Café-philo

avec

Serge (MP1984) ARNAUD

Ancien Délégué à la Modernisation de la Gestion Publique et des Structures de l'Etat
Mercredi 26 septembre 2012
" Réforme de l'Etat "
 
Serge Arnaud, ingénieur général des ponts, des eaux et des forêts au conseil général de l'environnement et du développement durable, a mené une carrière interministérielle dans l’administration. Il a occupé des responsabilités aux ministères de la justice, de la défense, de la culture, de l'environnement et de la coopération. Il a été secrétaire interministériel pour l'océan Indien, puis nommé au conseil général des ponts et chaussées, et délégué à la modernisation de la gestion publique et des structures de l'Etat. Dans le cadre de ces dernières fonctions il a piloté la réforme de l'Etat, étant en outre élu vice-président du comité de la gouvernance publique de l'OCDE. Il a publié un ouvrage : Evaluer des politiques et programmes publics.

Le besoin de réformer l'Etat est consubstantiel à l'émergence de la notion d'Etat. Les missions de l'Etat ont beaucoup évolué au fil des ans. L'augmentation de 50% du nombre de fonctionnaires et le déficit budgétaire croissant depuis une trentaine d'années, avec pour conséquence le gonflement important de la dette de l'Etat, l'évolution de la pyramide des âges de la population française, l'équilibre économique du modèle social en vigueur, le développement des NTIC et des transports, sont autant d'éléments qui poussent à enclencher, dans les plus brefs délais, une nouvelle réforme de l'Etat. La remise, le 25 septembre 2012, du rapport d'audit sur la RGPP (révision générale des politiques publiques) confère à ce café-philo une brûlante actualité.

Après un rapide rappel historique des réformes de ces vingt dernières années, la gestion de la situation nationale sera abordée, ainsi qu’une comparaison avec d'autres pays. Quelques pistes de progrès seront esquissées, en soulignant que s'il peut y avoir consensus sur les objectifs à atteindre, il y a souvent divergence sur la manière de conduire le changement. Comment faire pour bien faire les bonnes choses ?

La Terrasse, Cité internationale universitaire, Paris 14

Compte-rendu

Serge Arnaud tient à rappeler son parcours interministériel atypique pour un ingénieur des ponts et chaussées (X78, IHEDN). Au ministère de la Justice, il a lancé le programme des « prisons privées », mis en œuvre sous Albin Chalandon et qui préfigurait les PPP. Au ministère de la Culture il a supervisé les Grands Travaux du président (Grand Louvre, BNF, Cité des sciences et de l’industrie et Parc de la Villette,…), ce qui lui a permis de constater combien la défense des intérêts de l’Etat n'était pas toujours la première des motivations. Il est à l'origine de la fermeture provisoire du Grand Palais, malgré de nombreuses interrogations et de la réouverture du Panthéon grâce à la mise en place des filets (toujours présents) empêchant la chute des pierres, alors que nombre de responsables étaient prêts à lancer des travaux pour un montant de 300 MF, sans garantie d’efficacité. Plus récemment il a été délégué à la modernisation des structures de la gestion publique et des structures de l’Etat, ce qui l’a amené à publier un ouvrage Evaluer des politiques et programmes publics, préfacé par Nicolas Sarkozy.

1. Quelques données sur la fonction publique

Les effectifs de la fonction publique d’Etat, territoriale et hospitalière, étaient en 1980 de 3,864 millions de personnes et de 5,267 millions en 2007, soit une augmentation de plus de 36% alors que la population passait de 53 à 67 millions sur la même période. La croissance du nombre de fonctionnaires a donc été deux fois plus rapide que celle de la population.

Certes on n’a jamais su définir exactement le nombre de fonctionnaires en France et la comparaison avec les autres pays est difficile car on ne comptabilise pas les mêmes données, et on a inventé pour tenter d'expliciter cela la notion d' ETP (équivalent temps plein), et plus récemment les ETPT (ETP travaillé !). Néanmoins ce sont les ordres de grandeur et les évolutions qui comptent. Ainsi, en France, les fonctionnaires représentent 8% de la population ; c’est une situation unique en Europe même si elle peut s’expliquer par des choix de société (par exemple, privatisation de tout ou partie de l’enseignement ou des hôpitaux dans nombre d’autres pays).

Les questions budgétaires dans la fonction publique doivent prendre en compte la masse salariale qui représente une part très importante mais également le statut des fonctionnaires qui induit une rigidité forte. La France a un système de fonction publique de carrière tandis que dans la plupart des autres pays on emploie majoritairement des agents publics sous contrat (ainsi en Suède, les enseignants ont des contrats de quelques années, qui sont ou non renouvelés, ce qui permet de faire évoluer plus facilement les effectifs de l’Etat). Certes ceci peut poser un autre problème de choix : dans quelles administrations doit-on nommer les fonctionnaires et dans quelles autres doit-on recruter des contractuels ou des prestataires de service via l'externalisation ? Nombre de nos homologues étrangers s’étonnent de trouver des jardiniers fonctionnaires en France !

2. La réforme de l’Etat en France

La réforme de l’Etat a toujours existé puisqu’elle a commencé dès l’instant où l’Etat a existé.

La tendance actuelle de la réforme de l’Etat s’appuie sur le new public management qui se définit par la chaîne : définition des objectifs --> mesure des résultats --> sanction (ou récompense). Ce concept a été développé par les pays anglophones (avec les agences au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande, en Australie, aux USA avec Creating a better government, et en Belgique avec « Copernic »). En France cette tendance a démarré sur des bases budgétaires. Le principe de base de la LOLF (loi organique relative aux lois de finances), est le passage des chapitres budgétaires anciens qui « bridaient » le gestionnaire aux missions ou programmes (qui sont en nombre limité) pour lesquels il faut adopter une approche stratégique et à la fongibilité des crédits à l’intérieur des programmes mais sans possibilité d’accroître les crédits de personnel (fongibilité asymétrique).

La LOLF se définit donc par : programme, objectifs, indicateurs et suivi. Mais en pratique sa mise en place est difficile car les objectifs et indicateurs ne peuvent couvrir tout le spectre de l'activité publique. Aussi ce qui ne fait pas partie des objectifs n’est pas pris en compte par le suivi, même si c’est riche en contenu. Par ailleurs, de nouveaux outils de gestion publique sont apparus, notamment les contrats de performance des établissements publics avec l’Etat. Cependant ces contrats ne sont pas renégociés à chaque apparition d'une nouvelle externalité.

Aujourd’hui la poursuite de la réforme de l’Etat passe par la réduction du nombre de fonctionnaires et l’assouplissement du statut de la fonction publique.

L’autre problème majeur de la France est la trop grande complexité de l’organisation. Pour clarifier les missions de chaque niveau, il faudrait effectuer une diminution drastique du nombre de communes et de régions. La réforme des collectivités territoriales est primordiale et beaucoup penchent sur la cible suivante: 10/12 régions et 3000 communes (à rapprocher du périmètre des 6000 cantons), mais quel homme politique aura le courage de lancer cette réforme ?

Enfin, du fait de sa tradition colbertiste, l’Etat veut intervenir dans tous les secteurs y compris l’économie, alors même qu’il peut être un piètre gestionnaire.

Pourtant on pourrait s’inspirer des exemples de fonction publique qui fonctionnent de façon efficace dans d’autres pays :
- en Grande-Bretagne car le nombre et le rôle des fonctionnaires est bien délimité ;
- en Suède, le Gouvernement a réussi à réduire en 1993 le déficit public.

3. Quelques étapes de la réforme de l’Etat en France

Serge Arnaud nous incite à relire les documents clés sur l’évolution de la réforme de l’Etat :
1989 – Circulaire Rocard : lancement des évaluations des politiques publiques ; la conséquence directe est le développement de la comptabilité analytique et du contrôle de gestion dans l’administration publique, depuis moins de 10 ans cependant.
1994 – Rapport Picq : L’état de l’administration dans le monde.
1995 – Décret relatif au commissariat de la réforme de l’Etat.
Inna Kostuk (MP 2002) et Jean-François Cuvier (MP 1975)