Café-philo

avec

Jean PAUTROT

Président du Conseil Magellan - Mobilité Internationale
Jeudi 9 juin 2011
" L'entreprise et ses cadres face à la mondialisation "
 
Jean Pautrot est président du Conseil Magellan de la Mobilité Internationale en charge des relations avec les pouvoirs publics sur les questions de mobilité internationale, coach certifié spécialiste des transitions professionnelles et personnelles (expatriation, retour, prise de poste..), administrateur de la mission laïque française, de PREPASIA et d’Esprit d’Excellence, et conseiller du commerce extérieur de la France.

Il a effectué une carrière en entreprise et a quinze ans d’expérience en ressources humaines, gestion de carrière et mobilité internationale à EDF. Administrateur de filiales en Allemagne et en Hongrie, il a réalisé 2000 entretiens avec des expatriés à tous les stades du processus (de la sélection au retour). Sa dernière fonction de 2003 à 2009 a été directeur mobilité au sein du groupe services d’EDF en charge de l’expatriation et de la mobilité entre la maison mère et les filiales en France.

Jean Pautrot assure des enseignements de mastère spécialisé à l’ENSAM/ENS Cachan, à l’Institut Magellan, à l’ESSEC et à l’université de Paris 12. Il a réalisé et publié 19 interviews pour des revues et journaux, 8 conférences, est co-auteur de l’ouvrage Expatrié, Rêve et réalité (Editions Liaisons 2004), et d’un mémoire de certification La dimension psychologique du retour.

Le café-philo abordera les questions suivantes :

1. Comment la mondialisation change l’approche de management des entreprises ; quels sont les points communs des entreprises qui réussissent cette transformation ?
2. Quelles sont les étapes pour qu’une entreprise devienne complètement internationale ?
3. Comment préparer nos managers à ce travail de plus en en plus multi culturel ?
4. Quels conseils donner aux jeunes cadres, pour se préparer au mieux à ces échéances futures ?
5. Les entreprises françaises sont-elles mieux armées (moins armées) que les autres dans la phase de mondialisation actuelle (d’un point de vue managérial) ?
6. Comment réussir dans un nouveau pays à attirer les talents ?
7. Quel est l’impact de ces transformations sur la culture métier ?
8. L’expatriation n’est pas la seule source d’échange d’idée, de bonne pratique ; quelles sont les autres sources, méthodes, et comment les développer ?
9. L’expatriation coûte chère ; comment faire pour qu’elle rapporte ?

Le Cardinal, Paris 9

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Compte-rendu

Le 9 juin 2011, le Club Pangloss recevait Jean Pautrot, Président du Conseil Magellan de la Mobilité Internationale en charge des relations avec les pouvoirs publics sur les questions de mobilité internationale, conseiller du commerce extérieur de la France.

Jean Pautrot a effectué une carrière en entreprise et a quinze ans d´expérience en ressources humaines, gestion de carrière et mobilité internationale à EDF. Administrateur de filiales en Allemagne et en Hongrie, il a réalisé 2000 entretiens avec des expatriés à tous les stades du processus (de la sélection au retour). Sa dernière fonction de 2003 à 2009 a été directeur Mobilité Groupe Services d´EDF en charge de l´expatriation et de la mobilité entre la maison mère et les filiales en France. Il assure, en outre, plusieurs enseignements de mastère spécialisés (ENSAM/ENS Cachan, Institut Magellan, ESSEC, Université de Paris 12).

Il a écrit et publié plusieurs ouvrages dans ce domaine. Au cours de ce dîner-débat, riche en échanges avec les membres du Club Pangloss et leurs invités, Jean Pautrot a développé plusieurs problématiques liées à l’entreprise et ses cadres face à la mondialisation.

De l’état zéro à Schlumberger – pour une typologie de la mobilité internationale

Jean Pautrot distingue cinq étapes d’évolution du développement des entreprises dans le domaine des ressources humaines face à la mondialisation.

Au 1er stade, il s’agit d’entreprises sans filiales qui se développent à l’étranger, à l’exemple d’EDF en Afrique dans les années 60. C’est essentiellement de la vente de savoir faire, avec des mouvements de personnels limités à des missions d’experts de courte ou de longue durée.

Au 2ème stade, l’entreprise se développe par l’achat de quelques filiales, avec des expatriés pour exercer les fonctions de management et de contrôle pour diffuser ses bonnes pratiques et son savoir-faire.

Au 3ème stade, l’entreprise prend conscience de son état de Groupe. Les filiales commencent à être membres à part entière du groupe : les flux d’expatriés se font dans plusieurs sens. En particulier apparaissent les impatriés, qui viennent des filiales du groupe vers la maison mère. On voit aussi apparaître les TCN (Third Countries Nationals) dans le cas de déplacements transverses hors du pays de la maison-mère. La mobilité est généralement de longue durée (1 à 5 ans). En moyenne, pour les entreprises du CAC 40, les proportions sont les suivantes : 60 à 65% d’expatriés de la maison-mère vers les filiales, 15% d’ impatriés et 25% de TCN. La mobilité de longue durée dans les groupes du CAC 40 est en moyenne inférieure à 1% de l’effectif total du groupe.

Au 4ème stade, la mobilité est centrée sur les organisations transnationales du Groupe, comme c’est le cas chez Rhodia par exemple. Des équipes multinationales travaillent sur des sujets communs. Cela commence par le domaine de la recherche (R&D), puis s’élargit vers les autres métiers. Se développent alors les missions de courte durée. C’est le stade actuel d’un certain nombre de groupes français.

L’exemple typique du 5ème stade est Schlumberger. A l’image de l’univers, «c’est une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part», selon la formule de Pascal. La notion de pays de la maison mère n’a plus d’importance. Par exemple, chez Schlumberger, dès 1947, l’anglais est devenu la langue du groupe. Pour les expatriés, il n’y a pas de package spécifique, ni de pays d’origine. L’offshore (gestion de l’expatriation dans un pays tiers) est généralisée, en particulier pour les régimes sociaux et régimes de retraite. Total s’approche de ce modèle.

Plaidoyer pour les mobilités de courtes durées

En France, 2,5 millions de français vivent à l’étranger. Leur implantation y est souvent définitive. Pour les groupes industriels, l’expatriation représente seulement 300 à 400.000 personnes, familles comprises. Un retour est généralement prévu dans le package.

On constate aussi une tendance des groupes industriels à recruter des français directement dans les filiales à l’étranger, en contrat local non packagé. Cela peut amener des contentieux à l’échéance de 10 ou 15 ans, en raison des problèmes de cohérence des systèmes de retraite, en dehors et au sein de l’Europe.

Le business modèle de l’expatriation de longue durée est en débat.

A coté de l’expatriation traditionnelle, les réseaux métiers sont fondamentaux car parler du métier et échanger les pratiques contribue à la construction d’un groupe international. Mais c’est une approche difficile à animer et à articuler avec le management. La meilleure manière est probablement au travers des missions de courte durée.

Les missions de courte durée sont aussi l’occasion d’exposer à l’expérience internationale des populations nouvelles. Il s’agit, en particulier, des couples dont les deux membres travaillent ou plus spécifiquement, des femmes se préparant à des fonctions de dirigeantes, ou encore des seniors, qui peuvent ainsi diffuser leur savoir faire. Attention cependant à éviter le commuting, qui est souvent coûteux, financièrement pour l’entreprise et psychologiquement pour les individus.

Pour Jean Pautrot, il faut aussi développer les missions de courte durée pour permettre aux jeunes de garder le contact avec l’international, car les opportunités de VIE sont saturées (7000 postes offerts sur 60.000 demandes). Et cela évite la gestion de la frustration.

La question de la sécurisation juridique et fiscale des missions de courte durée se pose. Le cumul des missions de courte durée avoisine parfois une mission de longue durée. Il convient alors de centraliser les informations et de développer la culture des managers afin de ne pas mettre leurs collaborateurs en situation de risque. Cela nécessite l’écriture d’un référentiel de mobilité courte durée.

D’où surgit une question de motivation

Les raisons pour lesquelles les entreprises expatrient sont liées à trois axes. En premier, la mise à disposition d’expertise. Ensuite viennent les notions de développement, de contrôle et de management des filiales et des problématiques de production globale voire d’achat Groupe. Enfin, un dernier axe consiste dans la gestion des talents et la préparation des futurs dirigeants (évolution dans le cas des entreprises de type 3 ou 4).

Les raisons qui poussent les expatriés à partir sont pour une part liées à une demande de développement personnel et familial. Cela explique, en particulier, l’attractivité plus grande de Londres par rapport à Budapest en raison de la langue parlée. Ce critère a ses limites. Aujourd’hui en Europe, le vrai pays d’expatriation serait l’Allemagne en raison des besoins de son marché de l’emploi. D’autres motivations sous-jacentes peuvent exister, parfois toxiques, telle la fuite, par rapport à un management trop lourd ou au climat de l’entreprise ou au contexte familial. On peut aussi avoir des motivations de recherche, en particulier retrouver un certain mode de vie pour les enfants d’expatriés devenus adultes, développer son taux d’interculturalité et mieux connaître le pays d’origine d’un parent. Les gains financiers globaux sont souvent faibles pour les expatriés notamment en proche Europe et en tenant compte de la perte de revenu du conjoint. Ils peuvent être compensés par des motivations de carrière ou par le goût du risque, le besoin de nouveauté.

Souvent le décalage entre l’enseignement supérieur et la vie réelle de l’entreprise est important. On fait rêver les étudiants des écoles prestigieuses : on leur promet une carrière internationale qui progresse vite mais en réalité le nombre de postes en expatriation est très limité.

Il en découle, pour les heureux élus, une certaine addiction à l’international pouvant conduire à une marginalisation de l’individu qui se concentre sur le maintien de sa vie d’expatrié plus que sur l’intérêt de l’entreprise, avec les phénomènes habituels de l’addiction comme la ruse pour obtenir un poste à l'international, objet de son addiction. Il est donc important de mesurer la maturité émotionnelle et personnelle du candidat à l’expatriation, en sachant que le problème de l’entreprise peut être de céder à la facilité d’envoyer les habitués à l’expatriation, ce qui sécurise le management, plutôt que des nouveaux. Cela pose aussi le problème de la capitalisation de l’expérience au sein de l’entreprise. Comment bénéficier de l’expérience d’expatriés qui ne reviennent pas ?

La question de l’accompagnement du conjoint d’expatrié embarrasse certains managers qui y voient une intrusion dans la vie privée. Il y a deux types d’entreprises, en fonction de leurs cultures : celles qui se préoccupent peu du problème et celles qui aident la famille qui s’expatrie, en particulier par des formules d’outplacement, d’indemnité de perte d’emploi, pour les conjoints. La valorisation globale de ces avantages est à peser par les expatriés. On a constaté cependant une diminution des aides financières, pendant les années de crise. La question retrouve aujourd’hui son actualité notamment en France où les doubles carrières sont fréquentes.

Il ne faut pas oublier la barrière de la langue : l’anglais peut être utilisé pour les fonctions support notamment la finance, l’animation des réseaux métier et la conduite des grands projets. La langue locale prévaut pour les fonctions de production et les opérationnels de terrain. Les binationaux et les vrais bilingues sont seuls capables de tenir ces postes de terrain. S’ils ne sont pas bilingues, ils doivent disposer en permanence d’une traduction simultanée, ce qui introduit des coûts supplémentaires et un ralentissement du travail.

L’inextricable gestion du retour

Le retour est en général difficile, car l’expatrié qui avait l’habitude de susciter l’intérêt et la curiosité à l’étranger est surpris de l’indifférence de ses concitoyens. De plus tout à changé dans la maison-mère pendant la durée de l’expatriation. Les collègues n’ont pas envie d’entendre l’expatrié raconter son expérience. Le retour devient très difficile après 4 ou 5 ans d’expatriation. De fait, le choc culturel du retour est moins bien préparé que celui du départ. Il faut savoir traduire son expérience en compétence pour convaincre les managers.

Il est possible de surmonter ces difficultés grâce à une certaine maturité : plus l’expérience est multiculturelle plus la personne a de facilité de se réintégrer. Un retour réussi s’inscrit dans la GPEC (1) du pays de retour, mais le problème réside souvent dans le fait qu’il n’existe pas de GPEC pour les experts pointus.

L’interculturel au centre de la réussite

La mission de longue durée confronte à une autre culture. Le travail en équipe multiculturelle met en relation avec plusieurs cultures. L’approche scientifique des cultures illustrée par Hofstaede est très pédagogique. L’approche par la religion dominante dans chaque culture et le système scolaire est aussi une clef de lecture. Mais l’entreprise c’est aussi Babylone, au sens de la tour de Babel, avec des réflexes identitaires face au contenu incertain du mot mondialisation. L’entreprise doit être consciente du risque de repli identitaire. En outre, pour l’expatrié, il ne faut pas confondre intégration et assimilation. Il doit rester ouvert à l’extérieur et bien dans son identité. Pour les expatriés, dans un poste à l’international, il faut rester à l’aise avec sa culture nationale.

En multiculturel il faut travailler sur des éléments objectifs, sur le fond, car les jeux d’acteurs en multiculturels ne sont pas toujours compris, à l’exemple du fonctionnement des Comités d’Entreprise Groupes, pour lesquels les jeux syndicaux de chaque pays ne sont pas lisibles par les représentants des autres pays. Il faut noter l’importance d’un langage commun. Le réseau métier permet de créer ce vocabulaire partagé,

En résumé, il est important à l’international d’être à la fois ouvert à l’extérieur et d’être à l’aise avec son identité. Cette maturité est la condition de réussite : l’expérience internationale est une opportunité de se connaître et de démystifier l’autre.
Michel Galimberti (MP 1992) & Inna Kostuk (MP 2002)
(1) Gestion Prévisionnelle des Emplois et des Compétences