70% des exportations. Au niveau mondial, c'est bien la place de quatrième puissance industrielle qui assure à la France un part dans la richesse mondiale nettement supérieure à son poids effectif.

En conclusion, non seulement la part de l'industrie dans l'économie n'a pas régressé - nous avons simplement affaire à une autre organisation du monde industriel qui nous laisse apparemment penser que sa place a reculé - mais jamais elle n'a été aussi importante en termes d'enjeux économiques mondiaux. C'est d'ailleurs ici que les choses se gâtent. En effet les principaux points forts industriels français sur le plan international (énergie, télécommunications, transports, aéronautique,...) sont l'héritage de politiques qualifiées de "colbertistes" impulsées dans les années 60/70. Or le contexte qui a permis à ces politiques de connaître de réels succès - mais aussi d'engendrer des gouffres tel que le plan calcul -, a disparu. En effet ce type de politiques industrielles ne s'insère plus dans le contexte international actuel, déroge aux règles posées par certaines conventions (GATT, OMC, Traité de Rome...) et surtout se heurte à la pauvreté budgétaire de l'Etat.

Pour aborder la question des investissements

Aujourd'hui, où en est exactement la France sur le plan international ? L'industrie française a "bien pris le virage de l'européanisation" y compris pour le tissu des PME/PMI. En revanche pour les destinations lointaines telles que l'Asie, le véritable marché en croissance au niveau mondial, la situation de l'industrie française est moins brillante. Malgré l'effort important en termes de flux d'investissements en direction de cette zone géographique, le stock historique des investissements français y est faible, notoirement plus faible que celui des Pays-Bas par exemple (bien qu'étant un "petit" pays), qui y avait investi beaucoup à l'époque coloniale. Ce retard historique crée un handicap d'accès aux marché asiatiques pour l'industrie française.

Alors pourquoi une politique industrielle en France à l'ère de la globalisation des économies ? En premier lieu il s'agit de rendre l'espace économique français attractif, sachant que 25% des actifs dans l'industrie travaillent pour une entreprise étrangère installée en France. Cette attractivité dépend certes d'une politique d'aides (rôle de la DATAR - "même si la DATAR a pour vocation d'attirer des entreprises là où elles ne veulent pas spontanément aller"), mais aussi de l'environnement fiscal - le dossier de la taxe professionnelle est redoutable -, et social - M. LOMBARD insiste beaucoup sur la nécessité d'accroître la flexibilité du travail - . Elle dépend également du niveau des infrastructures et de la qualité de la formation ("rien ne fait plus plaisir qu'une usine qui quitte la Grande-Bretagne pour la France suite à des problèmes liés à la formation insuffisante de la main d'oeuvre"). Enfin la politique industrielle signifie également être présent sur le front des négociations internationales, de la recherche publique - M. LOMBARD évoque à ce titre la multiplicité des guichets existant en France en matière de recherche - et de la qualité (très à la mode par les temps présents).

Vous avez dit "protectionnisme"...

Bien loin de nous cette vilaine pensée ! Face à l'opprobre que nos voisins européens souhaitent attirer sur le "protectionnisme français", acceptons de remettre les pendules à l'heure. Notre voisin allemand n'a certes pas de ministère de l'industrie, mais M. LOMBARD a bien un homologue allemand, sauf qu'il faut aller le chercher dans l'une des nombreuses directions du ministère des finances allemand. Ceci permet de dire que l'Allemagne, au niveau fédéral, est peu généreuse en aides et subventions à l'égard de son industrie en vertu d'une grande tradition libérale. En revanche, personne ne s'émeut trop de la générosité industrieuse du Land de Bavière par exemple...L'industrie allemande du textile et du meuble ont ainsi appris à se redresser, sans trop dévoiler les aides dont elles firent l'objet. Quant au Japon, si le MITI fait de réels efforts en matière d'accès au marché japonais, la cohorte de ministères techniques sur laquelle il s'appuie, vaut toutes les barrières réglementaires et tarifaires connues. Le système français relativement centralisé serait d'une certaine manière trop transparent et donc facilement "attaquable". Aux USA, la politique industrielle passe par la Défense et les questions militaires. M LOMBARD reconnaît n'avoir pas trouvé d'homologue dans un seul Etat : la Suède La relative dispersion sectorielle du commerce extérieur français expliquerait sa faiblesse. M. LOMBARD pense que la cause cette faiblesse résulte du tissu d'entreprises exportatrices françaises qui se limite encore à un nombre trop restreint d'acteurs.

Et si on parlait interventionnisme ?

Pas très à la mode. On préfère l'organisation spontanée du secteur, grâce à une main pas trop visible. En France, selon M. LOMBARD, cette spontanéité n'est pas toujours évidente : les équipementiers automobiles français se sont pris en charge. D'autres secteurs restent dispersés, et en l'absence d'impulsion étatique, très vulnérables. Les primes de relance au secteur automobile, sont excusées par le fait "qu'on ne savait pas faire autrement" face au problème qu'allait représenter une nouvelle crise de l'industrie automobile (1,2 million d'emplois en France). Sur les télécommunications, M. LOMBARD ne souhaitait pas trop s'étendre sur un secteur pour lequel sa connaissance menaçait de transformer ce dîner en nuit blanche. En matière "d'autoroutes de l'information", l'objectif consiste à favoriser la création de services francophones et les rendre rapidement disponibles sur les supports technologiques, dont Internet. L'investissement public dans cet effort sera minimal par rapport à l'ensemble des sommes qui seront mobilisées (environ 10 milliards de francs). Notre interlocuteur se montre cependant très réservé sur la capacité des "autoroutes de l'information" à être un véritable vecteur de création d'emplois dans l'avenir.

Sur la redoutable question - qui fut bien entendu posée - de l'effet de la parité franc-deutsche mark et des récentes dévaluations compétitives en termes de compétitivité industrielle, M. LOMBARD préférera ne pas prendre position, renvoyer ce point aux débats théologiques qui feront, selon lui, bien partie des futurs débats relatifs au fonctionnement de l'Union Européenne dotée d'une monnaie unique.

Xavier DELVART (MP 1993)