DINER-DEBAT

avec

Madame Nicole NOTAT

Secrétaire Générale de la CFDT
Mardi 16 février 1999
" Le syndicalisme dans la France des années 2000 "
 
Nicole Notat a été élue Secrétaire Générale de la Confédération Démocratique du Travail en novembre 1992.

Née en 1947 dans la Marne, elle a été institutrice spécialisée, avant de devenir secrétaire du SGEN dans la Meuse, puis membre de la commission exécutive régionale. A partir de 1982, elle a intégré les instance confédérales, en tant que membre de la commission exécutive, puis secrétaire générale adjointe en 1988.

Le récent congrès de Lille de décembre 1998 l’a réélue avec près de 78% des voix.

Hotel Hilton, Paris 7

photo n°1 - dd_notat photo n°2 - dd_notat photo n°3 - dd_notat (pour agrandir une photo cliquer dessus)
Compte-rendu

Beaucoup de participants pour ce dîner, dont le nombre a dépassé 80 - un record pour les dîners du club Pangloss. Une bonne occasion aussi de revoir d’anciens Panglossiens, un peu perdus de vue. Sabine Dassonville accueille sobrement mais chaleureusement Nicole Notat assise à coté d’elle, rappelant le thème de la mission FNEP 98 : « Travail, mode d’emploi ». Puis J.L Joliot, à l’origine de la venue de Madame Notat ajoute quelques mots de bienvenue. Nicole Notat, dit-il, est une femme lucide, courageuse, attachée au parler vrai et juste. Et J.L Joliot, évoquant son aventure personnelle de syndicaliste (après sa mission FNEP en 1975 « La condition du travail dans la grande industrie ») de conclure « Le syndicalisme n’est pas simplement un contre-pouvoir mais aussi une grande aventure humaine » !

Le débat est ensuite engagé autour de deux thèmes principaux :
1- Le statut et l’évolution des relations sociales en France et à l’étranger,
2- Les actions et projets de la CFDT.

1. Statut et évolution des relations sociales, en France et à l’étranger

1.1. La C.E.S. : (Confédération Européenne des Syndicats)

Elle rassemble 58 millions d’adhérents (la quasi totalité des syndicats européens). La CES. repose sur des organisations bien ancrées dans leurs réalités nationales. Elle a élaboré une vision de l’Europe, oeuvre dans ce sens avec ses interlocuteurs (le patronat européen et les Institutions européennes) ; elle est capable de mobiliser (ex : à l’occasion de la fermeture de l’usine Vilvorde) et de négocier. A ce propos, cinq négociations ont eu lieu entre patronat et syndicat au niveau européen. Deux ont réussi (dont le congé parental), une est en cours sur les CDD et deux ont échoué (dont la consultation des salariés). En résumé, les résultats ne sont pas négligeables alors que l’on fustige la visibilité de l’Europe Sociale.

1.2 L’enjeu européen

L’Europe est une chance pour donner une réelle consistance aux rapports sociaux en Franœ. Le traité de Maastricht contient effectivement un protocole social qui définit les rapports des partenaires sociaux au niveau européen. L’Europe Sociale se bâtit sur une base contractuelle et par impulsion législative. Au sein de l’Europe, la France est un pays atypique à de nombreux égards : division des syndicats, politisation et faible représentativité, faiblesses de l’organisation du monde patronal. En France, la confrontation des points de vue n’existe pas, et c’est la culture du conflit qui domine. A l’inverse, dans de nombreux pays d’Europe, le conflit est finalisé (ce qui change tout). L’enjeu européen consiste donc à passer de cette logique bien française du conflit à une logique ancrée dans la culture contractuelle.

Le modèle social européen n’est pas le modèle américain. L’ouverture sur l’économie de marché est certes nécessaire mais la concurrence généralisée ne doit pas signifier la loi de la jungle. Chacun doit avoir accès aux droits fondamentaux. Le service au public, qu’on l’appelle service universel minimum ou autre, n’est pas un anachronisme. Il faut en effet garantir une protection sociale à chacun et faire respecter cette garantie collectivement. L’espace contractuel est une réalité qui doit prendre corps dans l’espace de demain. L’important n’est pas tant le débat franco-français sur le statut des entreprises mais bien la conception et la définition des missions de service au public - France Télécom en est un bon exemple. Plus généralement c’est une bonne chose que la construction sociale de l’Europe soit maintenant perçue comme une nécessité. Il parait utile d’avoir des éléments de comparaison fiables entre les différents pays grâce à des observatoires. D’où la nécessité d’avoir une démarche sociale identique à celle de la construction monétaire européenne. Avec des objectifs assignés à chaque Etat sur l’emploi, la réduction du temps de travail...

1.3 La nécessaire clarification des responsabilités

En France, l’Etat a un poids prépondérant. La conception de l’Etat jacobin, centralisé, garant du développement économique, qui fixe les règles du droit social a vécu. Il est aujourd’hui nécessaire de réfléchir à l’efficacité de l’Etat, indépendamment de la construction européenne. La faiblesse et l’inorganisation des corps intermédiaires et des partenaires sociaux constituent autant de raisons de l’affaiblissement de l’Etat. Comment remédier à cette faiblesse des partenaires sociaux ? L’articulation actuelle des pouvoirs au niveau européen peut changer cela et permettre à chaque protagoniste d’exercer pleinement ses responsabilités et le rôle qui lui est propre. Les prérogatives des uns et des autres doivent donc être clarifiées.

L’Italie est une bonne référence. En effet, il existe là-bas un schéma de convergence sur le pacte social et la valeur ajoutée de l’ensemble des syndicats ne nuit pas à l’identité de chacun. Mais effectivement l’Italie ne connaît pas une prégnance de l’Etat aussi marquée qu’en France. Chez nous, il faut sortir de la situation où tout le monde fait la guerre à tout le monde. Donnons la chance à ceux qui sortent de l’immobilisme de ne pas être soupçonnés de vouloir brader les acquis sociaux. En France, nous sommes loin d’un dialogue social constructif, ayant l’épaisseur nécessaire. Nombreux sont les paradoxes typiquement français. Ainsi l’Etat employeur qui montre rarement l’exemple de la négociation. L’Etat, par nature, ne négocie pas et prend des décisions qui l’impliquent seul. Les modalités des relations sociales entre l’Etat employeur et ses agents posent problème. Est-il normal que ce soit le ministre qui négocie? Dans les entreprises privées, les relations sociales font parfois partie du paysage, des réalités (surtout dans les grands groupes). Les entreprises publiques sont souvent à la traîne de ce point de vue. Chaque acteur doit reconnaître la légitimité de l’autre dans des règles du jeu redéfinies. Tel est l’enjeu pour permettre en France de sortir du sous-développement en matière de relations sociales.

1.4 La mue de la CGT

La CFDT a émis un vote favorable en 1998 à l’entrée de la CGT dans la C.E.S. alors qu’en 1996, ce vote était négatif. En effet sur les trois points suivants, la CGT a montré des signes d’évolution dans le bon sens;
• Des relations « normales » avec les autres syndicats,
• Une capacité de négociation (et pas uniquement de protestation radicale),
• L’inscription du syndicat dans un projet européen.

Ce qui se joue constitue une chance pour le syndicalisme français et européen. Le moment de l’entrée de la CGT et conjointement de l’UNSA à la CES peut faire sens. Une nouvelle page du syndicalisme en France semble se dessiner assez rapidement. Mais rien n’est écrit...

2. Les actions et projets de la CFDT

2.1 Présentation de la CFDT

La CFDT compte 725 000 adhérents. Le nombre d’adhérents est fondamental pour les fonds propres sinon il existe un risque de dépendance (des subventions), Il va de soit que ce taux de syndicalisation est insuffisant. Aussi le syndicat doit-il tenter de coller aux évolutions du salariat, être implantés là où ils sont. Dès 1985, la CFDT a abordé le problème de la désyndicalisation et a cherché à innover dans la façon d’intéresser les salariés à notre action. La CFDT connaît pour la 10ème année consécutive une progression du nombre de ses adhérents. Cette progression atteint 5 % en moyenne depuis 5 ans. La progression est même à deux chiffres dans certains secteurs, dont celui des services.

2.2 La réduction du temps de travail (RTT)

Les négociations de branche dans le privé sont plus nombreuses que prévu et se font généralement dans l’esprit de la loi (malgré les accords de branche «torpilles»). A mi-février 1999, 140 branches sont déjà engagées dans les négociations. Environ 70/80 branches n’ont pas terminé les leurs. Ces négociations de branche donnent un cadre déclinable ensuite dans les entreprises, car il est vrai que les réalités varient d’une entreprise à l’autre. Il faut donc avoir la capacité de faire du sur-mesure et non du prêt à porter. La 2ème loi à venir sur la RÎT ne doit pas casser la mécanique de «sur-mesure» et de négociation au moment d’aborder la transition avec la première loi. Il est évident qu’il vaut mieux conclure les négociations avant l’échéance de la 2ème loi. Toute solution attentiste peut s’avérer délicate à gérer ultérieurement. Ceux qui auront conclu un accord avant l’échéance de la 2ème loi ne peuvent que mieux s’en sortir par la suite. Le calendrier ne se retournera pas contre ceux qui ont joué te jeu. Fin mars, début avril, nous aurons des éléments d’appréciation plus tangibles sur les accords de branches. En ce qui concerne les cadres, ceux-ci ne souhaitent-ils pas eux aussi une évolution favorable du partage entre leur vie privée et leur vie professionnelle ? Enfin dans une conception d’annualisation, voire de pluri-annualisation du temps de travail, on peut envisager un cumul d’heures dont on pourrait profiter ultérieurement.

2.3 Le système de retraites

Nous serions irresponsables si nous n’examinions pas le système actuel de retraites. Le choc démographique, l’augmentation de l’espérance de vie sont des certitudes. Il sera impossible de garantir les niveaux de pensions des futures générations dans les conditions actuelles. L’orientation est claire : il faut réformer le système de retraites par répartition, en maintenant les principes qui lui ont donné corps, en définissant les nouveaux critères et en cherchant à adapter ceux-ci aux conditions nouvelles. La CFDT n’est pas favorable à une augmentation de l’âge du départ à la retraite de 60 ans à 62 ou 63 ans. Elle entend plutôt privilégier l’aspect « durée des cotisations » afin de prendre en considération les spécificités des parcours individuels. Face à ce problème majeur qui est un problème de société, il est de notre responsabilité de refonder un nouveau climat social, en évitant d’accentuer les clivages entre le privé et le public. La CFDT est ouverte à une discussion sur la création d’un troisième étage, l’épargne salariale. Pour ce faire, la méthode adoptée par le plan est utile et pédagogique, car elle permet d’associer les acteurs sociaux au processus de prise de décision. Il sera ensuite plus facile de sensibiliser l’opinion, de lui présenter clairement les réformes et apaiser ses craintes somme toute fort légitimes.

Il semble que le blocage psychologique de l’opinion vis-à-vis du troisième étage de retraites est moindre qu’il y a deux ans. Cela est perçu comme une bouée de sauvetage. Les gens aujourd’hui ont envie d’épargner aussi pour eux-mêmes et pas seulement pour payer les retraites actuelles. Les prélèvements sociaux paraissent déjà élevés ; c’est pourquoi il nous faut prévoir ce qui est susceptible d’arriver et donc susciter une adhésion sociale forte sur les choix à faire. De même que les retraites complémentaires sont basées sur des contrats sociaux et non sur une base individuelle, il faut adopter la même démarche pour les retraites par capitalisation. Les conditions de cette épargne salariale doivent être contrôlées pour éviter les dérives. Rappelons que depuis 4 ou 5 ans, la retraite complémentaire a été généralisée avec un taux unique. Aujourd’hui, la question épineuse est celle des régimes spéciaux. En tout état de cause, le plus important est la façon avec laquelle se fera «la digestion» culturelle et sociale des décisions à venir en la matière. Ceux qui réfléchissent aux solutions techniques ne doivent pas couper leur raisonnement de la capacité d’entente et de compréhension de la population.

2.4 La nouvelle donne

Il y a un nouveau repositionnement syndical lié à la réalité de l’entreprise, y compris dans les P.M.E.
a) Fonds de pension étrangers :
L’entrée des fonds de pensions étrangers dans le capital des entreprises françaises change la donne, y compris celle de la politique salariale dans l’entreprise. Il nous faut nous approprier cette réalité car c’est une nouvelle donne de l’action syndicale.
b) Entreprises Publiques :
Dans les entreprises publiques, les rapports entre partenaires sociaux ne sont pas toujours empreints de la plus grande clarté. Il arrive que les syndicats se sentent propriétaires de ce qui doit être fait par les directions, et les directions agissent parfois avec le sentiment de l’existence d’un « correspondant » dans l’entreprise (et le risque d’instrumentalisation qu’on imagine).
c) La participation des femmes :
Dans le salariat français, il y a 46 % de femmes. La CFDT est en avance sur cette prise de conscience des progrès à effectuer en matière de parité hommes/femmes. En 1982, une mesure a été prise pour favoriser l’accès des femmes aux responsabilités et cela a été inscrit dans les statuts de la CFDT. Il y avait seulement une femme en 1982 dans l’organisme dirigeant (pour 31 membres). Aujourd’hui 9 organisations sont dirigées par des femmes (pour 22 régions et 18 fédérations).
d) Flexibilité et modernisation :
La flexibilité est acceptable quand sa justification pour l’entreprise qui l’utilise ne fait pas de doute. Elle devient un moyen d’adaptation que se donnent les entreprises pour faire face aux fluctuations de leur charge de travail, pour introduire de la souplesse et de l’adaptation dans les formes d’organisation du travail. L’annualisation du temps de travail peut donc parfois être une réponse.

En conclusion...

Sylvie Lainé a félicité Madame Notat pour son syndicalisme de projet, fondé sur un « humanisme ». Un syndicalisme fondamentalement utile, avec son sens de la nuance et sa compréhension des nouveaux enjeux. Un Syndicalisme où il s’agit de créer des réseaux alliant solidarité et ouverture.. .et où le Club Pangloss se retrouve... dans l’esprit. A Madame Notat, le mot de la fin et qui, évoquant les travaux de la mission FNEP 98 sur « Travail mode d’emploi » déclare : cette soirée est utile aussi pour nous, car la confédération s’attache à toujours rester ouverte à... d’autres idées.
Philippe Costerg (MP 1983)