DINER-DEBAT

avec

Monsieur Jacques MAILLOT

Président Directeur Général de Nouvelles Frontières, Président de Corsair
Jeudi 15 juin 2000
" Les voyages, facteur d’exclusion ou de cohésion "
 
1965… Jacques Maillot alors étudiant en droit et un groupe d’amis, accompagnent pendant l’été 150 jeunes gens au Maroc à l’occasion d’un voyage d’études. Ils ont organisé eux-mêmes le circuit pour un prix inférieur au prix d’un billet sur Casablanca sur ligne régulière. Ainsi commence un combat pour offrir au plus grand nombre le transport aérien à prix accessible. En 1967, Nouvelles Frontières est créée… et dès les années 1970, Jacques Maillot est souvent convoqué au Tribunal de Police de Paris pour non respect des tarifs aériens homologués ! Dans les années 1972, "démocratisation du transport aérien" et "droit au voyage" sont les thèmes des premières campagnes de publicité de Nouvelles Frontières.

En 1989, Nouvelles Frontières décide de maîtriser la composante aérienne de son activité touristique et rachète la compagnie Corsair.

Aujourd’hui, avec 5 500 collaborateurs, presque 3 millions de clients, 200 agences et 9 milliards de chiffre d’affaire, le groupe de Jacques Maillot a atteint une dimension européenne… Tout en poursuivant le développement de leur activité, Jacques Maillot et son équipe se mobilisent contre le projet de spécialisation d’Orly, inventent la vente aux enchère de voyages sur Internet… car le succès ne saurait en rien altérer la culture combative et la tradition pionnière qui caractérisent Nouvelles Frontières.

Cercle Militaire, Paris 8

photo n°1 - dd_maillot photo n°2 - dd_maillot photo n°3 - dd_maillot photo n°4 - dd_maillot photo n°5 - dd_maillot (pour agrandir une photo cliquer dessus)
Compte-rendu

Juin 2000 : bientôt l’été, partons en vacances... Et si on prenait le métro ?

Presque par provocation, on aurait envie de dire que Jacques Maillot fait partie de l’establishment… du voyage. On sait de lui qu’il est originaire de la banlieue sud, qu’il dérape ensuite et passe le périphérique pour devenir un amoureux fidèle des XIII et XIVème arrondissements même après sa réussite. Pas réellement branché culture style intello-parigot, Jacques Maillot avoue aimer Vanves, déteste le métro et ne déplace qu’en scooter ou .. . en avion. Pour savoir tout cela pas besoin d’être venu au dîner-débat du Club avec Jacques Maillot : il suffisait justement de prendre le métro et d’en lire l’hebdo gratuit de la semaine du 5 au 11 juin qui lui consacrait un article fort à propos. Mais le dîner-débat du club Pangloss a bien eu lieu et nous a permis d’approfondir notre connaissance d’un "personnage" du business touristique français. Quelques mots pour annoncer le voyage : pragmatisme, innovation, indépendance, résistance mais aussi idéalisme – "le monde à la portée de tous" -.

Voyages, voyages… un tube des années 80

Jacques Maillot c’est d’abord le fondateur de Nouvelles Frontières, il y a de cela un certain temps. Aujourd’hui, ce sont 6000 salariés, 3 millions de clients, 10 milliards de chiffre d’affaires, 150 destinations, la transformation de la compagnie aérienne Corsair, achetée en 1989 , passée de 2 avions affrétés à 12 et de 148 à 1700 salariés. Au départ la volonté d’un individu de faire, "d’être un évènement dans les transports aériens". A l’arrivée, la création d’un tour opérateur complet, une réussite française, mais de petite taille cependant au regard de la concurrence britannique et allemande devenue offensive sur le territoire français.

Né avec l’anticyclone de 1968 et soufflant avec le vent des années septante Nouvelle Frontières part de la volonté de démocratiser le voyage. Association régie par la loi 1901, Nouvelles Frontières débute avec des voyages en Algérie, en Inde dans le cadre de circuits autogérés, avec peu de participants… l’accompagnateur étant désigné (élu ?) par ces derniers. Depuis Nouvelles Frontières a évolué pour offrir une palette de voyages qui réponde à une clientèle dont les couleurs ont changé : celle-ci peut vouloir du séjour (Nouvelle Frontière gère aujourd’hui 27 club-hôtels), faire du nautisme, découvrir la croisière (affrètement récent par Nouvelles Frontières d’un paquebot et perspective de faire baisser de 30% les prix du marché des croisières)… ou vouloir sur certaines destinations une prestation intégrée (en Guadeloupe par exemple où Nouvelles Frontières assure également la location de voitures). Les champs d’expansion à venir : le sud en direction de l’Italie et de l’Espagne dont il faut faire voyager la clientèle. Une tentation de développement en Allemagne a cependant été un échec: "Les allemands achètent la fête organisée".

Internet et le business du voyage ? Pas la révolution mais à terme peut-être 1 milliards de ventes de voyages par ce média. Nouveau combat en perspective : s’attaquer à la classe "affaires" . Jacques Maillot nous donne rendez-vous dans trois ans avec des tarifs plus abordables que ceux avec lesquels nous vivons actuellement [NDLR - Le luxe sera-t-il encore le luxe alors ? - ]

Un voyagiste devenu comme les autres ? Nouvelles Frontières a cessé d’être une association et demeure aujourd’hui une société fermée, son capital étant "controlé" à 94% par un pacte d’actionnaires, dont 50% par Jacques Maillot lui même. Volonté d’indépendance qui trouve aujourd’hui une limite : l’investissement dans les Airbus et la construction d’hôtels exige une mise de fonds croissante qui implique que Nouvelle Frontières aille peut-être voyager en bourse même si Jacques Maillot souhaite éviter d’avoir comme passager " un actionnaire de référence tel Vincent Bollore" (aventurier de voyages boursiers récemment arrivée à la société Pierre et Vacances…). Détail  (qui servira plus loin… c.f. infra) : Télérama est actuellement actionnaire de Nouvelles Frontières. L’entrée en bourse pourrait également être l’occasion de développer un actionnariat salarié quasi inexistant (moins de 100 sur un total de 6000) …ce qui me ferait dire que les temps ont vraiment changé depuis l’époque où tout commença.

Il reste encore quelque chose de la grande époque…

"Tour operator" pas comme les autres dans sa volonté de faire travailler les "locaux" dans les pays où la société est implantée, Nouvelles Frontières se veut aussi détenteur d’une certaine éthique du tourisme dont on peut néanmoins se demander si elle n’est pas fondamentalement liée à la personnalité de son patron. Jacques Maillot nous explique ainsi avoir dû s’opposer à "l’achat de décrets" dans certains pays d’Afrique pour bénéficier de droits de trafic. De la même manière Nouvelles Frontières ne fait pas travailler les enfants…Une éthique générale dont Jacques Maillot ne crédite pas spécifiquement ses concurrents anglais et allemands rivés à un taux de rentabilité [NDLR – Ils n’ont pas Télérama comme actionnaire -]. Vrai aussi que Jacques Maillot a eu droit à la Marseillaise en arrivant à Cuba…et qu’il reconnaît la critique que l’on peut formuler à l’encontre de tout développement touristique mais y oppose immédiatement le fait que le "tourisme" signifie nécessairement ouverture d’un pays ce qui est en soi un moyen de véhiculer "les droits de l’homme".

Résistance à l’appétit des "industriels des vacances" venus du Nord, volonté d’indépendance …. L’idéal fondateur de Nouvelles Frontières a été de démocratiser le voyage à une époque où les tarifs cartellisés de la IATA étaient trois fois supérieurs aux coûts et où être jeune et voyager étaient deux concepts se réunifiant au sein des associations Léo Lagrange …très éloignées d’une volonté de changer les relations entre pays riches et pays pauvres par le développement du voyage. Aujourd’hui la clientèle de Nouvelles Frontières couvre toutes les CSP [catégories socio-professionnelles] et si les "jeunes" - cible d’origine - restent une composante importante, les "seniors", éventuellement accompagnés de leurs petits-enfants (mai 1968 où es-tu ?) ont débarqué dans le paysage.

Parole de patron sur les 35 heures. Une réalité : elles signifient en principe plus de temps libre et donc potentiellement plus de voyages c’est-à-dire plus de chiffres d’affaires pour Nouvelles Frontières. Pour l’effet en termes de création d’emplois, un grand doute demeure sur le lien de cause à effet. En interne, Nouvelles Frontières vit avec deux syndicats majoritaires - FO et la CGT – et ne désespère pas d’amener la "new CGT" à la table de la signature. Un regret cependant : "avoir dû passer par une loi pour en arriver là".

Avec humour - et provocation, car cela fait aussi partie du personnage – Jacques Maillot confesse que sa réussite provient de l’attitude de la compagnie nationale française (on a oublié son nom… elle a tellement changé) qui "fut son meilleur agent de pub". Contentieux et Cour de Justice Européenne aideront Jacques Maillot à "contourner la loi" et faire évoluer la réglementation tarifaire aérienne face aux "libéraux français en peau de lapin " ou plus simplement " face aux menaces politiques ", parce que certaines îles lointaines ensoleillées sont parfois (et encore) la France et que Nouvelles Frontières y était perçue comme porteur de "désordre". Reste cependant pour Jacques Maillot une réalité du monde des transports aérien, à savoir le corporatisme du personnel aérien et l’incapacité à avoir en France une compagne aérienne à bas coût.

"Trois questions pour un champion"…

Mais où voyage Jacques Maillot ? Celui-ci confesse rencontrer des Ministres, des chefs d’Etats lors des ses déplacements et … reconnaît à la Corse la destination de ses vacances. De là à envisager le titre de "Corse d’honneur"…
Nouvelles Frontières peut-elle survivre à son fondateur ? Jacques Maillot a organisé la suite…au cas où. Quant à "l’esprit Nouvelles Frontières" il repose sur 2000 accompagnateurs qui ne disparaîtraient pas du jour au lendemain.
Le tourisme du XXIème siècle ?  : il sera avec bon sens celui du XXème siècle. Vols secs, voyages à la carte, circuits organisés ou trekkings resteront au programme. Destinations du moment : tout est à la mode selon Jacques Maillot. Raté pour la frime donc. Finalement, pour le prochain millénaire mon petit truc familial à La Beaule fera l’affaire…Il  restera Nouvelles Frontières pour les amoureux du voyage.
Xavier Delvart (MP 1993)