MINI-MISSION A L'ETRANGER
Jordanie, Mai%202012
Place de la Jordanie au Moyen-Orient

Un destin particulier Ambassade de France Jerash Al-Quds Jordan Media Institute Père Hanna Kildani et sœur Noellie Pétra, Kérak, Mer Morte, mosaïques



photo n°1 - 2012mai_6 photo n°2 - 2012mai_6 photo n°3 - 2012mai_6 photo n°4 - 2012mai_6 photo n°5 - 2012mai_6 photo n°6 - 2012mai_6 photo n°7 - 2012mai_6 Photos G. Berman & P-Y. Landouer   (pour agrandir une photo cliquer dessus)


Rencontre avec le père Hanna Kildani et sœur Noellie, 18 mai 2012
Le père Hanna Kildani est depuis dix ans prêtre de la paroisse de l’église des Martyrs de Jordanie et dirige le couvent latin de Marj Alhamam dans la banlieue d’Amman. Il est titulaire d’un doctorat en histoire moderne qu’il a obtenu à l’université Saint-Joseph à Beyrouth.

Sœur Noellie appartient à la congrégation des sœurs de Saint-Joseph, est syrienne, a fait son noviciat à Marseille, et a vécu trois ans en France où elle est retournée dix fois pour des sessions à Gaillac.

Tous deux sont trilingues, arabe, français et l’anglais.

Les chrétiens en Jordanie, une petite communauté très composite et en déclin

Comme partout au Moyen-Orient, la part des chrétiens dans la population diminue en Jordanie. Ils ne représentent plus que 3 à 4% de la population totale, contre 8% dans les années 50. Cela s’explique à la fois par l’exode des chrétiens, dû à l’évolution de toute la région, à l’impossibilité de convertir des musulmans et à la forte croissance démographique naturelle en Jordanie (+ 2,5% par an, soit un doublement de la population en moins de 30 ans), tirée par la population musulmane, qui présente un taux de fertilité plus élevé que les chrétiens, principalement pour des raisons socio-économiques.

La communauté chrétienne regroupe des orthodoxes orientaux et grecs-orthodoxes (principale composante sous l’égide de l’Église Orthodoxe de Jérusalem, représentant la moitié de la communauté chrétienne totale), des catholiques (principalement melkites et latins), des anglicans, des protestants, des arméniens grégoriens. Depuis le concile de Chalcédoine, ils dépendent du patriarcat de Jérusalem.

Le père Kildani cite le roi Hussein, qui aimait dire : « Jordanie is a little happy country ». Il faut tout faire, ajoute-t-il pour que la Jordanie le reste, même si nous avons peur !

Chrétiens-musulmans : une relation encore sereine en Jordanie, mais incertaine après le printemps arabe

Les relations avec les musulmans sont bonnes en Jordanie, en comparaison de l’Égypte et au reste du Moyen-Orient. Il existe en effet une liberté du culte en Jordanie, inscrite dans la Constitution, mais pas de liberté de religion. Ainsi, un musulman peut se convertir au christianisme mais, une fois converti, il perd tous ses droits, il ne peut plus travailler, plus se marier, et il est considéré comme étant sans religion. La conversion d’un musulman est interdite par la charia et par la loi jordanienne. En revanche, un chrétien peut devenir musulman au regard de la loi jordanienne ; il serait même bienvenu ! 

L’arrivée de chrétiens évangélistes a été très mal perçue par les autorités jordaniennes, leurs seules conquêtes ne pouvant être faites que chez les chrétiens des différentes confessions minoritaires présentes qui, elles aussi, ont mal perçu leur arrivée. Très rapidement, les évangélistes se sont donc limités à des actions d’aide sociale.

La liberté de conscience est un concept français qui est apparu après la Révolution française. Ce concept n’existe pas chez les musulmans. La liberté de conscience est comme le caviar, et le caviar existe dans la mer mais pas dans le désert, nous dit le père Kildani.

« Je n’ai pas peur de mon voisin musulman mais, comme en Égypte et en Irak, on est dans l’incertitude ». Et cette incertitude vient essentiellement de la politique des pays occidentaux et des Etats-Unis : « Ils instrumentalisent le printemps arabe pour leurs propres intérêts. Nous craignons tous le jour où ils vont décider que notre roi est un tyran dont il faut se débarrasser. »

Le système électoral jordanien garantit aux chrétiens et à toutes les tribus, une représentation parlementaire. La suppression de la représentation des minorités est une menace supplémentaire pour la minorité chrétienne de Jordanie, qui serait laminée par la majorité sunnite.

Place des juifs en Jordanie

« Il n’y a pas de juifs en Jordanie. Ils sont en Israël. C’est leur État. Pourquoi voudriez-vous qu’ils viennent s’installer ici alors qu’ils peuvent s’installer en Israël ? ».

La situation rappelle celle de l’ex-Yougoslavie, où l’on est catholique en Croatie, orthodoxe en Serbie et musulman en Bosnie. Nombre de leurs habitants pensent que la religion détermine la nationalité et que chacun doit être dans le pays de sa nationalité, donc de sa religion.

Pour les juifs de Jordanie, la partie est jouée depuis longtemps et il est légitime de s’inquiéter du sort à venir des minorités chrétiennes du Moyen-Orient, vouées à se réduire de plus en plus et peut-être, à terme, condamnées à l’exil.

Diplomatie internationale 

Dans ce domaine, les Etats-Unis ont les clés, mais demeu-rent pro-israéliens, et nul ne sait comment ils vont instrumen-taliser le printemps arabe. « Israël est l’enfant gâté des Etats-Unis et de plusieurs pays européens, pas la Syrie, ni la Jordanie ». « Les politiques occidentaux instrumentalisent les chrétiens au Moyen-Orient (…). Mais il convient de noter que l’Europe n’est plus chrétienne, elle est laïque ».

Peur du conflit syrien et de l’après-printemps arabe

Le père Kildani et sœur Noellie expriment leur crainte face à l'avenir : « Si le régime syrien est renversé, les Frères musul-mans arriveront au pouvoir, et ce sera terrible pour nous, chrétiens ».

Sœur Noellie travaille depuis dix ans au noviciat de la paroisse de Marj Alhamam, pour éduquer des jeunes filles arabes chrétiennes venues de toute la région (Syrie, Liban, Égypte, Irak, Israël). Le noviciat a formé depuis dix ans 19 sœurs qui travaillent sur la région, et en Tunisie. Sa vision du conflit syrien est illustrée par ses propos :
La Syrie était un pays libre et prospère jusqu’à Hafez el-Assad. Avec Bachar, il y a eu une grande ouverture, une libéralisation. Durant la semaine sainte à Damas, on entend des chants religieux dans les rues. Mais le printemps arabe nous a fait beaucoup de mal. Les chrétiens sont avec le président car c'est lui qui nous soutient.
Depuis le printemps arabe, notre situation s’est beaucoup dégradée, nous étions 5% de chrétiens en Syrie. Dans ma ville en Syrie, toute proche de Maaloula, il y a 90 000 musulmans et 5 000 chrétiens ; l’église, très ancienne et bâtie sur un ancien temple a failli être brûlée.
Pour nous, chrétiens, si les Frères musulmans arrivent au pouvoir en Syrie, c’en est fini. Depuis l’insurrection, beaucoup de chrétiens ont été kidnappés en Syrie par des frères musulmans qui exigent souvent jusqu’à 25 millions de livres syriennes pour leur libération. Beaucoup de jeunes officiers chrétiens ont été tués.
Le conflit syrien est d’abord une lutte des sunnites contre les alaouites dont fait partie la famille El-Assad.
Des Libyens, des Turcs, des Libanais se sont infiltrés en Syrie pour combattre le pouvoir en place. Il y a même des Libyens qui ont été soignés en Jordanie et sont ensuite repartis en Syrie pour se battre contre les alaouites !
Les guerres arabes dans l’avenir seront des guerres entre wahabites, sunnites, chiites… et salafistes.
Le printemps arabe ne se fait pas pour des raisons philosophiques ou politiques positives, mais pour des raisons économiques, pour avoir à manger et du travail. Il n’induit pas plus de libertés religieuses, mais la montée de l’islamisme dur, répressif envers les femmes et les libertés.
Toute guerre civile affecte en priorité les minorités et les plus faibles. Les chrétiens sont les premiers à souffrir.
Il y a des « durs » dans l’armée syrienne. Bachar el-Assad n’est pas un sage. Ce ne sont pas les valeurs morales qui poussent les occidentaux à intervenir dans les pays arabes, mais ils obéissent à des intérêts économiques, comme l’attrait du pétrole et du gaz ! Il y a un énorme gisement à Homs, qui intéresse beaucoup la Russie et la Chine. C'est une guerre du gaz qui se joue aujourd'hui.
Certes, Bachar el-Assad est un dictateur qui a ses défauts. Mais quand ses opposants ont été invités à discuter de changement, ils ont pris les armes.

Position de la France

« Nicolas Sarkozy est le grand ami du Qatar et des Frères musulmans. Les Français n’aiment pas la Syrie, pour sa position dure vis-à-vis d’Israël  », déclare le père Kildani.

L'accueil de Kadhafi, reçu comme un roi à Paris et à Rome par ses grands amis Nicolas Sarkozy et Silvio Berlusconi, pour obtenir la signature de contrats, a choqué. Ce sont de grands amis qui lui ont ensuite fait la guerre !

Un grand espoir est mis en François Hollande en espérant qu’il changera de la politique de Nicolas Sarkozy. Quant à Jacques Chirac, il reste le président français le plus populaire dans le monde arabe. Pour tous, il a refusé d’engager la France dans la guerre contre l’Irak. Quand il a pris cette décision, plusieurs centaines d’anonymes sont venus déposer des fleurs devant l’ambassade de France à Amman, pour le remercier. Personne n’a oublié non plus le grand coup de colère de Jacques Chirac contre les services de sécurité israéliens lors de sa visite à Jérusalem en 1996.

Les Français sont démocrates chez eux, mais jamais à l’extérieur, et notamment en Afrique. Les pays qu’ils soutiennent doivent savoir que la France peut les abandon-ner du jour au lendemain si ses intérêts le lui dictent et le père Hanna Kildani cite des exemples comme Khadafi et Bachar-el-Assad.

La laïcité vue par les musulmans et les chrétiens

En Jordanie comme dans l’ensemble du monde musulman, le mariage est un simple contrat privé entre deux familles, ensuite enregistré par le chef de la communauté. Il n’y a ni passage à la mosquée, ni passage à la mairie, ni besoin d’un imam pour se marier. La réception de mariage a lieu dans deux salles différentes, une pour les femmes qui peuvent y enlever voiles et foulards, et l’autre pour les hommes.

Dans le monde musulman, la mosquée instrumentalise tout, c’est un lieu de culte, mais aussi un lieu social de rencontres, de discussion politique, de business… c’est différent de l’église, où tout le social et le politique sont en dehors.

 La laïcité est mal vue par les musulmans. Contrairement aux chrétiens, ils en ont peur. Ce n’est pas le christianisme qui a fait les pays européens, alors que c’est l’islam qui a fait le monde arabe. L’Europe a renoncé dans sa constitution à reconnaître que le christianisme était aux racines de ses pays, ce qui serait inconcevable pour l’Islam par rapport aux pays arabes. La laïcité est un concept négatif dans le monde musulman, car cela signifie mettre la religion en dehors de la société. Plutôt que d’état laïque, les musulmans préfèrent parler d’état civil, ce qui est différent de la conception chrétienne.

Le père Hanna Kildani nous invite à consulter le site du réseau Voltaire (voltairenet.org), qui dit la vérité sans avoir peur de personne. Il ajoute qu’il y a cinq millions de chrétiens qui tentent de survivre dans les pays du Golfe.

Les femmes, une position et des droits différents selon les pays arabes

Le monde arabe est fondé sur une société masculine. Beaucoup de femmes s’y contentent de la religion musul-mane, et du hijab, afin d’être identifiées à leur rôle. La Tunisie et l’Algérie sont des exceptions car il y a des femmes parlementaires dans ces deux pays. Il y en a aussi en Syrie. Bachar est très soutenu par sa femme qui l’incite à faire des concessions, mais doit tenir compte de l’opposition du parti Baas, hérité de son père, et qu’il ne peut pas renverser.
Les femmes n’ont aucun droit en Arabie Saoudite.

L’église des martyrs de Jordanie, en manque d’argent

Le père Kildani rappelle que la Jordanie fait partie de la Terre Sainte. Jésus-Christ y a été baptisé dans le Jourdain par Jean-Baptiste à Béthanie, face à Jéricho. La première église du monde a été découverte en 2008 par des archéologues à Rihab, à quelques dizaines de kilomètres au nord d’Amman et daterait de la première moitié du premier siècle de notre ère. L’église à côté du couvent, dite église des martyrs de Jordanie, est un projet lancé par le père Kildani il y a trois ans grâce au généreux don de 300 000 $ d’un mécène chrétien jordanien vivant à New-York, mais décédé trois mois après. Malgré une collecte de fonds complémentaires, le chantier a été arrêté il y a trois ans. Le seul problème pour construire une église en Jordanie est l’argent.

Œcuménisme et ouverture sur les autres religions : message d’amour

Père Kildani délivre finalement des messages œcuméniques :
- Je suis ami avec tous : chrétiens, musulmans, juifs, ...
Les mormons sont mes amis ; ils ne font pas trop de prosélytisme en Jordanie. 
Toute religion doit être un facteur d’amour et pas de distanciation par rapport aux autres religions, sinon ce n’est pas ma religion. Il faut aimer l’autre. On doit donc travailler avec nos frères musulmans, juifs, hindouistes… En Jordanie, les mosquées sont ouvertes à tout le monde, musulman ou pas, tout comme les églises. Nous avons des fondations qui œuvrent pour le rapprochement entre les chrétiens et les musulmans.
Il n’y a pas de conflit entre les religions, mais entre les fondamentalismes totalitaires, qu’ils soient musulmans, catholiques ou laïcs/ socialistes.
La présence des chrétiens au Moyen-Orient est une volonté de Dieu. Même si ce n'est pas facile de vivre en Terre Sainte, je suis prêt à vivre ici en martyr pour diffuser le message d'amour du Christ, comme l'ont fait nos pères… Je dis la même chose pour les autres religions : la religion est toujours religion d'amour. Nous avons beaucoup travaillé avec les musulmans. Il faut les comprendre et les aimer. Ce sont nos frères en humanité.

Jean-Pierre Souzy (MP 1985)