DINER-DEBAT

avec

Cardinal Jean-Marie LUSTIGER

Archevêque de Paris
Mai 1991
" L’Église Catholique et le XXIème siècle "
 
Aron Lustiger est né à Paris le 17 septembre 1926, de parents issus d'une famille juive originaire de Pologne. Vers 10 ou 12 ans il découvre une Bible. Le Nouveau Testament s’impose à lui comme étant l’aboutissement de l’Ancien Testament. Il découvre l’antisémitisme, dont il est victime. En août 1939, sa famille se réfugie à Orléans. Dans la Semaine sainte 1940, au cours d'une visite de la cathédrale d'Orléans, Aron Lustiger ressent le désir de se convertir au catholicisme sans renoncer à son identité juive, et en août il reçoit le baptême, sous les noms de Jean et de Marie. Après des études de lettres à l'université de Paris, il entre au séminaire des Carmes de l'Institut catholique de Paris en 1946, où il est ordonné prêtre le 17 avril 1954.

De 1954 à 1969, il est aumônier de la paroisse universitaire de Paris (Sorbonne, École spéciale d'architecture, ENS de Fontenay-Saint-Cloud, École des chartes). Son charisme attire nombre d’étudiants et professeurs. En mai 68 il affirme qu'« Il n'y a pas de place pour l'Évangile dans cette foire ». En 1969, il est nommé curé de la paroisse Sainte-Jeanne-de-Chantal, à Paris 16. En 1979, il est nommé évêque d'Orléans par le pape Jean-Paul II, et il choisit comme devise « Tout est possible à Dieu ». Fin janvier 1981 il est nommé archevêque de Paris et succède au cardinal François Marty, puis fait cardinal en 1983.

Il est proche de Jean-Paul II et parle comme lui le polonais et le français. L'intuition fondamentale qui guide son action et sa vie sont que la foi dans le Christ est pour l'homme la seule chance d'être vraiment libre et d'avoir une raison d'espérer. Il est donc engagé sur tous les fronts pour la défense de la liberté intérieure et religieuse de l'homme, face aux totalitarismes des États, des idéologies, de la pensée unique et des médias. Il a entrepris une série de réformes au sein du diocèse de Paris.

Homme d'arts, de lettres et de communication, il publie une vingtaine d'ouvrages à partir de 1978, et lance de en 1981 Radio Notre-Dame. De par ses ascendances juives, le cardinal Lustiger joue un rôle pionnier dans les relations entre la communauté juive et le Saint-Siège. Conseiller de Jean-Paul II, il exerce un rôle d'influence très important auprès de lui.

Hotel Hilton, Paris 7

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Compte-rendu

Voici livrés à votre sagacité quelques-uns des messages que le Cardinal Lustiger a évoqués devant nous ce soir là et qui seront développés dans une prochaine revue Pangloss :

- La religion perdure sous des formes en évolution. L'activité religieuse caractérise cet animal curieux qu'est l'homme. L'homme se perçoit lui-même comme sujet transcendant à son existence purement matérielle et corporelle. Il va plus loin que lui-même et va au-delà de lui même. C'est cela, la religion, aller vers plus grand que soi, même vers celui que l'on ne voit pas. Mais l'homme ne cesse de se fabriquer des dieux qui prennent parfois la forme de l'argent, du sexe, de la vanité ou des"lieux utopiques" décrits par Henri Lefèbvre. Toute civilisation est de fait religieuse en ce sens qu'elle se fabrique des dieux. Notre civilisation mondiale est traversée par une dimension religieuse qui ne disparaîtra pas, quelle qu'en soit la forme. Nous en sommes au début de l'ère chrétienne.

- Les intégrismes. Il n'y aucune similitude entre les différents intégrismes, qui d'ailleurs peuvent être religieux ou a-religieux (les procès de Moscou,..) ; il faut faire extrêmement attention au contenu significatif de représentations sociologiques qu'ils cachent.

- Stratégie de l'Eglise face à son déclin ? L'horizon de l'Eglise ne s'arrête pas à la Tour Eiffel pas plus qu'à Saint Pierre de Rome. Cela dit, il est vrai qu'existe en Europe un grave problème d'évangélisation. Enfin, la religion ne se programme pas ; elle n'a pas de "stratégie", sinon ce serait une tyrannie !

- Les Eglises. Les problèmes du rapprochement entre catholicisme, protestantisme et orthodoxie ne doivent pas, comme on le fait trop souvent, être considérés au même niveau. Une distinction de premier niveau sépare, pour des raisons de cultures, de langues, d'histoire, les Eglises d'Occident (Rome) et d'Orient (Byzance). Le protestantisme est à un second niveau ; il résulte d'un problème interne aux seules Eglises latines d'Occident (la Réforme au XVIe siècle) et révèle des problèmes de définition de l'unité de l'Eglise catholique. Cependant, les différences entre les Eglises restent minimes, mais le poids de l'histoire et des ressentiments est tel qu'elles subsistent. Le cas de l'Ukraine ? C'est un problème de patriarcat autocéphale mêlé à des problèmes nationalistes.

- L'Eglise au secours de la culture. La culture dépérit, non pas la culture universitaire ou aristocratique, mais la vraie culture archaïque traditionnelle. La force de l'Eglise, c'est son capital symbolique, beaucoup plus riche que ce que l'on peut trouver au Festival de Cannes ! L'humanité peut y trouver son passé et son avenir. La Bible est un formidable réservoir de sens, un capital de sens et la pratique de l'Eglise est un réservoir de mémoire fabuleux. La portée historique de chaque acte de foi est d'une richesse inouïe face à l'appauvrissement de la culture véhiculaire.

- Le christianisme pour apprendre à vivre ensemble. L'espèce humaine a fait le tour d'elle-même : elle se découvre "une". Il va falloir apprendre à se connaître et à vivre ensemble, et c'est ce que nous enseignait la Bible dès le début. En aucun cas, la violence n'est une bonne réponse ; seules les valeurs essentielles du pardon et de l'amour que nous apprend la Bible nous permettront de vivre en harmonie. A ce propos, on ne doit jamais dénigrer la solidarité. La solidarité , ce n'est pas une aumône : on n'est jamais quitte d'un autre quoiqu'il arrive. La solidarité, c'est l'amour et elle est un état de droit envisageable pour l'humanité. La règle de violence ne doit pas être l'accoucheuse des sociétés.

- A propos de René Girard. N'en déplaise aux disciples du célèbre philosophe, récemment invité par notre club pour un dîner-débat, mais pour Jean-Marie Lustiger, le mécanisme de la victime expiatoire qui est au coeur de la pensée girardienne n'a pas de pouvoir d'explication de la totalité. Le catholicisme est une religion universelle ; il ne saurait se réduire à un processus de victime tribale. Le catholicisme, ce n'est pas une culpabilité par rapport au Christ, c'est un salut par rapport au Christ.
Thierry Courtiol (MP 1983)