CONFERENCE-DEBAT

avec

Benoît DAVID

Economiste, dirigeant de BDF Associés
Lundi 8 mars 2021
" Comment la philosophie antique peut-elle nous aider à traverser la crise sanitaire, humaine et économique ? "
 
Benoît David est économiste, et a exercé différentes responsabilités dans les domaines du marketing, des ressources humaines et de la communication. Il a été huit ans à la direction d'une société internationale de formation et de training. Il dirige BDF Associés, société de formation, de conseil et d’entraînement au rayonnement personnel pour dirigeants et cadres dans les domaines du comportement et de la communication relationnelle, qu’il a créée en 1996, a accompagné de nombreux dirigeants et décideurs de grandes entreprises.

Il entraîne les dirigeants et les cadres à travailler sur leurs qualités personnelles et la conduite de soi pour développer un regard positif sur la vie, l’idée du pragmatisme et la vertu du concret. Il intervient dans des débats et conférences sur le management, l’exemplarité du dirigeant, la qualité du temps, l'art de vendre, la prise de parole en public, la culture d’entreprise et la gestion du stress. Il a suivi les cours des professeurs Pierre Hadot et Claudine Tiercelin au Collège de France (Histoire de la pensée hellénistique et romaine, Métaphysique et philosophie de la connaissance). Il a donné une chronique radio hebdomadaire sur le thème " Management et comportement ".

Il est l’auteur de : Antoine ou la vie appartient à celui qui l’apprend, Vivre Mieux et C'est à vous.

En s’appuyant sur les réflexions de penseurs de l’antiquité issus de différentes écoles, il explique comment la philosophie pourrait apporter des réponses simples et concrètes aux défis engendrés par la situation pandémique de la COVID.

Comment chacun d’entre nous peut-il améliorer ou préserver la situation sanitaire par la prise de conscience de son comportement ? Comment la philosophie peut nous aider à porter un regard différent, à nous réjouir et à être plus créatif pour dépasser la morosité et le rétrécissement de nos horizons ? Face à des enjeux économiques très exigeants, quels éclairages les philosophes de l’antiquité peuvent-ils nous apporter pour rebondir et regarder l’avenir sereinement ?

Webinaire, Web

Compte-rendu

Dominique Maillard (MP1975), président d’honneur de la FNEP, présente le conférencier qu’il connait bien.

A l’heure où la société questionne la compatibilité de la liberté individuelle avec la sécurité collective, quand les dirigeants cherchent à concilier management et humanisme, lorsque les entreprises s’interrogent sur leur vocation première et délaissent leur raison sociale pour devenir des « entreprises à mission », quand enfin, chacun de nous saisit l’importance de son comportement face aux contraintes extérieures sur lesquelles il n’a guère de prise, comment concilier créativité, épanouissement et confiance dans l’avenir avec le rétrécissement inquiétant de nos horizons culturels et relationnels, imposé par les menaces sanitaires que nous connaissons depuis un an maintenant ? On peut se demander en quoi la philosophie, et tout particulièrement la philosophie antique, peut nous aider à répondre à ces questions qui semblent tout sauf philosophiques. Et pourtant qui, mieux qu’un consultant grand connaisseur des hommes et des structures entrepreneuriales, pouvait le faire ?
Benoît David a en effet cette qualité rare de conjuguer une culture philosophique étendue et une expérience approfondie de praticien de l’entreprise. Il a été biberonné par la pensée hellénistique. Il a suivi les cours des professeurs Pierre Hadot et Claudine Tiercelin au Collège de France (Histoire de la pensée hellénistique et romaine, Métaphysique et philosophie de la connaissance). D’un autre côté il a accumulé une grande connaissance professionnelle tirée de sa vie de consultant. Il dirige BDF Associés, société de formation, de conseil et d’entraînement au rayonnement personnel pour dirigeants et cadres, qu’il a fondée en 1996.

  Pierre Hadot

Benoît David remercie Bernard Jacob et Dominique Maillard pour l’avoir invité à intervenir dans cette conférence-débat. Il invite ensuite l’auditoire à s’interroger sur le titre : « Comment la philosophie antique peut-elle nous aider à traverser la crise sanitaire, sociale et économique ? ».

Le mot « traverser » est le plus important. Pour traverser, il faut à la fois une forme de jugement et de raison, de la sagesse. Il faut prendre des risques, et avoir le désir d’aller de l’autre côté. Il fait référence, en cette journée des femmes, à Hélène Carrère d’Encausse qui a éclairé la philosophie antique.
  Hélène Carrère d’Encausse aux Bibliothèques idéales, à Strasbourg, le 25 sept 2013

1. Trois penseurs (Pythagore, Héraclite, Démocrite) et Pierre Hadot
B. David propose de s’arrêter sur trois penseurs - Pythagore, Héraclite et Démocrite -, qui sont au cœur de notre vie et l’expression de ce que nous faisons au quotidien, plus Pierre Hadot.

Nous sommes arrivés sur Terre et nous en repartirons. Pendant le temps de la vie, il faut se préparer à mourir et donc à vivre. C’est pourquoi nous sommes confrontés à la vie, à travers ses forces, ses faiblesses, ses douleurs, et ses tensions. La philosophie antique peut nous aider à trouver des solutions.

Pythagore a inventé le mot de philosophie (φιλεῖν, aimer, et σοφία, la sagesse, le savoir). Il aimait la sagesse, et nous connaissons tous son théorème de géométrie.

Héraclite est un homme de génie, moins connu. Il a beaucoup écrit, dans les années 500 avant notre ère. Il nous aide à la transformation et a dit : « L’Homme ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve », ce qui signifie que tout coule, tout change, tout revient, tout réapparaît, et tout repart. Le génie d’Héraclite est d’avoir mis deux mots au cœur de nos vies : « changement » et « mouvement ». Avec l’homme du chaos et sa dynamique, il met en avant l’idée d’une transformation vers le positif.

Démocrite est un penseur matérialiste, qui affirme que les hommes ne pensent qu’à eux, et ne sont intéressés que par eux-mêmes. Si tout va bien, c’est la providence, sinon c’est la fatalité.

Ces hommes paraissent assez actuels, et il faudrait positiver les choses pour acquérir une forme de sagesse. Au-delà de ces trois penseurs, B. David propose de nous arrêter sur celui qui l’a mis sur ce chemin : Pierre Hadot, un être exceptionnel qui a mis en avant l’idée que la philosophie antique est un art de vivre heureux. Il cite Plutarque parlant de Socrate, disant qu’il n’était pas en haut d’une chaire à faire un discours, mais dans la rue, côtoyant les gens qu’il aimait, les bousculant, les réveillant, et que c’est pour cette raison qu’on lui a demandé de mourir. La philosophie est un art de vivre qui vise la formation des individus par la pratique d’exercices spirituels. Plus tard, Sénèque, repris par Foucault, insiste sur l’exercice ou le souci de soi, en apprenant à travailler quotidiennement, sur soi-même.
  Michel Foucault

Pour qu’une démocratie fonctionne, il faut des mandataires qui assument leurs responsabilités, et des concitoyens qui s’entraînent constamment à travailler sur eux-mêmes. Pierre Hadot nous apprend à philosopher, que chaque jour est un moment nouveau, et puis que demain sera de nouveau… nouveau, jusqu’au jour où il ne sera plus. Donc pour vivre heureux, il faut, non pas comme Héraclite l’a dit « vivre cachés », mais « vivre avec la philosophie ». Il faut savoir regarder le monde différemment, positiver la vie, et s’épanouir dans le temps. Pierre Hadot indique que l’on vit dans une société du spectacle.

Enfin B. David fait référence à Guy Debord, qui pense que nous aurions des illusions qui nous bousculent, et que nous serions dans un système où nous ne pensons plus réellement. Ainsi revenir à la philosophie antique avec Pierre Hadot pourrait nous aider à nous reconfigurer et à réapprendre à nous aimer nous-mêmes.

2. Socrate, Platon, Aristote, Epicure, Cicéron, Horace, Sénèque, Epictète
Voici huit philosophes à lire à travers une anecdote : deux personnes sortent du métro, et l’une dit à l’autre : « Tu as vu, il fait un temps sublime ». L’autre lui répond : « Oui, mais ça ne va pas durer ». Le danger est l’information négative.

Socrate insiste sur la connaissance : « Si tu sais qu’il fait beau, eh bien, sache qu’il fait beau. » Ceci permet de se reconcentrer, de penser à soi, et d’être celui qui sait et que ce qu’il voit est. Le grand danger pour Socrate est l’ignorance, base de tous les maux des hommes, de la bêtise et de la méchanceté.

Platon promeut l’idée que nous avons tous une manière de regarder les choses, qui dicte nos comportements et nous entraîne à regarder de manière plus positive le beau, le bon et le vrai.

Aristote fait la synthèse de Platon et Socrate : « C’est en forgeant qu’on devient forgeron », « Quand tu n’aimes pas faire quelque chose, commence-la. Et tu verras, en la commençant que tu vas y prendre du plaisir. Tu auras du désir et tu avanceras ».

Epicure met en avant cette notion de plaisir. On lui sert un jour sur un plat d’argent un magnifique poisson. Il se régale et est heureux. Le lendemain, pour le tester, on lui offre un radis. Et en silence, avec joie, il déguste le radis comme il avait dégusté le poisson la veille. Epicure nous propose d’aimer ce que nous sommes, parce que nous n’avons pas le choix.

Cicéron, orateur et homme d’Etat, nous apprend à bien positionner les mots dans l’éloquence. Les mots positifs fondent l’harmonie des échanges. Il a écrit de très beaux textes sur la mort, sur le savoir-vieillir, sur l’amour et sur le bonheur. Comme Epicure, il nous dit que le bonheur est en nous et qu’il nous appartient de fouiller en nous pour le trouver. Personne ne nous le donnera.

Le poète Horace a rappelé : « Carpe horam, carpe diem » (cueille l’heure, cueille le jour), « saisis l’instant présent dans la joie », « si tu n’es pas heureux, à cet instant », dit Horace, « tu ne le seras jamais ». Il nous faut donc saisir toutes les opportunités.

Sénèque, le richissime romain, a écrit les « Lettres à Lucilius ». Selon lui, si l’on n’est pas capable de se réjouir à cet instant, on ne pourra pas être heureux. Nous avons tous des meurtrissures, des douleurs, des manques, des peines et des colères. Pour autant, il appartient à chacun de nous de trouver l’élément pour être heureux.

Epictète est un philosophe qui n’a rien écrit. Il a dit : « Dans ta vie, tu as deux sortes de choses : celles qui dépendent de toi et celles qui n’en dépendent pas. Si tu veux être un homme libre et heureux, agis sur celles qui dépendent de toi ». Un grand écueil de notre éducation, familiale ou scolaire, est que ce précepte ne nous ait pas été assez enseigné. On nous a demandé d’aimer, d’être généreux, de rendre service. Mais qui nous a dit : « Agis sur les choses qui dépendent de toi » ?

3. Pensée, raison, confiance, discernement, émerveillement, comportement
Ces mots sont importants. Hélas aujourd’hui personne ne nous pousse à penser. Les moyens d’information nous abêtissent en répétant les mêmes choses en boucle. Il faut restaurer la pensée sans laquelle rien ne peut exister. Personne ne doit nous empêcher de penser.

La raison est la faculté que nous avons de classer les choses dans le bon ordre. Par exemple pour apprendre à un enfant à ouvrir une fenêtre, on lui montre, on tourne la poignée, il voit, et on lui dit « Eh bien vas-y !». C’est la notion d’entraînement (εκπαίδευση chez les Grecs).

La confiance est la faculté de mettre en harmonie ce que l’on fait et ce que l’on dit. Le concept va de l’exigence de soi à l’exemplarité. Avec cette confiance, notre monde pourrait changer si chacun travaillait sur lui-même et combinait son « moi personnel » et son « moi collégial », avec une dimension altruiste, l’altérité.

Les stoïciens ont éveillé l’idée de discernement, savoir où l’on « met les pieds » et faire les choses telles qu’elles peuvent nous appartenir. L’émerveillement consiste à regarder et apprécier les choses simples de la vie. Regardons les bourgeons qui sortent, et émerveillons-nous pendant cinq minutes. Le danger est de ne pas trouver ces éléments de bonheur, et de passer à la critique et à la moquerie.

Le comportement est connaissance de soi, conscience de soi et confiance en soi. C’est probablement le mot le plus important car il résume tout. La connaissance de soi est importante car si on ne se connaît pas, comment peut-on s’aimer ? Et si l’on ne s’aime pas, comment peut-on approcher les autres sans colère ? La conscience de soi est un exercice de l’esprit qui permet d’agir sur les choses qui dépendent de nous et de nous remettre en cause. Nous avons tous besoin de confiance en soi, pour commencer à marcher, pour entreprendre et réussir nos projets. Mais il faut trouver l’équilibre entre humilité et conviction.

Il faut également s’arrêter sur le mot de conversion, dans son sens laïc. Toute information nous pousse à nous former, et à opérer en nous une transformation, appelée conversion. Par exemple, l’enfant qui dort dans son lit sur le dos voit un plafond blanc et se trouve dans des tissus blancs. Puis on lui donne un liquide blanc pour le nourrir. Tout cela forge chez lui l’idée du blanc. Les stoïciens, Platon et Aristote, appellent cela la « Phantasia », la confusion de la représentation qui nous amène à faire notre jugement, et qui nous amène à cette notion de désir pour agir.

En travaillant sur le comportement et en apprenant à continuer de vivre, on passe de l’observation à la réalisation.

4. Sanitaire, social, économie
4.1. La crise sanitaire
La crise sanitaire est arrivée. Comme la naissance, on ne l’a pas choisie et elle n’est sans doute pas près de repartir. Avec les drames de notre société, et notamment la pollution, il y aura probablement d’autres pandémies. Le permafrost pourrait être à l’origine de mal-être sur notre planète. Nous devons donc nous préparer à vivre dans un monde nouveau, et apprendre à le connaître.

Le Gouvernement et le chef de l’Etat ont pris des initiatives, telles que le confinement général, les gestes barrières, la distanciation sociale, et le financement du chômage partiel. Néanmoins des rassemblements familiaux ou autres ont créé des clusters induisant des fermetures de classes d’école, et des contaminations en nombre. Ceci illustre l’opinion de Démocrite, selon laquelle l’homme ne pense qu’à lui.

Revenons aux quatre philosophes, Socrate, Platon, Aristote et Epictète. Socrate dit qu’il faut apprendre à se connaître, savoir penser à l’autre en s’occupant de soi, et mesurer les conséquences de ses actes. Il nous appartient de prendre conscience de la pandémie pour en sortir, et de penser à l’autre.

Platon nous ramène à l’idée de conscience. Notre jugement dicte notre comportement. Si nous nous rassemblons à cause du beau temps, il faut prendre conscience de la possibilité d’être porteur du virus, et de le transmettre.

Aristote indique que l’on peut rendre les gens heureux en faisant le bien. Beaucoup de gens se moquent de cette assertion. L’idée du juste milieu mérite aussi d’être retenue, et il faut se méfier de la toxicité autour de nous.

Epictète a dit : « Aimons-nous ». La vie est un grand théâtre où on nous a donné un rôle. Jouons-le au mieux. Oscar Wilde a dit : « Trouve ta place parce que toutes les autres sont déjà prises. ». Chacun doit s’occuper de lui-même et il nous appartient de prendre conscience que l’on peut faire beaucoup de tort et beaucoup de joie.

4.2. L’aspect social
Ne rien respecter est générateur de grands dangers. Ce respect ne dépend que de soi. Les stoïciens et les épicuriens peuvent nous aider à découvrir ce qui va nous porter dans la relation sociale.

Epictète nous aide à prendre la mesure de ce qui dépend de nous et de ce qui n’en dépend pas. Ce faisant, nous verrons que beaucoup de choses dépendent de nous. Les choses ne nous rendent pas malheureux, mais l’idée que l’on s’en fait. Donc, il faut agir sur les choses qui nous rendent heureux, celles qui nous font du bien.

La relation sociale est affectée par la crise sanitaire. Il faut apprendre à vivre autrement. Epicure affirme qu’il nous appartient de nous délivrer des peurs, d’être heureux de ce que l’on est et de ce que l’on a.

Sénèque, dans ses « lettres à Lucilius », pose la question : « Pourquoi me réjouir ? », et non pas : « De quoi me réjouir ? ». La première question fait appel à l’intériorité de l’être, alors que la seconde fait appel à l’extériorité de l’être. En substance, si un matin on se lève déprimé, il faut aussitôt s’arrêter pour s’interroger sur les raisons de se réjouir, et ne pas bouger tant que l’on n’a pas trouvé au moins une bonne raison de se réjouir. Sinon on risque de devenir toxique pour les autres.

Horace a pleine conscience de l’instant présent. Avec son « Carpe horam », il dit nous invite à revenir aux émotions positives et aux bon côtés de la vie. L’intelligence, la sensibilité et la volonté incitent à une vie meilleure.

Plutarque prétend donner de la valeur à ce que l’on a. Féliciter (en latin, « felicitare » rendre heureux) quelqu’un fournit une forme de joie, parce que donnant de la joie à un autre prouve qu’on est heureux.

4.3. L’économie
Il nous appartient d’inventer, de créer des éléments nouveaux, et de ne pas succomber aux difficultés. Lors de la crise sanitaire il a fallu aider les entreprises pour qu’elles survivent, par le chômage partiel, les prêts et le télétravail. L’économie a été sévèrement atteinte mais devrait se relever, notamment lorsque la thésaurisation (deux cents milliards d’euros) reviendra dans le circuit économique. La philosophie peut aider cette dynamique économique à sortir de la crise. Des retraités ou des chômeurs se sont remis au travail, voire ont créé de l’emploi. Dans certains secteurs le dialogue social a été renoué.

5. En conclusion
Aristote prône la confiance pour entrer en relation. Par exemple pour vendre, il faut de la confiance en soi, et aussi susciter de la confiance chez le client.

Plutarque a dit : « Si l’homme a deux oreilles et une bouche c’est qu’il doit faire l’effort d’écouter celui qui parle ». L’écoute est la grande qualité de la relation sociale, économique ou politique.

Pour Cicéron, il n’est pas possible d’entrer en relation si l’on ne parle pas bien. Le langage et l’éloquence s’apprennent. Pour Aristote c’est la rhétorique, donc le logos (λόγος) (parole, discours, raison), le pathos (πάθος) (souffrance, passion), et l’ethos (ἦθος) (écoute, manière d’être). Cicéron a repris cette idée à son compte : « Quand je parle, je dois instruire ».

Horace invite à se réjouir de l’instant présent. Il y a toujours du bon, même si notre éducation judéo-chrétienne insiste sur l’idée du mal. Il faut essayer de transformer le négatif en positif, et chercher le positif pour améliorer les situations. C’est à la portée de tout le monde, penser à soi, et libérer ce « soi », ce « moi » pour penser au « moi collégial », se hisser et grandir en altérité.

Enfin Saint Augustin est un homme tout à fait normal. Très jeune, il a couché avec des filles, il a mis une femme enceinte, il a été violent. Puis un jour, après une rencontre à Milan, il a pris une autre voie. Il est le philosophe de l’Antiquité qui clôt l’Antiquité des philosophes : « Noli foras ire » (Ne t’égare pas au dehors). « Noli foras ire, in medio tui; in animo posita sit in creatura Dei in veritate » (Ne t'en va pas au dehors, rentre en toi-même ; au cœur de la créature habite la vérité ; reviens à l’intérieur de toi). « In interiore hominem stat veritas » (C’est à l’intérieur de l’Homme que se tient la vérité.). Saint Augustin incarne la vérité personnelle et humaniste, non pas christique.

Questions

Q/ La télévision et les informations en boucle qui abrutissent, ne serait-ce pas voulu ?

R/ Bien sûr c’est voulu. Dans notre société du spectacle il y a une sorte de supercherie, une manipulation éhontée, qui fait que les distractions initiales créent l’illusion. Et l’homme est bercé dans les illusions. Spinoza affirme que l’illusion est le grand danger. La captation des mentalités et des comportements fait que les gens ne se rendent compte de rien. La télévision cantonne à des attitudes passives. Au contraire les stoïciens et les épicuriens prônent les notions de jugement, de désir et d’action.
  Spinoza

Q/ D. Maillard revient sur Epictète, cité à plusieurs reprises. Chercher à agir sur ce sur quoi on a prise est sûrement un bon conseil. Mais comment délimiter ce sur quoi on a prise ? On pourrait être trop modeste et considérer qu’on n’a prise sur rien. Il ne faudrait pas en arriver à : « Bien voilà, je subis », et à trop écouter Epictète, aller vers une passivité fataliste : « Finalement comme je n’ai prise sur rien, je ne bouge pas ».

Il y a aussi le risque inverse. Dans le monde politique certains pourraient considérer qu’ils ont prise sur tout, et que par conséquent, leur intervention ne connaitrait pas de limite, tout en étant fidèles à Epictète.
D’où la question : « Comment être fidèle à Epictète, en évitant de sombrer dans ces deux excès ? »

R/ Il faut tout d’abord revenir à Aristote, et la notion de juste milieu. Selon Epictète, il faut agir sur les choses qui dépendent de soi, et être indifférent aux choses sur lesquelles on n’a pas de prise. C’est à nous de discerner celles sur lesquelles nous pouvons agir.

Q/ D’où vient cette conviction d’une philosophie ancrée dans une phase opérative, qui n’est pas une philosophie docte, pas en « chaire » (sic) mais en os ? Est-ce par la scolarité, ou d’une fulgurance en tant que jeune adulte, ou encore par une sérénité sur cette certitude, acquise par les cheminements de la vie ?

R/ B. David indique qu’à 33 ans il est entré dans une librairie et est tombé sur un manuel d’Epictète. Il l’a lu époustouflé et émerveillé et l’a appris. Après dix années professionnelles, il s’est rendu compte que l’on se moquait des gens et les prenait pour des pions. Il a été sensible à l’enrichissement des tâches de Frédérick Herzberg.

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Intervention de Bertrand Signé, président de la FNEP
Bertrand Signé remercie le Club Pangloss d’avoir organisé cette conférence-débat et offert à Benoît David l’opportunité de faire part de sa vision du monde, toujours aussi inspirante. Il a rencontré Benoît David il y a 25 ans, et a suivi son entraînement qui aide aux plans professionnel et personnel, à vivre au quotidien ses relations avec son entourage.

Le lien entre la FNEP et les propos de Benoît David est pertinent. Tout le monde, et plus particulièrement les cadres supérieurs dans l’Administration ou dans les entreprises, devrait bénéficier de ce type d’approche.

La FNEP est une Fondation créée en 1969, à l’initiative de Jacques Chaban-Delmas et de ses collaborateurs, dans la logique de « nouvelle société », pour aborder les gens différemment. La FNEP a visé à décloisonner les grandes entreprises et les Administrations, en permettant à certains de leurs cadres supérieurs de réfléchir ensemble sur les sujets majeurs de l’actualité, à la charnière de l’économie et des phénomènes sociaux et internationaux.

La FNEP organise chaque année, depuis cinquante ans, des missions d’étude et de recherche qui réunissent chacune une dizaine de cadres issus d’horizons divers. Outre l’objectif de décloisonnement originel, ces missions offrent à ces cadres une expérience unique de développement professionnel et personnel, notamment au plan international.

La FNEP regroupe de grandes entreprises comme EDF, Air France, La Poste, Total ou RTE (dont il est directeur exécutif), ainsi que la Caisse des Dépôts et Consignations et des Administrations - ministère des Armées, ministère de l’Economie, ministère de l’Intérieur -, et des écoles de formation - ENA, l’Ecole des Mines ParisTech -.

La conférence de ce soir entre tout à fait dans la logique de la FNEP. Il termine en confirmant la recommandation de Benoît David : chacun devrait repartir en se demandant ce qu’il pourrait faire à son niveau pour agir sur les choses. Il pense qu’il est possible d’agir sur pas mal de choses.

Compte rendu rédigé par André Chauvin (MS1992)