DINER-DEBAT

avec

Monsieur Gérard FELDZER

Consultant aéronautique et chroniqueur radio et TV, élu EELV au conseil régional d'Ile de France
Mercredi 10 juin 2015
" Sécurité aérienne et mobilités de demain "
 
Ingénieur des transports (ESTACA), pilote de ligne (ENAC), commandant de bord à Air France de 1974 à 2005, Gérard Feldzer a dirigé le musée de l'Air et de l'Espace de 2005 à 2010. Conseiller régional EELV d’Ile-de-France, il est à ce titre président du comité régional du tourisme et vice-président de Ports de Paris depuis 2010. Il a été président de l'Aéro-Club de France,(1994-2005). Chroniqueur à France Info, il anime tous les samedis l’émission « Transportez-moi » et est co-producteur du magazine du même nom sur LCP, seul média sur l'éco-mobilité.

Ces 12 derniers mois ont été noirs pour l'aviation : Malaysian Airline MH370 (Océan Indien) et MH17 (Ukraine), Air Algérie au Mali, Germanwings dans les Alpes françaises... Y-a-t-il une conjonction d'éléments ? Ces accidents auraient-ils pu être évités ? S'agit-il de fautes humaines ? Qu'a-t-on appris et quels enseignements en tirer ?

Quelle sera la mobilité en 2050 ?
- en aviation, nous frôlerons l'espace, la propulsion sera hybride, il y aura des avions sans pilotes (pour le fret ?)...
- sur la route l'explosion du e-commerce va devoir impliquer de nouvelles procédures de livraisons, de partages de charges de véhicules, de coffres individuels, de livraisons par tube...
- 98% des marchandises sont transportées par la mer : les bateaux seront hybrides et modulaires, polyvalents, avec des systèmes de déchargements plus rapides et autonomes (liens avec les ports).

Sources biographiques:
Gérard Feldzer en 2015 (Libération, 9/4/2015),
Gérard Feldzer en 1997 (Vol moteur n°143),
Son père Vadim, un authentique résistant...
... et son oncle Constantin, pilote et héros de guerre.
Liens:
Transportez-moi : comment mieux gérer les véhicules (France Info, 17/5/2014)
Eco-mobilité (France Info)
Eco-conduite (France Info)
Voler par tous les temps
C'est quand même extraordinaire qu'en 2014 on arrive à paumer un avion (MH370, 2014)
Crash Boeing 777 à San Francisco (Le Figaro)
Transportez-moi : véhicules électriques (Mondial de l'automobile 2012)


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Compte-rendu

Gérard Feldzer nous a reçus chez lui, sur sa péniche India Tango, amarrée sur le quai de la Seine face à l’Assemblée nationale. Pendant que défilaient les bateaux-mouches tous feux allumés, il nous a fait voyager dans les airs, dans des appareils de plus en plus sûrs, truffés d’électronique, pilotés par des professionnels rarement faillibles. Quoique !

Gérard a débuté sa carrière de pilote de ligne au moment du choc pétrolier et des réductions d’effectifs dans les grandes compagnies aériennes et il dut s’expatrier au Népal puis en Algérie avant de rejoindre la compagnie nationale Air France. C’est par un juste retour des choses que les anciens de la fondation Elf-Air France sont venus à la rencontre de l’ancien pilote. Il a piloté tous les types d’appareils, jusqu’aux plus modernes, et a ainsi acquis l'expérience physique du manche, où l’on ressent la pression sur les ailerons, puis du joystick, à manipuler avec doigté comme un jouet, et qui répond à la moindre sollicitation sans effort. La contre partie de cette facilité, à laquelle accèdent actuellement les jeunes pilotes dès leurs débuts, est l’absence de sensation parfois utile pour comprendre le comportement de l’appareil. En pilotant à l’aveugle, le pilote devient tributaire des instruments et de l’électronique et peut, dans des circonstances exceptionnelles, ne plus comprendre son environnement. Cela explique l’accident du vol Rio-Paris.

1. Accident Rio-Paris

Des pilotes fatigués, un commandant qui dormait au moment de l’accident, un jeune copilote qui s’efforce de contourner un orage repéré par les radars mais entre dans un second orage masqué par le premier et qui ne parvint pas à l’éviter, et des sondes Pitot qui gèlent, privant les ordinateurs et le pilote d’informations essentielles sur le vol, ont conduit à la catastrophe. Le copilote a cabré l’appareil qui a décroché. Une alarme s’est déclenchée, et le pilote a rendu la main puis recabré l’appareil qui a décroché à nouveau, à plat cette fois. Les pilotes n’ont pas compris la situation. La bonne réaction aurait été de piquer pour reprendre de la vitesse et de la portance, mais les indicateurs et le pilote automatique ont induit le pilote en erreur.

Pour comprendre ce scénario, il fallait à tout prix retrouver les boîtes noires. Comme elles n’émettent un signal que pendant une durée limitée, les recherches se sont poursuivies pendant deux ans, en se basant sur la détection sous-marine de masses métalliques. Après l’accident du vol MH352 de Malaysian il est à présent envisagé de mettre en œuvre une transmission en continu de certains paramètres par satellite, mais ceci a un coût qui freine cette évolution.

L’expérience du vol manuel a sûrement aidé et sauvé le pilote américain, ancien de l’aéronavale, qui a réussi l’exploit d’amerrir à New-York en janvier 2009 avec un Airbus A320 et ses 150 passagers et 5 membres d'équipage. Les réacteurs avaient été endommagés par des oiseaux juste après le décollage, privant l’appareil de sa puissance. L’avion est resté étanche car il n’était pas endommagé.

2. Règles de sécurité

En matière de sécurité, Gérard nous rappelle les règles essentielles :
– la vigilance permanente : avant de décoller, on fait la check-list des vérifications. En vol, il faut appliquer la règle dite "des 4 yeux", consistant à faire voir toute action au pilote ou au copilote. Si l’un actionne une commande, l’autre le voit et corrige en cas d’erreur. Le stress est inéluctable et presque souhaitable, car il maintient la vigilance et évite la routine.
– la confiance accordée au pilote et à l’équipage : la compagnie confie au pilote l’appareil et ses passagers et lui fait totalement confiance. En retour, le pilote doit signaler tout incident. Même une anomalie de vol mineure est considérée comme incident, par exemple de survoler un site touristique à basse altitude. Si le pilote se dénonce conformément à la charte de signalement, l’anomalie est sans conséquence, mais s’il l’omet, cela peut lui être reproché. Dans la cabine de pilotage, la confiance mutuelle est basée sur une bonne répartition des tâches dans la transparence. Pour éviter toute connivence, les équipages tournent continuellement. Pilotes et copilotes n’ont pas l’habitude de piloter ensemble.
Pour illustrer la grande latitude accordée au pilote, Gérard nous raconte un événement qu’il a dû gérer avec les passagers sur un vol transatlantique. Le fournisseur de repas étant en grève, il a informé les passagers et leur a décrit les options possibles : décoller sans les repas, attendre que la situation se débloque, ou faire escale à Londres sur la route pour charger des repas. Entre temps, il apprend qu’un avion arrive de Mexico avec à bord des repas en trop. Il a donc décidé d’aller les récupérer puisqu’ils auraient été jetés...
– l’analyse des événements et la recherche des causes en cas d’accident afin d’en titrer les enseignements : vers 1970, avec l’apparition des appareils à réaction, le nombre d’accidents augmente. Après 1980, il baisse. L’introduction des ordinateurs et du numérique sécurise la navigation mais il reste les facteurs humains.

En cas d’accident, on examine tous les aspects, humains, externes, matériels, pour éliminer la ou les causes d’origine. Cela concerne également les nombreux équipementiers sous-traitant qui participent à l’assemblage d’un appareil, chacun étant spécialiste de son domaine.

Le modèle proposé par le professeur James Sonore de la Manchester University, au Royaume-Uni, aide à comprendre pourquoi et comment les accidents surviennent et à mettre en relief les relations complexes de cause à effet. Il tient compte du fait que le plus souvent, plusieurs incidents s’enchaînent pour provoquer un crash aérien. Un incident technique peut dégénérer si le pilote ne prend pas les bonnes mesures.

En situation de crise, le pilote doit avoir le bon réflexe, sans prendre le temps de trop réfléchir. Ses compétences, même acquises en dehors de son métier, peuvent s’avérer très utiles. Par exemple sur un Airbus canadien, l’alarme hydraulique s’est enclenchée, puis l’alarme de transfert de carburant entre les ailes qui avertit d’un dysfonctionnement, jusqu’à la panne des robinets de transfert de carburant, l’arrêt d’un réacteur puis du second. Le pilote, expérimenté en vol à voile, décide de rallier l’aéroport de Santa-Maria aux Açores, … en planant.

Gérard rapporte une histoire vécue. En plein vol, son commandant tire sur le manche et il ne se passe rien, l’appareil continu sur sa trajectoire et son assiette. Or la veille, au bord de la piscine de l’hôtel, Gérard avait relu les consignes de sécurité sur les réglages du trim (système aérodynamique ou mécanique qui assure l'équilibre de l'avion). Il vérifie donc le trim qui était mal réglé, ce qui expliquait l’absence de réaction de l’appareil. Le pilote aurait pu être désemparé et prendre de mauvaises décisions...

Le trouble peut aussi venir de l’intérieur de l’appareil, surtout avant que les portes de la cabine ne soient sécurisées. Sur un vol Paris-Dakar, un passager suicidaire rentre dans le cockpit et coupe les moteurs. Le pilote parvient à maîtriser l’individu, et se pose pour le débarquer. Mais le passager, fortement alcoolisé et drogué, décède avant l’arrivée. L’incident dégénère à bord, et certains passagers prennent sa défense : "ils ont tué notre frère"... et il faut gérer l’émeute à bord.

A contrario, la grande sécurité des accès à la cabine a contribué à l’accident de l’avion de Germanwings, en empêchant le commandant de retourner aux commandes. Pour cet accident, grâce aux boites noires retrouvées on a compris qu’à l’aller, le pilote suicidaire avait déjà entamé une descente sans que le commandant ne s’en rende compte. Il avait ainsi testé sa réaction.

Il y a eu d’autres cas de suicides catastrophiques, sur Japan Airlines et sur Royal Air Maroc avec un ATR 42. On a compris que le suicidaire poussait le manche, mais l’autre pilote n’est pas parvenu à contrer la manœuvre.

Un accident s’est aussi produit il y a plusieurs années, juste avant Noël, sur un vol Bruxelles-Bordeaux très arrosé au champagne. Gérard admet qu’à une époque, les pilotes "picolaient" récupéraient des bouteilles en 1ère classe. Cette époque est révolue et l’alcool est interdit en cabine de pilotage.

3. Malaysian Airlines MH370 et autres accidents

La disparition mystérieuse du Boeing 777 du vol MH370 de la Malaysian Airlines est abordée. Trois hypothèses ont été envisagées :
- le suicide d’un pilote qui aurait choisi de faire sombrer l’appareil en mer dans une zone non couverte par les radars,
- un incendie à bord déclenché par les batteries au lithium, entraînant l’intoxication des pilotes, mais ceci n’est pas cohérent avec le changement de cap observé,
- un acte terroriste, avec prise de commande à bord ou à distance, et redirection vers Diego Garcia, une île de l’océan Indien qui abrite une base de renseignement de l’armée américaine. L’armée américaine aurait pu détruire l’avion pour éviter une attaque de type 11 septembre.

Ce ne serait pas la seule fois qu’un missile militaire abat un avion civil : caravelle Ajaccio-Nice en 1968 (hypothèse d’un missile tiré de la base du Levant s’étant détourné de sa cible), vol de Korean Air Line abattu en 1983 par la chasse soviétique après être entré dans son espace aérien, vol 655 d’iran Air abattu par la chasse américaine dans le Golfe persique en 1988, et bien sûr le vol MH17 de Malaysian abattu en 2014 au-dessus de l’Ukraine, sans doute par des milices pro-russes et un missile russe.

Toutefois sans les boites noires ni les restes de l’avion il est difficile de conclure de manière formelle.

La question de la fiabilité des systèmes électroniques embarqués est abordée. Le piratage du système est-il possible ? Du sol, c’est impossible, mais la prise de commande à partir d’un ordinateur à bord est possible… et inquiétante !

Deux autres accidents sont évoqués. Le plus récent est l’accident de Tenerife en 1977, le plus grave de l’histoire de l’aviation civile avec 583 victimes. L’aéroport était plongé dans le brouillard. L’équipage d’un Boeing 747 de la Pan Am qui venait d’atterrir n’a pas trouvé le taxiway pour quitter la piste, et la tour de contrôle ne s’en n’est pas rendu compte. Les échanges radio entre les pilotes et la tour ont été insuffisants, un pilote se contentant de confirmer la réception d’un message (mal compris) par "roger", qui signifie "bien reçu, j’ai compris", alors qu’il aurait dû répéter la consigne ou poser des questions en cas de doute. Un autre Boeing 747 de KLM lancé à pleine vitesse sur la piste de décollage percute celui de la Pan Am à plus de 250 km/h.

Le 9 mai 2015, un A4100 M, avion de transport militaire en essai avant livraison, s’est écrasé près de l’aéroport de Séville après une coupure des moteurs provoquée par le logiciel de bord. Le pilote a recherché un champ, mais il a percuté une ligne haute tension.

4. En conclusion

Gérard nous explique qu’il reste très actif depuis son départ en retraite d’Air France, intervenant sur les chaînes de radio et télévision, surtout et malheureusement après des accidents aériens. Il participe aussi à des groupes de réflexion après incidents ou accidents. Il est journaliste à France Info sur les transports et a de nombreuses activités sur les transports du futur et économes en CO2.

Il a lancé une petite entreprise sur le recyclage des batteries de voitures électriques pour les véhicules utilitaires légers urbains, lancé plusieurs initiatives pour les jeunes dans les transports, et créé un programme de micro-crédit pour les éleveurs en Afrique et au Vietnam.

La nuit est tombée sur Paris et la péniche India Tango a à peine oscillé face au ballet des bateaux-mouches. Nous sommes finalement assez rassurés sur la sécurité du transport aérien, conscients que tout est mis en œuvre pour réduire la fréquence des accidents, certes très spectaculaires, mais infime rapportée aux 30 millions de vols et aux 3 milliards de passagers annuels. Et le trafic ne cesse de croître. Un avion commercial décolle chaque seconde dans le monde, et ce sera le double dans 20 ans, avec des appareils toujours plus gros. Sur l’Atlantique Nord, il y a 8 rails pour canaliser les vols, comme sur des autoroutes, à des altitudes espacées de 300 m et 2 secondes d’écart, soit à 900 km//h 500 m entre les appareils qui se suivent.

Le ciel commence à être saturé, et surtout les aéroports, où les appareils se posent en séquence, souvent après une attente en l’air, et décollent à forte cadence....

La soirée étant bien avancée, nous avons convenu avec Gérard que nous reviendrons le voir l’an prochain pour l’autre sujet tout aussi passionnant dont il avait proposé de nous parler : les transports du futur.
Pierre-Yves Landouer (MP1984) et Bernard Jacob (MP1979)