DINER-DEBAT

avec

Monsieur Jean-Claude PIRIS (MP1975)

Directeur général du service juridique du Conseil de l'Union Européenne
Vendredi 12 janvier 2007
" L'avenir de l'Union européenne après le référendum du 29 mai 2005 sur le traité constitutionnel "
 
Jean-Claude PIRIS, né le 14 novembre 1943, diplômé en droit, de Sciences Po, ancien élève de l’ENA, est Conseiller d'Etat. Il a été diplomate auprès de l'ONU (New-York) de 1979 à 1983, puis directeur au Service juridique de l'OCDE de 1985 à 1988, et enfin directeur général du Service juridique du Conseil de l'Union Européenne depuis 1998. Il a été conseiller juridique des conférences intergouvernementales ayant négocié et approuvé les traités de Maastricht (1992), d'Amsterdam (1997), de Nice (2001) et le traité constitutionnel (2004). Il est lauréat de la FNEP, MP1975.

Depuis les "non" français et néerlandais, l'UE fonctionne moins bien. Le choc psychologique du "non" a des répercussions qui se prolongent et s'accentuent, s'ajoutant à l'effet de l'élargissement. L'Union fonctionne au ralenti. Dans le même temps, nombreux sont ceux qui regardent ses institutions comme insuffisamment démocratiques. L'Union a besoin de remettre à plat son fonctionnement et d'un geste fort pour sortir de sa torpeur. Mais cela est-il envisageable à court ou à moyen terme, compte tenu des divergences entre Etats membres ?

Bibliographie : The Constitution for Europe, Cambridge University Press, 2006, 284 pp, 22,99/50 £, voir : www.bruylant.be
Articles du 13/12/2006 sur les gels d'avoir d'organisations dans l'UE : Figaro - Libération

Cercle Militaire, Paris 8

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Compte-rendu

Jean-Claude PIRIS1 est diplômé en Droit, de Sciences Po, et ancien Elève de l’ENA. Il est conseiller d’Etat. Dans ses fonctions actuelles, il a été conseiller juridique des conférences intergouvernementales ayant négocié et approuvé les traités de Maastricht (1992), d’Amsterdam(1997) et de Nice(2001) et le traité constitutionnel (2004). Il est lauréat de la FNEP (MP 1975).

La soirée a été honorée par la présence de Madame l’ambassadrice d’Irlande et de plusieurs personnalités européennes.

L’état de l’Union européenne n’est pas aujourd’hui en situation de catastrophe. La machine européenne est une machine à fabriquer du droit. Elle continue à fonctionner à l’exemple de la Directive des Services, de la Directive Reach. Mais à 27 pays et en général 60 personnes autour de la table des négociations il existe une certaine difficulté à délibérer et à adopter des décisions à l’unanimité.

Le problème de compréhension du fonctionnement de l’Europe se pose et cela mine sa légitimité, car il est nécessaire de comprendre pour contrôler.

Depuis le référendum, d’une certaine manière, il existe un état de langueur, de marasme, de torpeur, qui caractérise une période de crise. Cela porte un risque de déclin de l’Europe.

Mais la France a-t-elle besoin d’Europe ? L’Europe a indéniablement installé une paix durable dans cette région du monde secouée par les affrontements. Elle a aussi permis de développer les droits de l’homme et de la démocratie, avec un gain sensible en France. L’Europe a aussi exercé une influence économique majeure, qui se caractérise par le Marché Commun et a été un aiguillon de la modernisation.

Pour l’avenir, le besoin d’Europe est évident dans le domaine économique, pour la protection de l’environnement, pour faire face au changement climatique, dans la lutte contre la criminalité et l’immigration illégale, mais aussi l’Europe nous conduit à l’obligation de réforme et d’ouverture sur le monde.

Dans le domaine de la sécurité intérieure et extérieure l’apport de l’Europe est visible, tel l’apport européen dans la résolution de la crise des Balkans. L’Europe est un acteur global dans le monde, avec une conception différente de celle des Etats-Unis. Elle a un rôle qui est apprécié à l’extérieur. Le monde a donc besoin d’une entité européenne qui est aujourd’hui, le premier donateur mondial, le premier pourvoyeur de casques bleus. En synthèse, l’Europe est exportatrice de paix. Même les Britanniques estiment qu’aucun des défis du XXIéme siècle ne pourra être relevé en dessous de l’échelle européenne.

Mais qu’en est-il de l’évolution de l’Union européenne vers un statut d’état fédéral ? Le premier aspect d’un Etat est la souveraineté. Ce n’est pas le cas aujourd’hui de l’Union européenne, dont les compétences sont définies par les Etats dans un traité. Les attributs essentiels d’un Etat, à savoir un territoire, un peuple et un gouvernement ne sont pas vraiment le propre de l’Europe. Le gouvernement, en particulier, a une définition complexe. De plus l’Union européenne n’a pas les moyens d’un Etat. Ses ressources sont faibles (environ 1% du revenu national des Etats Membre). Elle a peu de ressources techniques et administratives (moins de 30000 fonctionnaires) Elle n’a pas de moyens de coercition, et ces moyens sont laissés à l’instigation des seuls Etats. Elle a une administration indirecte.

Pour son évolution future, Jean-Claude Piris ne croit pas à une tendance vers un état fédéral, c’était difficilement envisageable à 6, au démarrage, Après l’élargissement au Royaume Uni, c’était déjà devenu inimaginable. A 27, les disparités et les divergences sont telles que plus personne ne croit que cela est possible. Ainsi, le traité constitutionnel avec ses caractéristiques comme la possibilité pour un Etat de sortir de l’Europe ou le respect des fonctions régaliennes des Etats membres démontrait que l’on ne tendait pas vers un état fédéral.

L’Europe est située entre une organisation internationale et un état fédéral. La question la plus difficile à résoudre est la composition de la Commission, la solution d’avoir 2/3 des états membres titulaires d’un portefeuille, par roulement, n’est pas totalement satisfaisante pour les gros pays, mais préserve les petits.

On peut cependant s’interroger sur l’aspect démocratique des décisions européennes. Formellement c’est le cas. La commission est élue indirectement et ses propositions sont soumises au conseil et au parlement européen élu directement, qui possède un droit de codécision. La participation de la société civile est aussi organisée. Il y a une consultation développée avec un lobbying actif et on constate une réelle maturation des propositions. Cependant les citoyens n’en sont pas convaincus et il n’y a pas de solutions faciles pour modifier cette perception, en dehors de l’utopie fédérale.. Ainsi, on constate une participation de plus en plus faible aux élections.

La solution facile (fédéralisme, élection directement du Président de l’Europe) n’existe pas car les Etats n’en veulent pas ; il faut donc tenter de motiver autrement les citoyens. Certains éléments de réponse se trouvaient dans le traité constitutionnel.

Ce traité n’est pas une constitution, car il n’existe pas de pouvoir constituant dans l’Union européenne. Celle-ci n’est pas et ne devrait pas devenir un Etat. Le traité a, peut-être, été baptisé à tort traité constitutionnel, car il s’agit d’une décision des gouvernements et des parlements nationaux.

L’objet premier est de simplifier les textes fondateurs ; On passe de 17 traités avec 2800 pages à un traité unique de 400 pages. Par manque de volonté des Etats, un texte plus court était impossible. Cependant, une synthèse de 30 pages a été réalisée (Partie I du traité constitutionnel).

Des avancées objectives existent dans ce texte :
- une meilleure assise démocratique (avec environ l’ajout de 40 cas de co-décision du parlement) ;
- une clarification des limites de la subsidiarité ;
- un pouvoir direct d’interpellation donné aux parlements nationaux et aux citoyens ;
- un président stable pour deux ans et demi et à plein temps du Conseil européen (réunion des Chefs d'Etat ou de gouvernement) ;
- un ministre des affaires étrangères à plein temps pour cinq ans ;
- des modalités un peu plus souples de révision du traité.

Le traité ne portait pas sur une modification substantielle des équilibres existants. On note simplement un contenu social plus affirmé.. Néanmoins les états membres ne souhaitent pas se départir de leurs pouvoirs dans les domaines fiscal et social. De ce point de vue, l’harmonisation fiscale est une utopie. De même, s'il y avait harmonisation sociale, la majorité des états membres serait probablement favorable à une baisse des minima sociaux, pas à leur relèvement.

On note davantage de changement dans les domaines de la justice et de la sécurité intérieure (coopération judiciaire et policière), contre un immobilisme constaté aujourd’hui en ce domaine.

Le traité présentait aussi des progrès en matière de défense. Enfin le traité était fondé sur des valeurs fondamentales (davantage de droits aux citoyens, cour de justice européenne) Il contient donc de réels progrès.

La question se pose de ce que l’on peut faire aujourd’hui. Pour sortir de l’impasse, on peut s’inspirer de l’exemple du traité de Maastricht, pour lequel le référendum au Danemark avait été négatif. Suite à la demande des autres Etats et à une explication interne politique, le Danemark a voté de nouveau en référendum sur le traité assorti de quelques déclarations sur les "opt out" du Danemark, avec cette fois un résultat positif. Mais la crainte était alors forte au Danemark de sortir de l’Europe.

De même, le référendum irlandais négatif sur le traité de Nice a conduit à une consultation des formations politiques et une déclaration sur la neutralité, qui a été suivie d’un deuxième référendum positif.

A ce jour seuls deux pays ont voté contre le traité constitutionnel, la France et les Pays-Bas. Dix-huit Etats l'ont ratifié. Mais contrairement aux cas précédents, on ne fera jamais croire aux français et aux européens que l’Europe peut se faire sans la France. Pour Jean-Claude Piris, qui s’exprime à titre personnel, un traité différent doit être proposé à la France pour un nouveau référendum ou un vote du parlement. Selon lui, il convient de changer et de simplifier en premier lieu la structure et la présentation du traité et d’ajouter et/ou d’enlever des éléments, éventuellement par voie de protocole, tout en clarifiant qu'il s'agit d'une révision des traités existants et non pas d'une "constitution".

La question du calendrier présente aussi deux options. Il convient soit d’agir vite en raison de l’état de crise et des échéances importantes de 2009 (élections européennes, révision des perspectives financières, remise en cause de la PAC et du rabais britannique).

Un autre groupe d’Etats membres veut ralentir le calendrier. Le dossier pourrait alors être réexaminé après les élections européennes de juin 2009, avec cependant le risque d’une participation faible et d’une implication limitée des citoyens lors de ces élections, et le cumul des difficultés avec la négociation des perspectives financières.

Sur les modalités de règlement de la crise, peu d’informations transpirent. Les allemands ne souhaitent pas changer la substance du texte, à la rigueur le nom. Les anglais sont attentistes et leur référendum a été suspendu. Les allemands qui exercent la présidence actuelle, développent des consultations bilatérales. Pour la première fois, le traité a été préparé par une convention, composée en majorité de parlementaires, ce qui est un gage de démocratie, puis par une conférence diplomatique. Tout cela pose le problème de la rectification des termes négociés. Toute modification comporte le risque d’une nouvelle négociation. L’anniversaire de 50 ans de la signature du traité de Rome peut présenter une opportunité de réouverture du dossier.

De la salle vient la remarque du rattachement nécessaire de la modification du traité à un grand projet car il y a aujourd’hui un déficit de message, contrairement à Maastricht, qui portait en son sein la création d’une monnaie unique.

Dans le débat qui s’ensuit, on notera que les autres pays ne comprennent pas pourquoi la France a pris le risque d'arrêter l’aventure européenne, avec le risque d’une Europe en panne.

Dans les échanges il apparaît que sur le sujet de l’élargissement, deux écoles coexistent l’une prônant l’élargissement aux nouveaux Etats, comme facteur de réduction de l’instabilité politique, l’autre étant opposée à l’élargissement. En mettant en doute la capacité européenne d’absorption et d’intégration. On notera cependant que les nouveaux états se sont plutôt bien adaptés ou coulés dans les institutions, à l’exception de leur activisme sur certains sujet tels l’adhésion de l’Ukraine ou la Biélorussie et les relations avec la Russie.

En politique intérieure, on constate que le débat n’est pas à la hauteur des attentes. De Royal, on ne sait rien et Sarkozy n’est pas constant dans ses propos, sans remise en cause fondamentale. Pour certains, les motifs du refus sont mélangés.

Madame l’ambassadrice d’Irlande note qu’après le traité de Nice, il n’y avait pas de choix pour l’Irlande, mais l’échec du traité constitutionnel traduit une perte d’innocence, de la tristesse. Pour les Etats fondateurs, il est nécessaire d’aller vers les nouveaux pays membres, de les aider. En ce sens, il y a une déception du rôle de la France. L’Europe garde toujours sa capacité d’attirance. Ainsi, la Suisse a déposé sa candidature à l’espace économique européen puis a gelé sa demande, mais de nombreux traités sont cohérents avec le fonctionnement de l’Europe et ils couvrent presque tous les domaines. Un projet de regroupement de tous ces traités en un seul est à l’étude…

Notre conférencier lors du dîner nous a laissé comprendre qu’il aime l’Europe et qu'il pose un regard réaliste et lucide, mais résolument optimiste sur son évolution. « L ‘Europe est faite de multiples équilibres, c’est cela qui fait son charme. »
Michel Galimberti (MP 1992)
1 Auteur du livre : "Le traité constitutionnel pour l'Europe : une analyse juridique" (Editions Bruylant, Bruxelles).