DINER-DEBAT

avec

Madame Monique FOURNIER-LAURENT et Monsieur Alain MALLET

Membres du groupe de réflexion sur le 21ème siècle (GR21) - Collectif de citoyens bénévoles
Jeudi 11 avril 2013
" L’insertion des jeunes en difficultés : impliquer les citoyens "
 
Sur la base du témoignage de l’expérience peu classique qu’ont vécue les intervenants, nous débattrons des capacités du tissu local pour résoudre des problèmes visant les jeunes, mais aussi des obstacles parfois inattendus qui perturbent ces actions.

D’origines professionnelles différentes, ces bénévoles à la mission locale de la vallée de l’Oise décident d’utiliser leurs connaissances des problèmes que les jeunes de 16 à 25 ans, mal préparés à la vie de tous les jours, rencontrent. Ils cherchent ce qui peut être entrepris localement, auprès des plus jeunes pour leur éviter d’éprouver, plus tard, tant de difficultés. Ils traitent ce sujet dans l’ouvrage Eh ! Toi ! Tu fais quoi de mon avenir ?. Ce livre est la base des débats citoyens qu’ils animent (les droits d’auteur sont au profit du centre G. Brassens de Creil).

Ils proposent un ensemble d’actions simples, peu coûteuses, et participent, avec quelques établissements scolaires, associations, mairies ou communautés de communes, à la mise en œuvre de certaines d’entre elles :
• rapprocher les écoles et les entreprises,
• promouvoir et intensifier l’aide aux devoirs dans les écoles primaires en renforçant les moyens en bénévoles dans les associations,
• réconcilier certains parents avec les écoles et la scolarité de leurs enfants,
• faire le lien entre besoins et ressources : conception d’un outil local en cours.

Ils participent, à la demande de ces institutions et du rectorat, et dans le même esprit à divers projets, lutte contre le décrochage scolaire notamment.

Au cours de cette soirée, ils feront part de leur expérience et ouvriront le débat sur :
• la pertinence des actions locales et la manière de les engager,
• le rôle de pédago citoyen,
• les façons de combattre les obstacles.

Monique Fournier-Laurent a dirigé des équipes de production et la direction des cadres et de l’Institut du Management à la SNCF. Elle est auteur de 6 ouvrages (management et société).
Alain Mallet, lieutenant-colonel en retraite de l’armée de terre, est médiateur pénal au TGI de Senlis.


La Terrasse, Cité internationale universitaire, Paris 14

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Compte-rendu

Qu’est que GR21 ?

C’est un collectif, à l’origine de 3 personnes, d’origines professionnelles différentes, bénévoles auprès de jeunes, notamment à la mission locale de la vallée de l’Oise. Il y a 4 ans, ils décident d’utiliser ensemble leurs connaissances des problèmes que les jeunes de 16 à 25 ans mal préparés à la vie de tous les jours rencontrent, pour trouver comment éviter aux plus jeunes d’éprouver, plus tard, tant de difficultés. Pour eux, disent-ils, c’est un choix de société. Ils exposent leur réflexion dans l’ouvrage Eh ! Toi ! Tu fais quoi de mon avenir… édité chez Edilivre et dont les droits d’auteur sont au profit du centre G. Brassens de Creil. Nos invités précisent qu’un ouvrage est plus présentable et donc plus crédible pour présenter la démarche et servir de base aux débats qu’ils animent.

Le GR21 comprend maintenant 5 personnes, toutes impliquées dans l’insertion des jeunes en difficulté.

Ce collectif s’est constitué autour de valeurs communes : une logique apolitique, une volonté d’agir pour contribuer à aider les jeunes à devenir des adultes autonomes, capables d’exercer leur libre arbitre, et de faire des propositions qui impliquent la responsabilité de pédago-citoyen pour aider ces jeunes à se construire.

Des propositions structurantes

En mettant en commun leurs expériences dans le domaine de l’insertion de ces jeunes, et leurs compétences professionnelles, le collectif a mené une première réflexion sur l’insertion des jeunes dans le bassin creillois. Il a poursuivi en examinant plus précisément la place de la réussite scolaire dans cette insertion. Il a émis différentes propositions concrètes et structurantes, a aidé la mise en œuvre de la plupart d’entre elles et les a donc testées :
  • Le renforcement de l’aide au devoir, avec plus de bénévoles mieux utilisés.
  • Les conteurs de métiers dans les collèges, tous les ans, depuis la 6e: il s’agit d’éveiller la curiosité des enfants, leur donner du sens au travail scolaire afin de créer l’étincelle, leur montrer qu’on peut se construire dans le travail, leur donner des repères, utiles pour l’orientation.
  • Les groupes de parole pour les parents d’élèves, parfois démunis devant l’éducation de leurs enfants, pour réconcilier certains parents avec les écoles et la scolarité de leurs enfants.
  • Un lien entre besoins et ressources, localement, pour faciliter la réactivité coordonner les efforts d’associations, et décloisonner leurs approches. Pour faciliter ces relations et répondre à ces besoins fonctionnels, le GR21 avait donc suggéré aux autorités locales de mettre en place un relais coordinateur. Se rendant compte que cette action ne serait pas engagée, et grâce à une nouvelle compétence dans son groupe, le GR21 a réalisé la définition fonctionnelle d’un outil informatique : DIESES (Dispositif Inter-Entités S’opposant à l’Echec Scolaire). GR21 met donc la conception fonctionnelle de cet outil à la disposition de la CAC (comme à celle d’autres organismes publics locaux).
GR21 affirme que la plupart des actions proposées existent déjà, mais seulement quelque part, un peu, parfois. Elles peuvent et doivent être mises en œuvre partout où c’est nécessaire, suffisamment et en continu.

La place de l’école et de l’éducation nationale

L’expérience de GR21 montre qu’avec l’acquisition de bases élémentaires en lecture, écriture et calcul, l’orientation et la sensibilisation au monde du travail, lors de la scolarité sont des conditions primordiales pour réussir l’insertion des jeunes. Nos invités citent des exemples concrets de ce qu’ils appellent « un grand gâchis ». Ce jeune qui a passé un bac pro en entretien d’installations industrielles, parce que c’est là qu’on l’a envoyé, mais qui ne veut absolument pas travailler dans ce secteur. Tous ces jeunes qui, en 3e, se sont inscrits dans « le » lycée professionnel proche, sans aucune idée des métiers auxquels ils étaient censés se préparer, sans envisager la moindre mobilité pour trouver un emploi correspondant à leur formation. On les retrouve à la mission locale, perdus, ne sachant pas à quelle porte frapper ni quoi dire pour avoir la moindre chance d’être recrutés.

Toute amélioration passe donc par une interaction avec l’éducation nationale.

Les premières réactions de cette institution étaient plutôt réservées. Par exemple, l’idée des conteurs de métier a fait réagir le corps professoral. Cherche-t-on à faire venir le privé (les entreprises), dans l’école ? Mais à la longue, grâce à l’expérience lancée par quelques établissements, cette opération est devenue un succès. Cette interaction va changer la perception de l’entreprise par le corps professoral et vice versa.

Ceci, dit, si proposer des changements sur des institutions aussi fortes que l’éducation nationale n’est pas facile, force est de constater la réaction, très générale dans quasiment toutes les institutions, de choisir de ne pas bouger plutôt que risquer de ne pas réussir.

GR21 part du constat que l’école ne peut pas résoudre seule tous les problèmes de la société. Cela se traduit par une approche humble vis-à-vis du corps professoral, tout en étant pugnace pour contourner les obstacles. Le travail avec le corps professoral a fait d’ailleurs comprendre aux membres du GR21 que de nombreux professeurs sont en souffrance. La société doit donc commencer par les aider. Et si le GR21 propose des actions qui pallient les effets néfastes des évolutions de la société pour l’éducation, en prévention d’une conséquence : l’échec scolaire, il a dû proposer aussi des solutions par rapport à cette souffrance. Par exemple, le coaching réalisé par des professionnels engagés dans le milieu associatif. Le regard d’une personne extérieure moins impliquée, qui peut éclairer une situation en posant des questions naïves aux professeurs qui ne peuvent pas prendre de recul.

Rendre crédible un collectif

GR21 s’est donné pour but d’éveiller les consciences, conscience du rôle de chacun dans l’éducation des jeunes, conscience de la faisabilité d’actions locales... Cela passe par des outils et des actions de communication.

Il publie des éditos mensuels où les auteurs font part de leurs réflexions, posent des questions sur un sujet précis, proposent des solutions et demandent des avis, donc ouvrent la porte à la discussion. Ils sont une suite à l’ouvrage Eh! Toi ! Tu fais quoi de mon avenir… Ces éditos sont maintenant publiés sur un site internet
www.gr21.fr. Le site présente le GR21 et ses productions, les principaux partenaires avec qui les actions sont mises en place. Il permet aussi de recueillir les réactions des lecteurs, et donc d’enrichir la réflexion. Depuis avril, c’est un plaidoyer à se mobiliser contre l’échec scolaire : « sur la pertinence de notre démarche globale visant une réduction significative des échecs scolaires ».

La crédibilité passe aussi par l’approche professionnelle, par exemple la rigueur. Chaque rencontre fait l’objet d’un compte-rendu avec relevé de décision, validés par tous les participants à cette réunion.

Enfin, cela passe par l’affirmation de partis pris concernant la solidarité intergénérationnelle. Si chacun agit, même très peu, les choses bougeront.

GR21 a deux images, pour convaincre et mobiliser :
  • La montagne et la dune : quand on est loin, s’attaquer à l’échec scolaire, c’est vouloir s’attaquer à une montagne, ce qui nécessite donc de gros moyens. Mais quand on s’approche du problème, ce n’est qu’une dune, et l’action coordonnée de citoyens, même avec les moyens du bord, peut permettre de la déplacer.
  • La lumière : les jeunes en difficulté ont devant eux un avenir sombre. Sur de nombreux plans (trouver du travail par exemple, mais aussi le jeune en difficulté scolaire - seul, perdu dans le noir -), rien n’est simple pour cette génération. Mais si on allume seulement quelques lueurs de balisage, on fait naître l’espoir. C’est cette lumière qui va guider, motiver, éclairer le chemin de vie de chaque jeune.
L’un des choix de GR21 est celui de rester un collectif. Il n’a pas d’existence légale, de structure à faire fonctionner. Il n’a donc rien à vendre ! Ses membres veulent prouver que l’action citoyenne a un sens. Ceci est à double tranchant : comment créer une relation avec ce type de structure.

Les relations avec les politiques

Les relations avec les élus sont une autre facette de l’expérience développée par GR21.

Dans un premier temps, les relations sont polies. Mais GR21 prône un discours politique pour promouvoir l’engagement des entreprises, et l’implication des citoyens, porter l’intérêt général. Sauf que pour intéresser les politiques, Il faut leur permettre de briller. Donc leur proposer des solutions qui facilitent leur communication. Pas simple… Cela dit, sur certaines zones, les politiques s’engagent, par exemple sur la mise en place d’un point d’information.

Les difficultés pour qu’une instance s’approprie l’outil DIESES est un bel exemple. Nos invités précisent pourtant qu’ils ne demandent rien en retour (pas même leurs noms ni celui de leur collectif figurant sur l’outil !). Leur démarche se limite à celle de citoyens qui veulent contribuer, en tant que bénévoles, à une cause nationale qui touche particulièrement leur territoire.

Le dilemme concernant la suite de l’action

Cette présentation fait naître un débat au cours de notre diner : comment structurer la suite de cette action ? A l’évidence, l’approche de GR21 est plus qu’une simple implication de solidarité. Cette démarche est structurée, fait l’objet de propositions concrètes.

Certains participants au diner-débat proposent d’organiser la démarche. L’argument est que la démarche doit faire des petits, doit entrainer un changement de société. Cela pose donc la question du statut (devenir une association avec une personnalité juridique), mais aussi de l’acte politique, toute action de changement sur la société ayant par nature une dimension politique. Mais comment rester apolitique avec de telles ambitions ?

Le débat se déplace donc sur la crise de la société, et le fait que la conjoncture nécessite des mesures fortes. L’approche de GR21 fait naitre une espérance, et donc une responsabilité pour les porteurs du projet.

D’autres participants saluent la démarche citoyenne. S’agit-il d’inventer une nouvelle voie pour la démocratie. GR21 montre l’exemple d’une implication gratuite, où le citoyen se pose la question de sa contribution au bien commun, plutôt que d’attendre une solution toute cuite qui vienne du haut. Dans ce schéma, GR21 se décrit comme une sorte de catalyseur, cherchant à entrainer les différentes parties prenantes de cette question.

Les plus belles réussites

Nous interrogeons nos témoins sur leurs plus grandes satisfactions nées de cet engagement de bénévoles auprès des jeunes. En ce qui concerne l’accompagnement de jeunes, l’une des expressions utilisées par GR21 est celle du diamant brut : les jeunes sont parfois des diamants bruts qui ne demandent qu’à être polis.

Monique nous parle d’un jeune qui décroche. Il est muet, son discours est qu’il est foutu. Direction du lycée, professeur principal, la sœur du jeune homme, elle-même lycéenne, et GR21 se serrent les coudes. Monique se souvient de cette rencontre de 30 mn, occasion de contribuer à le convaincre. Finalement, ce dernier reprendra contact avec son proviseur de lycée. Il a passé son bac avec mention bien, et fait maintenant des études de médecine. GR21 pousse maintenant le frère et la sœur à créer une association des anciens du lycée, pour transmettre leur expérience aux plus jeunes.

Un autre souvenir des personnes qui ont besoin de lever un blocage, pour découvrir qu’ils peuvent à nouveau progresser : une jeune femme, quasi illettrée, apporte un exercice qu’elle a conservé de la primaire et déclare « je voudrais y arriver ». La résolution de cet exercice a été le passage d’un obstacle qu’elle pensait insurmontable et a débloqué ses capacités ; elle pouvait désormais apprendre, progresser.

Un autre exemple concerne un jeune homme lui aussi illettré. Son blocage est qu’il n’avait pas compris la construction et la phonétique des syllabes qui commencent pas une voyelle. Après quelques séances de travail, il écrit un papier : « je pense que je vé lire ».

Sans rentrer dans les détails, ces jeunes qui sortent de l’eau, grâce à des prises en charge individuelles, ont tous eu à souffrir de situations, souvent familiales, très difficiles, de traumatismes, sans que personne dans l’entourage ne leur vienne en aide. Ces témoignages montrent d’ailleurs l’investissement émotionnel. Le fait de ne pas avoir d’attachement personnel avec le jeune crée des possibilités relationnelles que n’ont ni les parents, ni les professeurs. Mais garder la distance n’est pas facile. Dans leurs témoignages, les jeunes disent souvent qu’ils ont manqué de repère. Cela vaut tant pour identifier les limites que pour être guidé dans sa formation. C’est un retour d’expérience très clair pour tous les éducateurs.

Alain nous donne l’exemple d’un pompier volontaire qui est passionné par la mécanique. Il avait arrêté ses études, et ne savait pas qu’une école professionnelle offrait des bac pro à proximité. La mise en contact permet la réorientation, et le redémarrage vers une nouvelle vie.

Bref, des petites attentions, mais de grands changements sur la vie de plusieurs jeunes. C’est la plus grande réussite de GR21. Une réussite qui ne demande qu’à être copiée, étendue par nos lecteurs qui seront marqués par ces témoignages, et décideront de se mobiliser.
Bruno Auger (MP1999)