MINI-MISSION/VISITE EN FRANCE
Epernay, Octobre 2010
Société Mumm Perrier-Jouët (MPJ)

Présentation Historique du champagne MPJ La viticulture durable Le marché du champagne La premiumisation



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La viticulture durable
Présentation par Marc Gandon, Directeur du Vignoble Mumm-Perrier Jouët, au cœur d’une approche de développement durable en Champagne

Signe des temps, nos verres tout comme nos assiettes et le moindre de nos gestes quotidiens n’échappent pas à la préoccupation désormais généralisée de la préservation de l’environnement et de notre bonne santé. Nous avons ainsi pu écouter à Epernay, au siège de la vénérable maison Perrier-Jouët, qui fête son bi-centenaire l’an prochain, une présentation approfondie des actions qu’entreprend la société Mumm-Perrier-Jouët en matière de viticulture durable, qualifiée aussi de « raisonnée ».

Marc Gandon est directeur du vignoble MPJ, donc de la production de la précieuse matière première qui va entrer dans la subtile préparation par assemblage des fins breuvages que produit cette maison, célèbre dans le monde entier. Il règne sur 290 ha de vignes, principalement dans les grands crus de la Champagne (Côte des Blancs) et également dans la Montagne de Reims (pinot noir) et la Vallée de la Marne. Un véritable plan d’action en matière de viticulture durable est présenté, articulé en programmes d’action par thème, les progrès sur chacun des axes de progrès étant mesurés par des indicateurs précis de moyens et de résultats par rapport à des objectifs chiffrés. Une vraie leçon de « management durable » !

Le CIVC (Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne), associant viticulteurs et négociants, défend la qualité et les intérêts du champagne. Le CIVC contrôle le respect des normes de viticulture raisonnée sur tout le territoire champenois, via des contrôles par sondage sur différentes parcelles. Les contraintes portent notamment sur les quantités, qualités, dates, durées et conditions d’épandage (force du vent..) des produits chimiques.

Selon Marc Gandon, « le groupe MPJ veut aller dans le développement durable, mais à sa propre vitesse ». Le référentiel national du Grenelle de l’Environnement définit trois niveaux de certification des exploitations agricoles :
- le premier niveau est un alignement avec les exigences de la PAC, basé sur un bilan environnemental de l’exploitation, réalisé par l’exploitant lui-même, dont l’attestation est cosignée par un organisme de conseil habilité,
- le second niveau dit d’« agriculture raisonnée », repose sur la mise en place d’un management environnemental avec obligation de moyens,
- le troisième niveau, dit de « haute valeur environnementale des exploitations » (HVE) est basé sur une obligation de résultats, mesurés selon des indicateurs par rapport à des seuils de référence. Ce troisième niveau est encore en cours de discussion au niveau ministériel.

Au-delà de la contrainte du Grenelle de l’Environnement, chacun sait que la viticulture raisonnée devient un label de plus en plus exigé par le marché et représente donc un enjeu business à court terme. Marc Gandon cite l’exemple du Stade de France, client qui exige dans son cahier des charges un approvisionnement en vins provenant de viticultures durables…

La Champagne a prévu un plan « Eau » visant à préserver les nappes phréatiques de la pollution. En la matière, il convient d’être prudent par rapport aux effets pervers de certaines pratiques de culture biologique : par exemple, protéger les pieds de vigne par du cuivre condamne les sols à une période de 50 ans pour pouvoir désintégrer ce cuivre !

Les actions de MPJ sur les 12 points clés de la viticulture durable

Marc Gandon a détaillé les actions entreprises par Mumm-Perrier-Jouët sur les 12 points clés de la viticulture durable :
- Aménagement des coteaux
- Arrachage de la vigne
- Analyses de sol
- Nutrition du sol
- Entretien des sols
- Protection raisonnée du vignoble
    - Mise en Å“uvre des produits de protection de la vigne
- Gestion des déchets
- Bâtiments, paysages, diversité
- Formation
- Enregistrement
- Auto-diagnostic et plan de progrès.

Le détail qui suit montre la grande variété systémique des actions de développement durable, appliqué au cas de la viticulture. Il montre aussi l’intérêt du suivi des résultats selon des indicateurs chiffrés. « Pas de progrès sans mesure » comme disent les consultants en management ! Enfin, certains exemples concrets pourront surprendre chacun dans la démonstration de l’intérêt des nouveaux développements scientifiques et technologiques au service de la protection de l’environnement. Car au-delà de la « sagesse des anciens » qui fonde le pragmatisme de l’agriculture durable, celle-ci doit pouvoir bénéficier pleinement de toutes les avancées en recherche appliquée agronomique et en nouvelles technologies.

Aménagement des coteaux

- La longueur des routes est limitée en fonction de la pente et du type de sols (la « route » désigne la longueur d’une ligne de vigne,…à ne pas confondre avec les routes de circulation automobile !).
- L’aménagement est raisonné pour canaliser les eaux vers des exutoires existants ou en voie de création (toute la Champagne a ses routes de vigne dans le sens de la pente, pour permettre leur exploitation mécanisée. Il n’y a aucune terrasse dans le vignoble champenois).
- Les contours de la parcelle sont enherbés de façon permanente (pas d’herbicide ni de travail du sol).
- Un recul de la plantation de 1,5 m par rapport aux voies de circulation (pour maximiser les zones enherbées afin de piéger les pesticides par rapport aux voies d’évacuation rapide extérieures) est prévu.

Arrachage de la vigne

Une vigne a une durée de vie moyenne située entre 35 et 60 ans. Elle doit donc être régulièrement arrachée puis replantée et soumise aux opérations suivantes :
- La dévitalisation pour éliminer les viroses et le court-noué (le court noué est une maladie virale de la vigne qui s’attaque aux ceps de vigne. La dévitalisation d’une vigne consiste à détruire les racines de la vigne par désherbant, pour contenir - car il est impossible de la supprimer complètement – la virose du court noué).
- La valorisation des souches et racines sur le plan énergétique.
- La désinfection des sols si constat de court-noué (par test Elisa).

Analyses de sol

Des analyses systématiques avant arrachage sont effectuées pour :
- déterminer le besoin en fumure de fond (la fumure de fond est la fumure que l’on met avant de planter une vigne),
- connaître l’IPC1 (choix du porte-greffe). Le porte-greffe – qui constitue la vigne, avec les greffes – doit pouvoir résister à la chlorose ferrique, et cela dépend de l’IPC, d’où des travaux de drainage et décompactage du sol par enherbement et travail du sol.

Le matériel végétal mis en place est constitué de clones moyennement productifs, résistant à la pourriture grise et indemnes de viroses.

Nutrition du sol

Marc Gandon rappelle : « il faut savoir répondre aux besoins de la vigne, en en faisant ni trop, ni peu, compte-tenu des réserves du sol et de ce que l’on y importe et exporte. Dès les années 80, Perrier-Jouët a décidé d’arrêter de faire n’importe quoi au niveau des vignes, pour ne pas en mettre de trop. Ce n’est qu’en fonction des seuils définis par Perrier-Jouët eux-mêmes, que l’on définit les apports à la vigne ».

Les actions menées sont donc :
- Des analyses périodiques du sol : 5 ans après plantation, puis tous les 10 ans.
- Un plan de fertilisation établi en fonction des résultats de l’analyse du sol pour chaque parcelle : potasse, phosphate, magnésie et bore (l’acide phosphorique, très utilisé dans les lessives, et aux effets catastrophiques sur l’environnement, n’est plus utilisé dans les vignes),
- L’entretien des réserves en matières organiques du sol par la restitution des sarments issus de la taille (les sarments de vigne sont broyés et ils réalimentent après décomposition la vigne).
- La fertilisation azotée et apport de matières organiques dans le respect des programmes d’action départementaux issus de la directive nitrates,
- L’établissement d’un plan de fumure prévisionnel.
- L’enregistrement des applications à la parcelle.
- La conservation des documents pendant 5 ans.
- La limitation des apports d’azote à 50 kg/ha/an hors écorces (une vigne a besoin d’un apport en azote si l’on veut avoir une vigne qui produit « normalement Â». Le problème avec l’azote est son extrême mobilité dans le sol.
- L’épandage à réaliser entre le 1er février et le 1er juillet.
- L’interdiction d’épandre des engrais organiques à moins de 100 m des habitations (pour des raisons de nuisances olfactives).
- La fertilisation foliaire uniquement si carences avérées.

Entretien des sols

Non-travail du sol et désherbage chimique :
- la maîtrise de la flore nécessite l’emploi des herbicides,
- le désherbage chimique en plein doit impérativement être raisonné et limité, en particulier dans les bassins d’alimentation des captages.

Les alternatives au désherbage chimique en plein existent. La préservation de l’environnement impose aujourd’hui au viticulteur de réduire l’usage des herbicides (si la Champagne a réduit de moitié l’utilisation des herbicides au cours des dix dernières années, elle reste le mauvais élève de la classe en la matière au niveau national…Mais il faut rappeler que la Champagne demeure très exposée au mildiou et à l’oïdium – graves maladies cryptogamiques – tandis que les vignobles du Sud de la France ne connaissent pas le mildiou et sont peu exposés à l’oïdium).

Différentes solutions alternatives existent, qui entraînent généralement la gestion séparée du rang et de l’inter-rang. Ces techniques conduisent le plus souvent à gérer un enherbement temporaire ou permanent. Dans ce cas, le dessous de rang est entretenu chimiquement ou mécaniquement. L’autre solution consiste à recourir intégralement au désherbage mécanique (la nature plus ou moins herbée du terrain viticole a un effet direct sur le vin, la région champenoise bénéficiant par son terrain crayeux d’une bonne réverbération de la chaleur sur ses raisins…d’où l’intérêt clé du désherbage entre les routes de vigne).

L’enherbement est réalisé sur les critères suivants :
- Le choix des parcelles en fonction de leur aptitude à l’enherbement (cartographie CIVC),
- Le choix d’espèces peu concurrentielles pour la vigne : pâturin commun2,
- L’implantation en inter-rang ou tous les 2 rangs, avec travail du sol ou désherbage chimique sous le rang.

Le travail du sol et le désherbage mécanique constituent une approche durable d’entretien du vignoble. Il s’agit d’aérer les sols en utilisant des outils de décompactage, de faciliter le désherbage mécanique en saison par l’ameublissement du sol en surface, et de remettre à plat les sols déstructurés par le matériel (ornières).

Les résultats des différentes techniques en termes d’impacts sur la biomasse parlent d’eux-mêmes. Les actions menées sur les vignobles de MPJ sont :
- Le respect des dates et règles d’application des herbicides,
- Le développement de l’enherbement combiné au désherbage chimique, à poursuivre,
- L’utilisation d’écorces fraîches broyées pour lutter contre l’érosion des parcelles sensibles,
- L’utilisation d’appareil Avidor (rampes placées devant les tracteurs, pour permettre un épandage « intelligent » des herbicides en « juste assez » grâce à des capteurs de rayonnements infrarouges détectant la densité réelle d’herbe entre les rangs de vigne. L’envoi d’herbicide n’est déclenché qu’en cas de détection d’herbe. Cette technologie a permis de réduire de moitié l’utilisation des herbicides, et MPJ prévoit que d’ici 2-3 ans il n’y aura plus d’herbicide du tout),
- Le choix des herbicides (notamment, il s’agit de savoir varier l’utilisation des molécules, d’une manière générale, pour éviter que, tout comme en santé humaine, le sol ne développe des résistances par accoutumance à des molécules devenant ainsi inefficaces),
- La limitation des résiduaires (entraînement vers les nappes),
- Le choix en fonction de la protection des utilisateurs (classement T ou T+).

D’ici 2 à 3 ans, pratiquement toutes les molécules risquent d’être interdites.

Protection raisonnée du vignoble

Elle s’appuie sur :
- Les traitements obligatoirement raisonnés avec les conseils d’une structure spécialisée indépendante (Magister-CIVC),
- Le déclenchement des traitements en fonction de l’avis des prescripteurs et des seuils d’intervention définis,
- Le choix des produits en fonction de leur profil pour la santé, l’environnement et le respect des auxiliaires,
- Le nombre d’applications annuelles de certaines familles chimiques limité pour contenir les phénomènes de résistance,
- La réduction des intrants en fonction de la surface foliaire,
- L’adaptation de panneaux récupérateurs,
- Le respect des recommandations d’emploi : mélanges autorisés, zones de non traitement, délais de ré-entrée dans les vignes, délai avant récolte (les viticulteurs doivent attendre parfois quelques heures voire quelques jours avant de pouvoir ré-entrer dans les vignes après épandage de certains produits. D’ici fin 2010, une mesure et un enregistrement systématique de l’exposition de chaque viticulteur aux risques chimiques seront réalisés,…comme dans l’industrie sur les sites Seveso…),
- Les stimulateurs des défenses naturelles (à l’étude),
- La modulation des doses en fonction de l’augmentation du nombre des passages,
- (en fin de végétation) : l’adaptation de la dose à la vigueur ; la viticulture de précision,
- La disparition des molécules les plus dangereuses,
- L’utilisation de méthodes biologiques ou biotechniques pour provoquer la confusion sexuelle. Il s’agit d’accrocher dans la vigne des capsules diffusant des analogues chimiques de phéromones de papillons femelles pour désorienter complètement les papillons mâles d’Eudémis et de Cochylis, afin qu’ils ne puissent s’accoupler et produire ainsi le terrible ver de la grappe, qui ravage consciencieusement les vignes !!...Et c’est bon pour tout le monde, pour le travail du viticulteur, pour la protection de l’environnement, pour la qualité du vin,…sauf pour le ver de grappe !)(nota : il faut tout de même installer environ 500 capsules par hectare…mais c’est très efficace !)

Mise en Å“uvre des produits de protection de la vigne

Le choix des matériels, équipements et entretien des pulvérisateurs sont liés aux conditions ci-dessous :
- traitements effectués par conditions climatiques favorables (vent : échelle de Beaufort < 3),
- nécessité d’être titulaire d’un diplôme reconnaissant la capacité à utiliser les produits chimiques avec les ‘bonnes pratiques’ (DAPA) pour les prestations, et à terme, pour tous les utilisateurs,
- pendillards ou voutes pneumatiques avec rampe face par face, équipés de DPA,
- dispositifs anti-goutte,
- contrôle annuel de la qualité de pulvérisation avec papier hydrosensible ; réglage-étalonnage du pulvérisateur ; contrôle du bon fonctionnement à chaque traitement,
- contrôle du pulvérisateur obligatoire tous les 5 ans.

Le lavage des bidons et des tracteurs se fait à la parcelle, et sur une aire enherbée. L’aire et le poste de remplissage sont aménagés pour éviter tout retour dans les canalisations du réseau. Le dispositif de la cuve de mélange est anti-débordement.

La protection des opérateurs lors du chargement est obtenue par des combinaisons, des masques, des lunettes de protection, des gants en nitrile. Des installations sanitaires (lavabos, toilettes, douches) pour se laver avant de quitter le travail sont prévues. Il est également prévu un local hors gel et aéré pour stockage des produits avec cuve de rétention.

Gestion des déchets

Les déchets ne sont ni enfouis, ni brûlés. Les emballages sont rincés et stockés pour retour au distributeur. Les déchets non dangereux (déchets industriels banals) sont éliminés par collecte spécifique ou apport volontaire dans un centre de tri. Les déchets dangereux (déchets industriels spéciaux) doivent être traités par des filières spécifiques. Les effluents de pressurage sont épandus dans des périmètres agréés ou traités dans des centres prévus à cet effet (les résidus de raisin après pressurage sont toxiques). L’épandage des eaux de reste de pressurage sur la terre se fait avec un contrôle de quantité et fréquence – au maximum tous les 3 ans – par les autorités préfectorales.

Bâtiments, paysages, diversité

L'intégration paysagère accompagne les permis de construire (patrimoine mondial de l’Unesco). Les autres pointd essentiels portent sur l'efficacité énergétique des bâtiments,les haies arbustives en bordure des points d’eau pour limiter les risques de transfert et favoriser la biodiversité, l'inventaire de la biodiversité floristique du vignoble réalisé,la restauration des équilibres naturels avec possibilité d’héberger des auxiliaires et le respect des espèces animales et végétales protégées.

Formation

Elle est assurée par l'abonnement au Vigneron Champenois (guide pratique de la viticulture durable), l'adhésion à un service de conseil spécialisé, les formations à la viticulture durable et à la sécurité, les applicateurs de produits phytosanitaires formés pour appliquer les bonnes pratiques de gestion et de mise en œuvre des produits.

L'enregistrement des applications à la parcelle concerne les engrais, désherbages et sulfatages avec dates et doses ; il y a aussi l’enregistrement de tous les travaux réalisés. Un auto-diagnostic de la viticulture durable (CIVC), et un plan de progrès complètent le dispositif.

Des résultats concrets, clairement mesurés

En conclusion, quels sont les moyens requis ? Depuis 2001, Mumm-Perrier-Jouët a dépensé plus de 200 M€ sur une centaine de projets contribuant directement à la viticulture durable… Et le CIVC, ses laboratoires, ses moyens de contrôle, touche 2,5 € pour 100 bouteilles. La maison MPJ verse à elle seule 300 000 € de cotisation par an au CIVC.

Les efforts menés raisonnablement par la maison Mumm-Perrier-Jouët sur le long chemin de la viticulture durable sont réels, et nous souhaitons au vignoble champenois, sur les traces toutes récentes de l’art culinaire français, sa future inscription au patrimoine mondial de l’Unesco, pour laquelle il s’est porté candidat !
Thierry Courtiol (MP 1983)
1 IPC est l’Indice de Pouvoir Chlorosant du sol, le calcaire actif étant indispensable à toute vigne.
2 Pâturin : graminée très commune utilisée comme fourrage.