DINER-DEBAT

avec

Madame Renu SHARMA

Chef de mission adjointe à l'ambassade d'Inde auprès de l'Union européenne, de la Belgique et du Luxembourg
Vendredi 30 janvier 2015
" Relations entre l’Inde et l’Europe "
 
Renu Sharma, lauréate FNEP 1999, mission dont le thème était l’exercice du pouvoir dans l’entreprise et l’administration, est membre de l’IAS (Indian Administrative Service). Après avoir exercé des responsabilités territoriales au Finance General Administration Département, gouvernement du Mizoram, elle est désormais numéro deux de l’ambassade d’Inde à Bruxelles, et contribue à ce titre activement aux négociations en vue d’un accord de libre-échange entre l’Inde et l’Union européenne.

A ce titre elle nous parlera des relations entre l’Inde, plus grande démocratie du monde et l’Europe, vue de son poste d’observation privilégié. L’Union européenne et ses 28 Etats membres est le principal partenaire commercial de l’Inde avec 20% de ses échanges, pays continent dont l’économie se renforce de jours en jours. Par contre l’Inde n’est que le 10ème partenaire commercial de l’Union européenne pour 1,8% de ses échanges. Mais son dynamisme dans des domaines variés comme les services informatique fait que cette position se renforce de jour en jour, avec une croissance très rapide.

La Terrasse, Cité internationale universitaire, Paris 14

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Compte-rendu

Renu Sharma commence par évoquer les évènements dramatiques contre Charlie Hebdo et l’hyper-marché casher de Vincennes. Elle compatit à la souffrance des victimes et souligne qu’elle comprend la douleur d’un peuple qui affronte cette épreuve, l'Inde étant aussi victime de la violence aveugle du terrorisme. Elle retrace ensuite l’historique des relations entre l’Inde et l’Union européenne. Ces relations datent de 50 ans. En fait, l’Inde, qui acquiert son indépendance en 1947 et devient en 1950 la plus grande démocratie du monde, va très vite établir des relations avec la toute jeune Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). En 1994, l’Inde et l’Union européenne signent un accord de partenariat. Cet accord sera transformé en partenariat stratégique en 2004.

L’Union européenne est un partenaire incontournable de l’Inde. 14% des importations indiennes viennent d’Europe, alors que l’Inde ne fournit à l'Europe que 2,5% de ses importations. Le volume des échanges représente 95 milliards d’euros. L’Europe est aussi un investisseur privilégié en Inde. A elle seule, l’Union européenne a investi plus de 200 milliards de dollars pendant la dernière décennie, soit plus que les USA et le Japon réunis.

En Europe, le Royaume-Uni garde une position à part. A une question sur la relative faiblesse des investissements français vers l’Inde, R. Sharma mentionne que la France fait partie avec le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Belgique, des pays membres les plus dynamiques auprès de l’Inde. Outre les aspects économiques, ce partenariat se traduit par des sommets réguliers, des échanges culturels…

Quels sont les buts des négociations ?
L’Europe a pour but de promouvoir le modèle démocratique que l’Inde, première démocratie du monde, représente avec le monde occidental. L’un des buts est donc de construire grâce à ce partenariat stratégique une zone de paix et de prospérité. Pour l’Europe, il s’agit aussi de compenser une relative absence en Asie par rapport à ses concurrents principaux que sont les Etats-Unis et la Chine ; et ceci dans une économie en pleine croissance !

Pour l’Inde, l’objectif est d’affermir cette croissance mais aussi de trouver des solutions aux défis immenses posés à ce pays continent. Ces défis sont d’abord humains, en trouvant des débouchés à l’énorme réservoir de main-d’œuvre que constitue l’Inde, mais aussi en cherchant des solutions pour former les jeunes générations afin de leur donner une opportunité de s’intégrer dans le monde économique d’aujourd’hui. Un accord commercial, le BTIA (Broad Trade Investment Agreement), un accord général sur les investissements et le commerce, en clair un accord de libre-échange, est en négociation depuis 7 ans. Le but de cet accord est de réduire les barrières douanières, libéraliser les services, et les investissements.

Mais les négociations n’avancent pas. L’Europe demande la baisse des barrières douanières pour l’automobile, les vins et spiritueux, et les produits de luxe. L’Europe demande aussi l’ouverture du marché financier indien à des investissements étrangers. Les demandes indiennes concernent le marché des services, des conditions facilitées pour les voyages professionnels, et une clarification des règles de protection des données pour le secteur IT (information technologie).

D’autres sujets de discussions concernent les droits et la protection de minorités, mais aussi les mesures à prendre pour lutter contre le réchauffement de la planète.

L’espace-temps diplomatique n’a rien de commun avec le rythme des affaires mais nos amis diplomates indiens ont conscience qu’il est temps de franchir un cap dans les relations entre les deux entités. Pour R. Sharma, les relations entre les deux entités ne sont pas symétriques, et l’Inde doit faire face à des défis spécifiques :
- L’Inde est le pays qui, dans les 20 plus grosses économies mondiales, a le revenu par habitant le plus faible, et la population pauvre la plus importante (300 millions de pauvres).
- C’est un pays dont l’environnement est instable (en particulier avec le Pakistan).
- Mais c’est aussi une démocratie vivante, où 661 millions de votants ont porté au pouvoir Narendra Modi, premier ministre depuis le 26 mai 2014, avec une majorité confortable qui lui donne les moyens d’opérer les changements nécessaires pour apporter prospérité et dynamisme à son pays.
- L’Inde investit aussi sur l’éducation, domaine où les besoins sont énormes.

L’un des challenges pour les négociateurs indiens est de comprendre le fonctionnement de l’Union européenne et la répartition des attributions entre les prérogatives de l’Union et celles des états membres. C’est déjà un challenge pour les négociateurs, mais il leur faut aussi expliquer ce fonctionnement à leur pouvoir politique. Pour R. Sharma, la question n’est pas de changer ce modèle, mais de l’accepter et le comprendre ; « it is a given », nous dit-elle. Le challenge est de choisir le bon niveau d’intervention suivant les questions qui peuvent se poser.

R. Sharma explique que l’élection encore récente de M. Modi apporte l’espoir de la création d’une dynamique. Les objectifs du pouvoir indien peuvent se résumer à la révolution des trois couleurs, qui est une référence au drapeau national indien : le vert, pour une deuxième révolution dans l’agriculture en se centrant sur les céréales riches en protéines, le blanc pour l’élevage et la production de lait, le safran symbole du renouveau pour les énergies, avec le développement des énergies renouvelables, et le bleu, couleur du Chakra au centre du drapeau, pour une eau non polluée, favorisant le développement de la pêche. M. Modi a aussi lancé un programme ambitieux construit autour du concept du make in India. Ce programme s'appuie sur quatre piliers : un environnement des affaires plus propice, une production industrielle facilitée, des investissements ouverts aux entreprises internationales dans des secteurs critiques et enfin un marché du travail réformé.

Habilement, R. Sharma souligne la place de l’Europe dans la stratégie indienne. L’Inde entend aussi renforcer ses liens avec les superpuissances économiques que sont les Etats-Unis et ses voisins asiatiques, dont le géant chinois. Ces pays ont d’ailleurs fait l’objet de voyages officiels du nouveau premier ministre, ce qui n’est pas encore le cas en Union européenne. L’Inde garde donc sa tradition de non-aligné et d’une certaine indépendance. Dans la revue BIZ@INDIA de novembre-décembre 2014, que nous remet R. Sharma, nous pouvons lire que certains analystes considèrent que l’Europe est d’abord un pouvoir normatif, défendant des valeurs, mais est également très dépendante des USA pour des questions de sécurité, comme la crise des Balkans l’a démontré.

R. Sharma, en réponse à des questions sur la corruption, ou le drame d’une série de viols à New Delhi, tient à mettre en lumière une certaine évolution de la société indienne. La transparence devient une valeur importante, et les décideurs ont conscience que rien ne peut être caché à l’opinion publique. La société indienne a des défauts (quelle société n’en a pas ?), mais elle évolue et cherche à se réformer. Et ce dynamisme est source d’espoir.

M. Jamuar Sanjay, ingénieur-conseil d'origine indienne installé à Londres depuis 10 ans. a développé une société de conseil dans le secteur des transports, et garde de nombreux liens commerciaux avec son pays d'origine. Son témoignage d'homme d'affaires entre l'Europe et l'Inde apporte un éclairage complémentaire. Il annonce qu’il est devenu citoyen anglais et s’implique dans la vie politique locale. Bien qu’étant conservateur, il reconnaît la nécessité de la construction européenne pour pouvoir peser sur la scène internationale. A une question sur l’innovation frugale, il répond que le Jugaad était d’abord une notion péjorative, mais qu’elle devient positive petit à petit. La FNEP, qui inaugure un cycle sur l’innovation, a d’ailleurs prévu d’aller étudier ce phénomène du Jugaad dans les prochaines années.

En conclusion, le président du Club Bruno Auger, précise qu'il aimerait prendre du recul sur les réflexions que lui inspire la présentation de R. Sharma, d’abord sur l’Inde et son évolution, mais aussi sur la vieille Europe. Il n’est pas aisé pour l’Europe en crise de négocier un accord de partenariat, quand elle éprouve déjà du mal à résoudre ses problèmes intérieurs. Il n’est pas aisé de peser dans les négociations internationales, alors que des divergences entre les différentes nations européennes s’étalent au grand jour. Les discussions qui ont suivi cette présentation tournaient autour de la dette grecque, l’arrivée annoncée d’un nouveau pouvoir en Grèce. Au-delà du débat des économistes entre rigueur et relance, il faut insister sur la nécessaire solidarité européenne. Si elle veut peser sur la scène internationale, l’Europe doit résoudre ses problèmes intérieurs et avancer d’une seule voix.

Pour l’Inde, une mise en perspective de ce pays attachant s’impose. B. Auger a visité l’Inde pour la première fois en 1999, à l’occasion de la mission de la FNEP sur l’exercice du pouvoir dans l’entreprise et l’administration (MP 1999). Cette mission en Inde avait été préparée par Mme Sharma. Malgré la pauvreté omniprésente, un avenir dynamique se construisait dans le pays : l’Inde entamait une période de boom économique, qui faisait rentrer une part significative de sa population dans la société de consommation. Ce pays était marqué par l’optimisme, surtout comparé à l’époque avec le Japon, qui, bien que beaucoup plus riche, semblait rentrer dans une dépression profonde.

Quinze ans plus tard, l’exposé de R. Sharma montre que des progrès ont été accomplis, mais aussi que beaucoup reste à faire pour vaincre ce fléau qu’est la pauvreté. La tâche est énorme, et tous comptent sur des leaders charismatiques comme M. Modi pour créer le choc nécessaire. Notre amie Renu Sharma, qui s’est toujours battue pour l’intérêt du bien commun indien, continue d’apporter sa contribution à cette œuvre titanesque.
Bruno Auger (MP 1999)