- La Synarchie est-elle un fantasme ou une réalité occultée ?
La Synarchie est un système
politique de gouvernement créé par Saint-Yves (dit Saint-Yves d'Alveydre) en 1895.
Fonctionnaire du Ministère de l'Intérieur, Saint-Yves pose comme principes que
tout s'organise autour de trois plans : la justice, l'enseignement et l'économie.
Ceux qui dirigent doivent être l'élite de la société,
pour le bien des masses et afin d'éviter toute révolution sanglante.
Mais après lui, la synarchie tombe quelque peu en désuétude.
C'est en 1922 qu'elle renaît de ses cendres, grâce à l'activité
du secrétaire général de l'Assemblée Nationale,
Blanchard.
Les historiens disent que la Synarchie est un "fantasme".
Plus précisément, d'après Monsieur Kuisel, la Synarchie
n'existerait pas et ne serait qu’un moyen de justifier la défaite de
la France en 1940. Son point de vue repose sur les arguments suivants:
- des listes de membres de la Synarchie vont circuler à partir de 1941.
Or la publication d'un groupe pour être recevable comme tel, doit faire
mention des fonctions de chacun de ses membres. Ce n'est pas le cas des fameuses
listes de synarques, qui ne donnaient aucune précision quant à
l'organigramme du groupe. Il voit derrière cette lacune un moyen de régler
des comptes plutôt qu’une preuve de l’existence d’une telle organisation.
- La mention de "synarchie" ne figure pas aux procès intentés
à cette époque.
Lucien Sabah réfute ces arguments et dénonce chez Monsieur Kuisel
la confusion qu'il fait entre le droit pénal français et le droit
pénal anglo-saxon. En effet, en droit anglo-saxon, les accusés
jurent sur la Bible : il est " permis " de refuser
de répondre à certaines questions, mais pas de mentir au juge.
En droit français, l'inculpé ne prête pas serment, ni à
l'audience, ni devant le juge et peut donc ainsi aisément mentir. Cela
pourrait expliquer l'absence de mention d'une organisation synarchique durant
les procès de l'époque.
La Synarchie dénoncée dans la presse collaborationniste parisienne
en 1941 a, selon lui bien existée, avec en son sein de nombreux Martinistes.
Il pose les arguments suivants :
- Le Livre d'Or de la Synarchie existe (il a été
saisi à plusieurs reprises)
- En matière d'obédience maçonnique,
il est demandé dès 1948 à un candidat désireux
d'intégrer la Loge, s'il a appartenu au mouvement synarchique. D’ailleurs,
cette question perdurera pendant dix ans : Jacques Mitterrand, futur Grand Maître du Grand Orient de France,
fera ainsi une conférence sur les dangers de la Synarchie.
- Charles Dumas, à l’époque Directeur de Cabinet du Ministre de l'Intérieur,
a écrit un ouvrage sur le danger que représente
la Synarchie.
- La Synarchie couvre une opération politique visant le remplacement
de l'Amiral Darlan par Laval. - En 1941, après une dénonciation,
les résultats de perquisitions effectuées par la Gestapo
dans les milieux dits de synarques, se recoupent avec des informations
de sources différentes relatives aux milieux ayant appartenu à
la Synarchie.
- Quels étaient ses responsables, ses liens
éventuels avec la Cagoule et ses objectifs ?
La Cagoule est un mouvement terroriste
d'extrême droite né en 1937 après l'échec de la tentative
de putsch du 6 février 1934. Les résultats d'enquêtes judiciaires
ont montré que ce mouvement avait été largement financé
par des personnalités telles que Schuller ( patron de L’Oréal),
par Michelin (qui a donné plus d’un million de francs…), par des polytechniciens
comme Deloncle ou Coutrot, ou encore Lemaire-Dubreuil, ancien officier sous les ordres
du général Weygand et démissionnaire en 1921, qui épousa
l’héritière des huiles Lesieur. Le but premier des responsables
de la Synarchie est de transformer le système gouvernemental, en privilégiant
l’exécutif au législatif.
Des enquêtes ont attesté
du lien direct entre Lemaigre-Dubreuil et Schuller avec les instances dirigeantes
de la Cagoule et le mouvement synarchique.
Au cours des années 30,
on assiste à l'éclosion de gouvernements fascistes ou pro-fascistes
en Europe : l'Espagne de Franco, la Russie de Lénine, Ortie en Hongrie,
Hitler en Allemagne, et Edwards VIII en Grande-Bretagne, qui sera détrôné
du fait de ses relations avec les nazis. En 1934, le roi de Belgique meurt subitement
en montagne et son fils, qui lui succède alors, se rapproche du fascisme.
Il ne reste bientôt que deux gouvernements qui conservent les traditions
de la démocratie républicaine (non communiste) : l'Angleterre
et la France.
Tentative de putsch du 6 février
1934 : le Ministre de l'Intérieur, Frot, membre de la Loge et de l’organisation
maçonnique, entame des pourparlers, par l'intermédiaire de Delattre
de Tassiny et Real del Sarte (membre de l’Action Française et plus tard de la Cagoule), pour organiser l'occupation de l'Assemblée Nationale, pour un durcissement de l'exécutif :
ils considèrent en effet, qu’il n’y a plus de réponses aux nécessités
des Français. Au soir du 6 février 1934, la présence d'un
officier de liaison de l'Action Française au ministère de l'intérieur
est attestée.
Il s'agit donc d'une tentative de coup d'état très bien organisée avec l'objectif de rendre les pays européens solidaires politiquement dans une mouvance conservatrice, voire fasciste : mais c’est un échec.
Parvenir à organiser un
coup d'état implique au préalable l'existence d'une organisation
solide. Et l'histoire compte de nombreux exemples où des groupes philosophiques
(ou groupes de réflexion) ont amenés la vie d'une Nation à
changer à un moment donné (ex: mouvements théosophiques
ayant conduit à l'indépendance des Indes ou les mouvements Martinistes
en Russie). Il existe donc des sociétés de pensée qui ont
eu, au cours de l'histoire, une influence bien plus importante et décisive
que nombre de grands partis politiques traditionnels.
- La Synarchie a-t-elle organisé la défaite
de 1940, ou simplement profité d'une situation de fait ?
Le Général Beaufre,
dans ses mémoires, fait mention d'instructions pour le moins curieuses
selon lesquelles l'Armée française aurait été stoppée
dans sa défense alors que les allemands n'étaient encore qu'à
50 km de l'artillerie française.
Un Rapport du BCRA explique que les Etats majors des grandes unités alors en contact auraient été
totalement remaniés 15 jours seulement avant l'invasion allemande. Aussi,
l’ordre de ne pas attaqué aurait été donné. La percée
se fera donc à Sedan, mais après un combat de trois à six
jours, c’est un échec. Il est à noter que le général Corap, dont l’armée fut enfoncée à Sedan, avait été renvoyé du Maroc, après avoir été dénoncé comme participant à une tentative de putsch.
C'est le Général Huntziger, qui commandait la IIème armée à Sedan, qui signe
les armistices avec l'Allemagne et l'Italie à Compiègne. Il devient
ensuite Ministre de la Guerre dans le gouvernement de Vichy. Il est curieux que cette responsabilité ait été accordée à un général battu, c’était contraire à la tradition française !
L'Ingénieur français, Charles Bedaux, qui a fait fortune en organisant la rationalisation des postes
de travail, est très lié aux nazis, et très proche du Chancelier ;
il a d’autre part de nombreux contacts avec Ford aux USA. C'est par lui qu'Hitler
obtint des renseignements de première importance sur le système
de défense français au début de 1940 (sous la forme d'un
Rapport fait par le Duc de Windsor). Un livre sera d’ailleurs publié
à ce sujet, intitulé " le Roi qui a trahi ", par Allan Martin.
Lucien Sabah met donc en lumière toutes ces coïncidences sur le mouvement de la Synarchie, et de son rôle
dans la défaite de 1940 et de ses liens avec la Cagoule, prouvant ainsi
son existence. C'est selon lui une réalité.
Il y a ces liens avec des hommes comme Bedaux, Huntziger ou encore Giraud (un des fondateurs de la Cagoule).
Nous avons également un homme comme le Général Weygand
qui a participé, plus ou moins directement, par l'intermédiaire
de son lieutenant de Lattre de Tassigny, à la tentative de putsch de février
1934. Donc une organisation bien réelle et loin d'être un fantasme.
Un groupe de veilleurs est crée en Egypte, les Martinistes.
Jeannine Canudo organise des Etats généraux de la Jeunesse en 1937 avec l'appui d'Emile Roche et
amène le Ministre de la Santé Godard à diriger ces Etats
Généraux. De nombreuses réunions sont organisées :
à Bâle notamment en 1942, où sont présents des représentants
de grandes industries françaises comme Goering, un représentant
de Dupont de Nemours (des USA), ainsi que des représentants de la grande
industrie allemande.
- La Synarchie a-t-elle eu une influence sur l'économie française, voire européenne
ou mondiale ?
Le plan synarque de Saint-Yves d’Alveydre
est bâti sur une organisation avant tout scientifique. Et les scientifiques
de l'époque sont les polytechniciens. Ce plan a pour but premier d’équilibrer
la production et la demande afin d’éviter une révolution.
On est alors dans une crise économique
mondiale. Par conséquent, les intelligences multiplient les réunions
de réflexion; ce qui explique la floraison de plans à l'époque
(par exemple " Xcrise " en 1929). Ainsi, Nicholetis, responsable
de la maçonnerie et ingénieur des poudres, collabore aux premiers
plans en Russie. En France, Jules Romains participe à l’organisation de
la production française pour éviter les surplus ; Bedaux lui,
organise le travail dans les usines.
De nombreuses pistes restent à
travailler sur le plan économique : sur les planistes, ou encore sur
les organisateurs des systèmes de distribution et production en Allemagne,
en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.
- La Synarchie s'est-elle poursuivie depuis la Libération ?
A partir de 1952-1953, une organisation
se crée en France lorsque Pinay autorise le regroupement des commerces
de distribution : le commerce se développe avec la casse des prix.
Le pôle chimie de Dupont et Nemours est par la suite accusé d’être l’un des grands pôles
de la Synarchie.
CONCLUSION
La Synarchie est avant tout une
société secrète, une société de fait (non
déclarée selon la loi associative de 1901). Les noms de ses adhérents
ne sont donc pas enregistrés auprès de la Préfecture. S'ajoute
à cela, la destruction des archives. On ne dispose par conséquent
que de peu de matière pour montrer l'histoire de ce mouvement.
Il n'en reste pas moins que les coïncidences mises en lumière par Lucien Sabah sont là pour
apporter crédit à la thèse selon laquelle la synarchie
n'a rien d'un fantasme. C'est en 1941 qu'on commence à dénoncer
la Synarchie dans le Journal de Costantini. A partir de là, des listes
vont circuler publiant les noms de gens prétendus synarques. Il n'est
pas anodin que des noms tels que Drieu La Rochelle y figurent. Après
l'échec du putsch de février 1934, les synarques ont utilisé
Pétain, et notamment en Pologne. Leur discours était basé
sur des faits comme le renouveau de la France pour battre les allemands.
Aussi, des photos de voyages effectuées à Berlin ont été retrouvés, sur lesquelles des croix
gammées avaient été effacées.
Selon Lucien Sabah, la Synarchie a donc très probablement existée et ceux qui réfutent son
existence n’auraient pas bien lu les documents que l'histoire nous a laissés.
Mais c'est une entreprise délicate où il convient de faire la
part entre le crédible et l'in/crédible, tant cette période
historique regorge de trahisons et de règlements de comptes.
Emmanuelle MOLLET
& Perrine de CALONNE