MINI-MISSION A L'ETRANGER
, Mai%202009
La Syrie aujourd'hui

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Syrie, terre de religions
La Syrie, un des berceaux de la civilisation est un véritable conservatoire des cultures et des religions qui se sont stratifiées sur ces terres au cours d’au moins 5000 ans d’histoire. Les vestiges archéologiques sont exceptionnellement riches témoins des mésopotamiens, des romains, des perses, d’une très ancienne tradition chrétienne, du passage des croisés, de l’empire ottoman. Les différentes missions archéologiques au premier rang desquelles les missions françaises y ont engagé des campagnes de fouilles et nombreux sont les vestiges des cultes anciens mis au jour. La Syrie a à coeur de mettre en valeur ce patrimoine historique et culturel.

Le temple de Bêl à Palmyre par son exceptionnelle conservation témoigne de ce souci de préserver la mémoire des lieux de même que les châteaux des croisés, le Krak des Chevaliers ou ceux des Assassins (hashishin), notamment celui de Masyaf exceptionnellement bien restauré

Les Syriens ont depuis toujours accepté la coexistence de différentes religions pratiquées en toute tolérance mais aujourd’hui du fait de la montée de l’Islam partout dans le monde et des difficultés politiques de la région on constate une plus grande influence de la religion musulmane.

La Syrie a une tradition de tolérance à l’égard des cultes

A Apamée s’élevait un temple à Zeus Bélos où on venait de fort loin consulter l’oracle. Au IVème siècle s’y tenaient à la fois une école platonicienne et une forte minorité chrétienne qui y avait édifié des dizaines d’églises.

L’imposante église édifiée au Vème siècle pour honorer la mémoire de Saint-Siméon le Styliste vit les paysans de la région venus par villages entiers danser autour de la colonne comme le faisaient leurs ancêtres autour des idoles païennes.

Aujourd’hui coexistent pacifiquement deux grands courants des religions de notre temps, les musulmans et les chrétiens. Dés notre arrivée nous avons été accueillis dans le couvent Saint-Paul construit au-dessus de la grotte où selon la légende l’apôtre connut la révélation. Le lendemain nous avons visité la Mosquée des Omeyyades dont la salle de prière abrite un monument à Saint-Jean-Baptiste vénéré à la fois par les chrétiens et par les musulmans. Un des minarets particulièrement considéré porte le nom de Jésus où selon la tradition le Christ descendra sur terre lors du jugement dernier pour combattre l’Antéchrist. Sur le côté opposé s’élève le tombeau d’Hussein tué à la bataille de Kerbela et que les Chiites vénèrent.

Si l’Etat se proclame laïc, l’Islam est la religion largement dominante mais coexiste avec d’importantes minorités religieuses, environ 10% de Chrétiens divisés en multiples confessions et quelques milliers de juifs dont on nous a dit qu’ils n’avaient pas à pâtir des évènements politiques du Proche-Orient. Ils sont pour la plupart âgés du fait d’une importante émigration mais les maisons laissées vacantes par ceux qui sont partis sont encore en l’état en attendant un hypothétique retour.

Faute de recensements fiables, les proportions exactes de chaque communauté sont incertaines.

Islam87,5 %
dont : Sunnites
Alaouites
Chiites
74 %
10 %
3,5 %
Christianisme10 %
dont : Syriaques orthodoxes
Grecs catholiques
Grecs orthodoxes
Arméniens orthodoxes
3,5 %
1,3 %
1,2 %
1 %
Autres2,5 %
dont : Druzes1,5 %
Principales confessions en Syrie
La majorité musulmane est religieusement composite avec trois piliers principaux : le sunnisme, très présent dans les classes commerçantes, les Chiites plus nombreux depuis les évènements en Irak, les Alaouites. Ceux-ci sont certes musulmans mais leurs croyances comportent des éléments empruntés au christianisme voire des survivances d’un vieux fonds païen. Ils commémorent la mort d’Hussein comme les Chiites et ils effectuent le pèlerinage à La Mecque, mais ils célèbrent Noël et l’Epiphanie. Lors de leurs fêtes ils consomment de l’arak, ce qui offusque les musulmans orthodoxes. A l’origine relégués dans les montagnes, ils se sont engagés en masse dans l’armée à laquelle les Sunnites ne s’intéressaient guère. Ils sont maintenant très bien représentés au sein du pouvoir depuis 1963 et des différentes forces de sécurité, c’est la religion de l’actuel Président et de son prédécesseur.

Les communautés chrétiennes en Syrie sont parmi les plus importantes des pays arabes et bien intégrées. Outre les mosquées et les madrasas Damas et Alep comptent un grand nombre d’églises et de couvents représentant les divers cultes chrétiens. Bien entretenus, ils témoignent de la richesse des communautés et de leur ferveur. Dans les rues on croise couramment des religieuses en habit. A Saidnaya, dans l’église consacrée à une vierge miraculeuse nous avons pu observer au cours d’une longue messe orthodoxe le nombre et la ferveur des pratiquants parmi lesquels beaucoup de jeunes. Prés de là, à Maaloula des anciens ont conservé l’araméen, la langue parlée du Christ, des jeunes s’y essaient encore.

Dans les grandes villes on rencontre beaucoup de femmes voilées dont certaines portent le voile intégral ne laissant voir que les yeux ou qui se dissimulent derrière un voile noir couvrant leur visage. Les autres sont chrétiennes mais parfois aussi musulmanes.

La Syrie ne connaît pas de religion d'État, même si la Constitution impose au président d'être musulman et reconnaît la doctrine islamique comme « une source principale de la législation ». Les discriminations religieuses sont bannies.

Si le pays est dominé politiquement par la communauté alaouite et économiquement par les sunnites, les chrétiens ont encore un rôle dans les domaines économique et culturel.

Dans la pratique, l'État s'est efforcé, d'une part, de contenir l'expression politique de l'islamisme dans un cadre strict et, d'autre part, de laisser une grande liberté d'organisation aux communautés chrétiennes.

Les membres des différentes communautés relèvent, pour les questions de droit civil, des règles de leurs communautés. Le « statut personnel » permet ainsi aux chrétiens de ne pas relever de la Charia, avec toutefois d'importantes exceptions : l'adoption, la garde des enfants et l'héritage obéissent, en principe, au droit musulman. Dès lors que survient un problème de relation avec l'islam, c'est ce dernier qui l'emporte.

Il n’y a pas d’état-civil organisé par l’Etat. Ce sont les communautés religieuses qui célèbrent et enregistrent les mariages. Les mariages interreligieux ne sont pas reconnus, sauf pour les hommes musulmans qui sont libres d’épouser une femme d’une autre religion. S’ensuivent des difficultés pour les couples mixtes, une forte endogamie et une cristallisation des communautés. Un couple à Damas composé d’un druze et d’une Arménienne chrétienne orthodoxe a de la difficulté à obtenir une reconnaissance légale de son mariage. Pour que leur mariage soit légalement reconnu en Syrie, le mari devrait se convertir à l’Islam.

L’enseignement étant obligatoire, les écoles confessionnelles ont été étatisées. Toutefois, le gouvernement a laissé la direction de certaines écoles aux communautés religieuses. L'enseignement privé, en particulier sous la responsabilité des communautés chrétiennes est développé. Les madrasas sont nombreuses et actives.

La minorité chrétienne dispose d’un espace de liberté que ne lui conteste pas une majorité musulmane divisée. Mais l’équilibre est fragile.

L'islamisation de la société est patente

On constate, par exemple, l'évolution du port du voile de plus en plus fréquent et de plus en plus strict, notamment chez les jeunes filles. Il n’est pas rare de voir une femme d’une quarantaine d’années dont le voile couvre seulement les cheveux accompagnée d’une silhouette juvénile entièrement dissimulée par un long habit noir. Cette évolution permet plusieurs interprétations. Selon les observations de Mme Isabelle Hausser ce pourrait être une manifestation de méfiance à l’égard d’un Etat absolutiste à la volonté laïque affirmée à moins que ce ne soit que la volonté banale des adolescents de rejeter l’autorité de leurs parents.

A Hama, la ville traditionaliste aux antiques norias, mises à part les employées du super marché, les femmes en cheveux sont rares. C’est là qu’en 1982 les musulmans fondamentalistes déclenchèrent un soulèvement contre les autorités qui fut brutalement maté par l’armée. Il y est impossible de se procurer une boisson alcoolisée et en demander conduit à être stigmatisé.

En février 2006, les autorités ont laissé des groupes manifester contre la publication des caricatures de Mahomet. Ces manifestations ont dégénéré et les ambassades danoise, suédoise, chilienne et norvégienne ont été attaquées. La radio syrienne diffuse davantage de prières (notamment celles du matin). Le président Bachar Al-Assad a autorisé la création d'une faculté de droit islamique au sein de l'université d'Alep. De la même façon, le gouvernement a autorisé l'installation de deux banques islamiques privées dans le pays.

Tout se passe comme si, confronté à une pression extérieure, notamment de la part des États-Unis, et intérieure, avec la montée de l'islamisation, le gouvernement à dominante alaouite tentait de donner des gages au sunnisme, très majoritaire dans le pays, de façon à accroître son assise politique. Très préoccupé de l’attitude d’Israël et des positions de l’Occident à cet égard la société syrienne revendique sa différence et se sert de la religion pour cela. Elle peut ainsi affirmer sa solidarité à l’égard des autres Etats arabes. En témoigne l’accueil de nombreux réfugiés irakiens.
* * *

Bien admise la coexistence des communautés requiert attention et prudence. La Communauté internationale soucieuse d’asseoir une paix durable au Moyen Orient s’attache à la dimension territoriale qui nourrit l’hostilité de la Syrie à l’égard d’Israël, Etat dont elle ne reconnaît pas l’existence et qu’elle considère comme la Palestine occupée. Elle ne peut ignorer les risques encourus par les populations minoritaires et les inquiétudes de celles-ci.
Nicole Hirsch-Triquart (MP 1972)