DINER-DEBAT

avec

Hubert DU MESNIL (MP 1974)

Directeur Général d'Aéroports de Paris
lundi 8 décembre 2003
" La privatisation d’un Etablissement Public : l’avenir d’Aéroports de Paris "
 
Le Gouvernement a décidé de « privatiser » Aéroports de Paris (ADP). ADP est aujourd’hui un Etablissement Public de l’Etat chargé de la gestion des aéroports d’Ile-de-France, et il doit donc devenir une Société Anonyme, avec une perspective d’ouverture du capital.
- Comment se conduit cette réforme en termes de méthode et de calendrier ?
- Comment est-elle vécue et comprise de l’intérieur ?
- Quelle est son implication dans les relations de l’Entreprise avec ses clients (les compagnies aériennes), ses salariés, et son actionnaire (donc l’Etat) ?
- Comment se conduit un tel processus de changement sur le plan managérial ?

Né le 24 septembre 1950 à Bayonne (Pyrénées Atlantiques), Hubert du Mesnil est ancien élève de l'Ecole Polytechnique et Ingénieur Général des Ponts et Chaussées. Il a été chef du service maritime d'Ille-et-Vilaine et directeur du Port de Saint-Malo de 1975 à 1981, directeur de l'exploitation du Port Autonome de Marseille de 1981 à 1987, directeur général du Port Autonome de Dunkerque de 1988 à 1993, Directeur des Ports et de la Navigation Maritimes de 1993 à 1995, et Directeur des Transports Terrestres au Ministère de l'Equipement, des Transports et du Logement de 1995 à 2001.

Il a été nommé en Conseil des Ministres Directeur Général d'Aéroports de Paris le 31 octobre 2001. Hubert du Mesnil a été notamment administrateur de la Compagnie Générale Maritime et de La Poste ; Commissaire du Gouvernement de la SNCF, de la RATP, de Voies Navigables de France et de Réseau Ferré de France. Marié, père de cinq enfants, Hubert du Mesnil est Chevalier de la Légion d'honneur, Officier de l'ordre national du Mérite et Chevalier du Mérite maritime.

Cercle Militaire, Paris 8

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Compte-rendu

ADP : une étrange chose

Pour qu’un navire accoste, qu’un véhicule prenne l’autoroute ou que les avions puissent atterrir ou décoller, vous passez nécessairement par une case « infrastructures » : notre attention est plus souvent attirée par les métiers fournissant le service du transport que sur ceux qui ont a la charge de gérer celles-ci. Sur cette question notre esprit part bien souvent d’un présupposé implicite - et matériellement erroné - en se disant « c’est l’Etat… » qui se charge de cette partie « invisible » …même si elle imprime souvent sa marque dans le paysage.

ADP – Aéroports de Paris – gère les 14 aéroports de la région parisienne (les citer tous nominativement est une question qui vous occupera des heures ; nous y avons renoncé au bout de cinq minutes). ADP, ce n’est pas tout à fait « l’Etat » mais un établissement sus generis, créé au lendemain du deuxième conflit mondial et ayant de fortes similitudes avec un établissement public industriel et commercial – ce caractère étant apprécié de manière ad hoc par le Conseil d’Etat selon la nature du sujet dont il est saisi. Mais cette situation pourrait ne plus revêtir qu’un caractère « transitoire » en ce sens que la « privatisation » d’ADP fait dorénavant partie d’un agenda annoncé.

Plus prosaïquement, à l’aéroport, nous n’aimons pas les taxis, rares et onéreux, que l’accès soit encombré, que l’attente avant l’embarquement soit si longue. Malgré tous ces griefs, un sondage nous révèle que « nous aimons aller à l’aéroport » – dont l’ambiance est probablement associée au « voyage » -. Nous en aimons aussi beaucoup les boutiques, sujet sur lequel nous reviendrons largement. Nous ne sommes pas les seuls clients des aéroports … car il y aussi les compagnies aériennes, et on aurait presque tendance à l’oublier.

Gérer un aéroport : un concept commun pour des modèles extrêmes

Gérer un aéroport pourrait bien signifier assurer le minimum en ayant la virtualité du maximum et exige une capacité permettant de passer de ce minimum  - assurer la sécurité relative à l’atterrissage et à l’envol des avions - au maximum, celui-ci passant par la gestion de boutiques (voir avant), la sécurité intérieure, l’assistance en escale, le contrôle sanitaire, la promotion immobilière sur l’emprise foncière d’un aéroport etc…

Ces deux conceptions extrêmes ont chacune leur modèle d'organisation. Le modèle américain, entièrement public – et oui ça arrive, profitons-en pour le dire – se réduisant à la fonction de sécurité et qui conduit à des situations ou le gestionnaire d’un aéroport n’est parfois qu’un simple service municipal sans autonomie juridique. Le modèle européen, ou une structure unique, assure la plupart des activités possibles sur un aéroport – parfois à travers l’existence de filiales spécialisées par activité – et peut même exporter son expertise (ADP s’occupe ainsi de l'aéroport de Pékin ou de ceux du Nord du Mexique). Cette structure est soit remise intégralement entre les mains d’actionnaires privés (cas de l’Autorité aéroportuaire de Londres) ou partiellement (aéroport de Frankfort am Main), soit être une entité « publique » - cas d’ADP – dont, le directeur général reconnaît qu’il est parfois très difficile d’expliquer à des interlocuteurs étrangers la véritable nature. Quant à l'Espagne, elle s'est dotée d'une seule structure publique pour tout son territoire…

ADP : repérage avant l’atterrissage

ADP – 5ème société aéroportuaire du monde – génère 1,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires et emploie environ 8500 personnes. L’entité s’autofinance intégralement et, en dehors d’exercices exceptionnels, génère un résultat structurellement positif. De par son statut, il est inexact de dire que l’État est juridiquement « l’actionnaire » d’ADP : l’Etat a dans sa relation avec ADP de multiples rôles, « parfois contradictoires ». Les salariés d’ADP sont dans une situation statutaire de droit privé : le droit social privé régit leurs relations avec ADP mais les dispositions collectives relèvent, non pas d’une convention collective, mais de mesures statutaires soumises à agrément ministériel - formellement rarement activé - reconnaît  H du Mesnil. Enfin, les tarifs d’ADP ne sont pas libres, car ADP n’entretient pas de « relation commerciale » avec ses « clients ». Quels sont-ils ces véritables clients : on rappellera que les « boutiques » - dont nous avons parlé - constituent le premier centre de profit d’ADP. Les redevances – qui sont juridiquement différentes de tarifs et correspondent à l’usage des infrastructures par les compagnies aériennes - ne représentent que 30% du chiffre d’affaires. Il est aussi possible de présenter l’activité d’ADP autrement : 50% de l’effectif assurant des fonctions de sécurité dans des entreprises sous-traitantes, et en raisonnant sur la structure des coûts d’exploitation, on pourrait affirmer qu’ADP est aussi une entreprise prestataire de services de sécurité (230 millions d’euros de coûts, soit 15% du CA). Un aéroport – a fortiori – international, reste le lieu de tous les trafics dans tous les sens du terme et peut se définir comme une zone de « grand risque ». L’ordre public et la sécurité constituent des éléments internalisés au processus de production d’un service aéroportuaire – matérialisé par la présence d’un sous-Préfet, au sein même d’ADP. Cette imbrication ne résulte pas du fait qu’un aéroport soit public ou privé mais des contraintes mêmes de sécurité que pose la gestion aéroportuaire. La fiabilisation du recrutement des agents travaillant sur la plate-forme, notamment en matière de sécurité constitue un défi….pas très simple à relever. Mais retenez une chose : à l’aéroport, la menace de crise y est permanente et quotidienne.

Cette imbrication des métiers dans la fonction de gestion aéroportuaire n’a pour l’instant pas fait l’objet de trop d’investigations bruxelloises, qui a par exemple remis en cause l’adossement tarifaire pour financer de nouvelles autoroutes (en claire les autoroutes amorties paient pour les anciennes). Pour les aéroports européens, il semblerait donc que les anciennes pistes – amorties – puissent continuer à financer les nouvelles…Mais restons prudents. La réalité reconnaît aussi que si une concurrence « existe » bien entre les grands aéroports européens, elle demeure assez relative…

Privé ? Vous avez dit privé ?

La privatisation étant annoncée, elle amène bien logiquement avec elle des questions et notamment celle des relations avec les compagnies aériennes pour la détermination des redevances demandées dans le futur (dont on a vu qu’elles ne constituaient pas la part essentielle du chiffres d’affaires). On comprend que grâce à la privatisation, les dites compagnies auront le privilège d’avoir une véritable relation client avec une entreprise privée, mais vis-à-vis de laquelle la nature de la relation économique n’aura pas fondamentalement changé : toute compagnie aérienne souhaitant atterrir à Paris se trouvera face à un interlocuteur unique, et malgré la privatisation, n’aura pas le choix entre plusieurs offreurs. Une hypothèse consisterait à envisager l’éclatement d’ADP en plusieurs structures pour créer une concurrence – par nature inégale - entre aéroports « différents » …Outre le fait que cette solution ne ferait pas les affaires d’ADP, elle ne fut d’ailleurs pas retenue par le modèle londonien (dans le souci de l’intérêt des actionnaires ?). La privatisation des monopoles n’effraie plus personne – on se remémorera que dans les années 80, le discours prescrivait la privatisation de ce qui était le fait d’une offre concurrentielle. Sur le sujet nous avons donc bien progressé et moyennant la mise en place d’un garde-fou tarifaire - sous forme de mécanisme légal relatif à l’évolution des redevances demandées aux compagnies aériennes -, on peut tout imaginer. Cette solution fut retenue à Londres : une bonne raison donc de l’envisager chez nous.

Privatisation veut d’abord dire « actionnaire ». On convient à ce stade que l’Etat est appelé à rester majoritaire – mais ceci fait aussi débat : là encore, les années 80 et 90 doivent rester en mémoire, et la réalité a rapidement dépassé les promesses. En ce qui concerne ADP, plusieurs options sont en débat : un actionnariat qui pourrait comporter des collectivités locales (cas de Frankfort am Main), les salariés, investisseur institutionnel de référence ou une dilution dans le grand public ce qui suppose une ouverture relativement large du capital. A ce stade, …

Pour l’instant, indépendamment de ses finalités, l’objectif principal d’H du Mesnil, en tant que directeur général, vise à transformer une décision politique et régalienne – la transformation d’ADP en S.A – en un projet d’entreprise mobilisateur interne qui aille à l’encontre d’une perception présentant, à tort, cette privatisation comme une manière de financer le déficit budgétaire. La « privatisation » annoncée est conçue comme le moyen de favoriser l’émergence d’une culture donnant la priorité à la performance et à l’efficacité du service fourni, bien plus que celle du « profit ».. Le parcours d’H du Mesnil l’invite à nous faire réfléchir sur la définition de ce que pourrait être la performance en matière de service public, sachant qu'elle reste majoritairement perçue comme « l’accroissement permanent de moyens supplémentaires »…

Air France et ADP : verzoening via Schiphol ? – (concept de stratégie réservé aux initiés)

Sujet vaste et délicat pour ADP : Air France représente 60% des redevances, et inversement Air France dépend d’ADP dans son développement. Soyons clairs; les réflexions de cette soirée ne laissent pas envisager qu’un jour Air France soit l’actionnaire de référence d’ADP ; la prudence exigera que nous ne franchissions pas le couloir aérien du politiquement incorrect sur ce vaste sujet. On constate rarement une telle situation ; à l’inverse, de grandes compagnies aériennes américaines disposent de leur propres infrastructures (terminaux) dans l’aéroport leur faisant office de base – ce qui reviendrait à un découpage d’ADP - mais cette fois-ci sous une autre forme que celle envisagée précédemment. Ce constat permet d’aller plus loin : H du Mesnil ne nie pas le fait que l’arrivée des compagnies «  à bas coûts » constitue une chance de développement pour les aéroports - c’est le cas pour l’aéroport de Frankfort am Main – et qu’il en souhaite la venue dans les airs parisiens (message reçu). L’évolution de la compagnie nationale - son rapprochement-fusion avec KLM notamment – ne laisse cependant pas ADP indifférent en ce sens qu’elle impliquera un travail nécessaire de rapprochement et coordination avec Schiphol. H du Mesnil reconnaît que les autorités aéroportuaires néerlandaises ont nettement mieux su gérer leurs relations avec les milieux défenseurs de l’environnement.

L’aéroport est certes le lieu ou se met en place l’imaginaire du voyage, mais aussi une structure qui est source de nuisances pour le cadre de vie : on pense naturellement au bruit mais moins souvent à la pollution de l’eau car les pistes doivent être régulièrement nettoyées. Le cahier des charges d’ADP devra prévoir une régularisation environnementale. Cela ne signifie pas que rien ne soit fait. Orly a vu le développement de son trafic plafonné à un nombre de mouvements par an (250 000), tandis que Roissy est contraint par un taux maximum de nuisances sonores émises : cette deuxième solution ne plafonne son trafic dans l’absolu mais contrainte à la recherche de solutions plus innovantes en termes de gestion des vols autorisés. L’effet paradoxal d’un plafonnement comme celui appliqué à l’aéroport d’Orly est de dissuader les compagnies de s’y installer – anticipant un handicap futur à leur développement – et le trafic de l’aéroport reste actuellement en deçà du plafond fixé (210 000).

En conclusion

J’aurai appris qu’ADP est actuellement une structure publique rentable, monopolistique de fait, mais compliquée et dont le métier réel ne se reflète pas dans une lecture déformée des chiffres qui le mesurent et dont le principal centre de profit serait constitué par « les boutiques ».Tout cela me semble constituer de bonnes raisons de privatiser l’ensemble, mais je ne retrouve en rien les discours qui ne furent enseignés sur ce sujet il y a vingt ans (j’ai donc bien fait de ne pas les écouter). Non, en ce soir de début décembre 2003, une idée géniale émerge : dans une optique de privatisation des aéroports qui consiste à maximiser le profit - car c’est bien ça l’enjeu fondamental d’un actionnaire privé, et ce n’est pas la sagesse financière qui contredit cette considération de bon sens dont je crois avoir compris qu’elle est confirmée par l’expérience de la privatisation des aéroports de Londres - il suffirait de construire des aéroports, ayant des parkings gardés et des boutiques mais où les avions n’auraient pas le droit d’atterrir (plus de problème de bagage, de risque d'accident, de coordination, plus de pistes à entretenir…). Mon voisin de table, tempéra cette inspiration génialement créatrice en m’indiquant poliment que le concept était déjà déposé et s’appelait un « centre commercial ».
Xavier Delvart (MP 1993)