Café-philo

avec

Henri SERRES*, Paul JOLIE** (MP1997) et Robert PICARD*** (MP1979)

* Directeur général des systèmes d'information et de communication au ministère de la Défense
** Responsable de la stratégie, Orange France
*** Conseil Général des Technologies de l'Information
Lundi 19 mars 2007
" Usage des technologies de l’information et de la communication (TIC) et compétitivité des entreprises "
 
Economie de l’immatériel : la puissance publique et l’entrepreneur. Dans une économie devenue mondiale, les facteurs de compétitivité changent, et font une large place à la connaissance, l’innovation, l’immatériel. La commission sur l’économie de l’immatériel, installée par le ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie le 27 mars 2006 a remis le produit de ses réflexions le 4 décembre 2006. Dans la même période, l’ACADI et le club Pangloss travaillaient au sein d’une commission commune sur l’un des défis à relever par les dirigeants dans cette nouvelle économie : comment mettre les technologies de l’information et des communications (TIC) au service de leur compétitivité ? La confrontation de ces regards sur les transformations de notre société conduit à des questions nouvelles, en particulier :
- Comment et dans quelle mesure ces deux visions se complètent-elles ou s’opposent-elles ?
- En quoi la puissance publique peut-elle favoriser une utilisation efficiente des TIC ?
- Comment les dirigeants peuvent-ils développer une vision opératoire de cette nouvelle économie ?

Henri Serres a effectué une carrière alternant responsabilités publiques, notamment aux ministères de l’Industrie et de la Défense, et privées (Matra Communication, CSC Peat Marwick). Il a été directeur chargé de la sécurité des systèmes d’information au SGDN, puis directeur central, en 2000 et 2001 respectivement. Il est nommé en 2005 vice-président du CGTI (Conseil Général des Technologies de l'Information) et président du conseil d'administration du GET (Groupe des Ecoles des Télécommunications). Henri Serres est depuis septembre 2006, directeur général des systèmes d'information et de communication au ministère de la Défense. Il est membre du conseil d'administration de France Télécom depuis octobre 2002. Avec cette expérience, et comme membre de la commission sur « l’économie de l’immatériel », il confrontera son regard à celui de représentants de la commission ACADI/Pangloss, Paul Jolie et Robert Picard.

20h00 : Cocktail

    résumé du rapport ACADI/Pangloss,
rapport ACADI-Pangloss.

Hôpital Saint-Joseph, Paris 14

photo n°1 - cp_serres photo n°2 - cp_serres photo n°3 - cp_serres photo n°4 - cp_serres photo n°5 - cp_serres photo n°6 - cp_serres photo n°7 - cp_serres Photos B. Jacob  (pour agrandir une photo cliquer dessus)
Compte-rendu

Une trentaine de membres du club Pangloss et de l'ACADI se sont retrouvés pour cette conférence-débat sur l'usage des Technologies de l'Information et de la Communication (TIC) autour de Henri Serres, Paul Jolie (MP1997) et Robert Picard (MP1979). Après une brève présentation des deux associations par leur président(e) respectifs, les 30 participants ont écouté avec attention les trois conférenciers.

Henri Serres a rappelé d'abord que pour Thierry Breton la mission sur l'économie de l'immatériel, confiée à Maurice Lévy (informaticien d'origine) de Publicis devait être le pendant du rapport Pébereau sur la dette. La commission à laquelle il participait s'est donc réunie deux fois par mois (parfois toutes les semaines), entre mars 2006 et le 4 décembre 2006 date de remise de ses réflexions.

L'immatériel est aujourd'hui un facteur-clé de succès des économies, car c'est lui qui conditionne la différentiation donc la réussite dans le monde actuel. Au-delà du capital matériel, il faut donc développer les capitaux de talents, de connaissances, de savoirs. Ceci est vrai dans d'industrie qui a délocalisé la production dans les pays à faible coût de main-d'œuvre en se recentrant sur le design, le service, le concept mais aussi dans d'autres domaines tels que la santé. De plus tout s'est accéléré, et il ne suffit plus de copier pour rattraper les pays qui ont mieux anticipé une rupture, car la financiarisation des activités s'ajoute à la dématérialisation.

Une tentative d'évaluation de l'importance de l'immatériel conduit à considérer qu'en France, 17% de la valeur ajoutée et 13,5% de l'emploi dépendent de l'économie de l'immatériel, sans prendre en compte l'effet multiplicateur. La création de valeur se fonde de plus en plus sur des actifs immatériels. Par ailleurs la situation actuelle montre que la perception de la place de la France n'est pas bonne à cause d'une organisation universitaire trop éclatée pour être "visible" au plan mondial, et d'une approche jacobine des problèmes qui se révèle inapte à soutenir les entreprises. Enfin l'Etat sous-estime ses actifs immatériels.

Face à ce constat, la commission a donc préconisé de :
  • changer de réflexe,
  • changer d'échelle,
  • changer de modèle.
Changer de réflexe : à l'heure actuelle on protège les situations acquises au lieu de regarder le potentiel que l'on bloque ainsi (par ex. on favorise les entreprises en place alors que les gisements de croissance sont dans les PME). Il faut donc valoriser les brevets publics, les droits d'accès au domaine public, d'où, par exemple la création par Thierry Breton de l'Agence de Valorisation des Actifs Immatériels.

Changer d'échelle : cela implique de raisonner au-delà des frontières, de penser "mondial", ou au moins européen. D'où la ratification par la France du protocole de Londres pour la reconnaissance des brevets.

Changer de modèle implique de changer de système de formation et d'enseignement supérieur (autonomie, gestion du potentiel..), et de passer d'un système de taxation à un système d'incitation fiscale par exemple.

Après ce constat sans complaisance, présenté par Henri Serres, Robert Picard a introduit le rapport ACADI-Pangloss, en indiquant qu'il avait pour objectif d'examiner ce qui dans le rapport peut être utilisé par les entrepreneurs. Il a souligné que les flux d'immatériels ne sont pas seuls à devoir être pris en compte. En effet :
  • les flux matériels sont favorisés par la révolution logistique,
  • la révolution apportée par les TIC concerne directement les PME et pas seulement les "majors du secteur",
  • enfin ceci n'est pas seulement l'affaire des DSI, mais celle des dirigeants.
Il pose la question des rythmes d'évolution des TIC par rapport au rythme de l'Administration…

Paul Jolie présente ensuite le
contenu du rapport. S'appuyant sur une présentation très riche et fort bien documentée en exemples, Paul Jolie a tenu à souligner l'apport des divers membres de la commission, et plus particulièrement les contributions d'Alain Poinssot sur le rôle de la révolution logistique et d'Edward Towbin co-rapporteur.

L'usage des TIC a produit un changement beaucoup plus profond qu'on ne le pense car aujourd'hui si l'information a un coût de production élevé, sa reproduction ne coûte que très peu et ceci va continuer car tous les 18 mois la taille et le prix des composants sont divisés par deux et ceci devrait continuer dans les 15 prochaines années, d'après la loi de Moore. Par ailleurs les débits de transmission croissent très vite, ce qui permet de développer de nouveaux usages.

L'organisation traditionnelle de l'entreprise est bouleversée. La messagerie par exemple a totalement déstructuré les entreprises et les TIC ont révolutionné l'hôtellerie : les clients s'inscrivent maintenant par internet, le marché est donc mondial et l’objectif est le taux de remplissage instantanné…

Ceci est accentué par la révolution logistique (échange d'information sur les stocks permettant le juste à temps, baisse des coûts de transport, localisation des véhicules grâce au GPS…). La conséquence est la mondialisation des services.

Par ailleurs les TIC ont transformé le jeu concurrentiel les questions-clés étant maintenant les suivantes : "Où, à quel endroit de la chaîne, la création de valeur sera-t-elle la plus forte ? Quels " Business Models " permettraient au mieux de capter cette valeur ?". Alors que par le passé, les grands groupes ont profité des économies d'échelle, aujourd'hui la plus petite entreprise a accès à tout, partout. Bien plus, les entreprises peuvent, grâce aux TIC, avoir recours de plus en plus à des prestations externes souvent réalisées " sans couture ".

En conséquence ni la distance, ni la taille ne protègent les rentes de situation. Paul Jolie insiste sur deux cas typiques de développement d’écosystème « gagnant » : le modèle indien de développement de logiciel qui menace maintenant IBM ou Cap Gemini, et le développement des jeux vidéo dans la région de Montréal.

Aujourd'hui, comme le coût de reproduction devient faible, c'est le client qui devient " rare ", et il faut savoir capter son attention. En conséquence tout peut et doit être adapté au client dans une logique de marketing " One to One " et la gratuité informationnelle tend à se développer (cas de Google, développement des journaux gratuits,…).

La stratégie redevient primordiale. On assiste au passage d'une stratégie de planification à une " logique opportuniste ". Les cas de Meetic ou Skype sont typiques de ces évolutions. L'appropriation des nouvelles technologies au service de nouveaux Business Models est quasi instantanée (loi de Moore).

Suite à ce constat, le rapport souligne qu'il y a autant d'opportunités que de risques.

En effet le jeu est ouvert et les barrières à l'entrée tombent. De nouveaux marchés se créent tous les jours grâce à l'effet " longue traîne " qui permet de passer d'un marché visant le plus grand nombre à des marchés de niche. Les systèmes TIC apportent de la flexibilité pour développer ces marchés, même si les risques sont réels du fait que les Business Models sont instables. La percée de DELL, puis son dépassement, sont essentiels à comprendre. Ils montrent en effet que l'organisation humaine va moins vite que la technique.

En conséquence l'usage des TIC n'est plus l'affaire de la DSI, mais relève de la vision créative du dirigeant.

Pour conclure la présentation, Robert Picard a rappelé les 7 recommandations du rapport dont la dernière renvoie au rôle clé du dirigeant…

A l'issue de ces présentations particulièrement riches et denses, le débat a fait apparaître l'absurdité du système français qui tend à privilégier les acteurs installés au détriment des PME ou TPE. Par ailleurs certains se sont étonnés du peu d'impact sur la campagne présidentielle du rapport sur l'économie de l'immatériel alors que le rapport sur la dette est incontournable. Enfin le rôle de la révolution logistique comme accélérateur des transformations de l'économie a soulevé pas mal d'interrogations. Le mot de la fin est revenu à Henri Serres, qui, en tant que "DSI du Ministère de la Défense" a indiqué qu'il allait s'approprier les recommandations du rapport ACADI-Pangloss.

Jean-François Cuvier (MP1975)