DINER-DEBAT

avec

Madame Anne-Marie IDRAC (MP 1977)

Secrétaire d'Etat aux transports
18 septembre 1996
" L'Europe, une chance pour les transports français "
 
Madame Anne-Marie Idrac, Administrateur civil hors classe, député des Yvelines, membre de la commission des finances de l'Assemblée Nationale, est Secrétaire d'Etat aux transports depuis le 18 mai 1995. Elle est aussi panglossienne (MP 1977: "Enseignement supérieur et vie professionnelle").

Hotel Hilton, Paris 7

photo n°1 - dd_idrac photo n°2 - dd_idrac (pour agrandir une photo cliquer dessus)
Compte-rendu

En l’an de grâce 1977, Mme Anne-Marie Idrac s’intéressera si fortement à la FNEP qu’elle en devint panglossienne... Des années plus tard, elle se transformait en Secrétaire d’Etat aux transports.

Il n’y a peut-être pas de corrélation stricte entre le fait d’être panglossienne et de devenir Secrétaire d’Etat (NDLR: Les femmes panglossiennes seraient-elles plus douées en la matière que les panglossiens ?), mais Mme Anne-Marie Idrac est restée fidèle à la ferveur qui lui fit découvrir la FNEP, puisqu’elle est l’épouse d’un panglossien et parvint même à insérer dans son parcours professionnel la participation à une mission retour, en 1991, en Guyane. Une fidélité qui vaut la peine d’être soulignée si bien que l’ensemble des participants à ce dîner débat était réellement très honoré par le fait qu’elle ait accepté de bien vouloir consacrer une soirée aux activités du club - d’autant que comme elle nous le déclarerait plus tard en cours de soirée, le problème des femmes en politique « c’est qu’elles ont trois vies à mener de front ».

Une autre caractéristique du parcours professionnel de Mme Anne Marie Idrac doit être soulignée : elle est l’un des rares membres du gouvernement à être en charge des activités d’un ministère au sein duquel elle fit une grande partie de son parcours professionnel. Nommée Administrateur civil au Ministère de l’Equipement, elle fut plusieurs fois conseiller technique, Directeur de l’Etablissement public de Cergy-Pontoise en 1990, avant de devenir Directeur des Transports Terrestres puis Secrétaire d’Etat...et encore Secrétaire d’Etat : elle fut en effet reconduite dans ses fonctions de Secrétaire d’Etat aux transports lors de la formation du deuxième gouvernement d’Alain Juppé en novembre 1995.

Dans le monde politique français réputé peu ouvert à la gent féminine, on peut penser que son prénom et son intérêt pour les transports lui furent bénéfiques : au niveau européen, sur les 15 ministres des transports des différents états membres de l’union européenne, 5 sont des femmes et 3 portent le prénom d’Anne-Marie...

Quelques idées furent offertes à la réflexion des vifs esprits panglossiens avant qu’ils ne se ruent sur le dîner. La question des transports n’est pas uniquement une question de développement des infrastructures : on ne doit pas oublier le développement du service. Ce n’est pas uniquement par la mise en place de schémas d’infrastructures à l’an 2034 - dans lesquelles chacune des 36 000 communes de France serait desservie par une gare TGV, un accès autoroutier et un aéroport multimodal international - que la situation des transports - ou des services des transports français - sera optimale. En ce qui concerne plus précisément l’offre de services, le Secrétaire d’Etat français aux transports regrette que notre pays soit trop peu actif - ou habile - en ce qui concerne l’utilisation des règles du droit communautaire privé - qu’elle reconnaît peu adaptées à « la mentalité et à la culture française », largement marquées par le droit public.

Le développement des infrastructures exige de l’argent, beaucoup d’argent, chose de moins en moins facile à trouver... Pour Anne-Marie Idrac, l’intervention publique reste cependant nécessaire pour des projets essentiels mais dont la rentabilité n’est pas évidente. Au niveau européen, le programme dit «DELORS» de développement des réseaux trans-européens n’a pas encore débouché sur la moindre concrétisation faute de moyens financiers...

Autre sujet difficile dans les réunions européennes sur les transports, la question environnementale qui ne suscite pas des motivations identiques au sein de l’Union Européenne. Que les panglossiens cheminots se rassurent, la Commission européenne est de ce point de vue, plutôt favorable à un développement des chemins de fer. L’avenir du rail est donc assuré et celui-ci n’est pas condamné à une mort lente : le rail a un avenir sur les créneaux qui sont les siens. Mais cette vision optimiste doit être défendue en ayant conscience du fait que la part des transports publics diminue dans le trafic public et que le redressement de la SNCF passe nécessairement par le fait de faire en sorte que « les gens prennent le train ».

La belle question du service public ne met pas non plus les Français en position phare sur les questions des transports : notre approche en ce qui concerne l’organisation et la gestion des «services collectifs» n’est pas très à la mode dans les couloirs de Bruxelles et Mme Idrac considère que les tenants du service public insistent trop souvent sur les questions de forme - le statut, le monopole, les déficits etc... - plus que sur le fond du problème. Allons droit au but, les Français, même lorsqu’ils sont libéraux, sont trop mal à l’aise sur la question de la libéralisation de l’offre des services. Or si Mme Idrac nous rappelle qu’elle ne fait preuve d’aucun dogmatisme en la matière - elle ne considère pas la solution britannique dans le domaine du chemin de fer comme idéale - elle opte pour des solutions libérales tout en reconnaissant la nécessité d’une période de transition afin d’adapter nos organisations. Or le problème semblerait être que les Français, comme les cigales, attendent que la tempête concurrentielle soit venue pour comprendre que la période de transition devait servir à se préparer. Souvent cette période n’est pas exploitée, on ne fait rien ou trop peu et les Français découvrent la veille une libéralisation en fait annoncée depuis un certain temps...Sur ce point, et en réponse à une question, le Secrétaire aux transports nous rassurera sur le devenir d’Air France : il est injuste de parler de fiasco dans le cas d’Air France et les attaques venant des concurrents - notamment nord américains - sont là pour prouver que ces derniers anticipent très bien le redressement de la compagnie aérienne nationale.

Libéralisation signifie concurrence... évidemment, puisque c’est souvent l’objectif (NDLR - est-il bien le seul ? ). La concurrence doit être soutenue, mais le problème à gérer au niveau européen consiste souvent à définir les règles permettant une concurrence loyale. Si les problèmes techniques, fiscaux peuvent être facilement réglés, les questions d’harmonisation sociale sont plus redoutables. Libéralisation ne rime pas non plus facilement avec péréquation tarifaire et aménagement du territoire. Mme Idrac revient à sa conception des transports et des services collectifs : il convient d’abord de répondre à une demande et les expériences d’offres de services «à la demande» - dans le cadre d’expériences menées localement - démontrent qu’il est possible de répondre aux défis posés par des questions qui doivent trouver leur réponse au niveau local, en mettant les sujets sur la place publique de manière pragmatique.

Provocation, nous n’avons pas tous les jours un personnage politique à table alors profitons-en : le message des grèves de 1995 dans les transports publics parisiens ? On oppose sur cette question deux interprétations caricaturales auxquelles Mme Idrac n’adhère pas de manière simpliste : le rejet du modèle libéralo-concurrentiel d’un traité signé dans une ville du nom de Maastricht - ce que Mme Idrac préfère traduire par l’expression d’une angoisse devant l’avenir - et à l’opposé une jacquerie de nantis corporatistes dont Mme Idrac préfère penser que le fait de vivre dans un univers non exposé a suscité et permis une réaction violente sur un problème réel - le financement des retraites des régimes dits spéciaux - dont elle reconnaît qu’il avait été mal posé. Ce conflit est aussi selon le Secrétaire d’Etat, la démonstration flagrante de l’incapacité de la société française à se doter des structures intermédiaires de débat nécessaires à toute évolution.

Alors si Bruxelles n’était qu’un prétexte facile à utiliser pour faire passer des solutions sur lesquelles on veut éviter un débat hexagonal ? Non répond Anne-Marie Idrac, même si cela a pu arriver. Les Français connaissent mal la réalité du jeu institutionnel européen, les règles de majorité etc...Il semblerait aussi que la diplomatie française aurait plutôt tendance à préférer participer à des compromis plutôt qu’à se faire battre.

A propos du Rhin, frontière de deux cultures : pourquoi faire le TGV Paris-Strasbourg plutôt que le Lyon-Turin - dont la rentabilité prévisionnelle dans les deux cas est incertaine ? Parce qu’il s’agit d’une décision de nature politique et qu’il ne faut pas oublier que le percement TGV des Alpes revient en termes de coût à se payer un deuxième tunnel sous la Manche. Comme en convient Mme Idrac, on peut donc y réfléchir à deux fois, d’autant que sur le papier il est facile de jongler avec les milliards.

Une dernière question - bien nécessaire - sur les femmes françaises et la politique ? Une vie politique pour une femme constitue une troisième vie - après la professionnelle, la vie de mère de famille - et le fonctionnement des partis politiques ainsi que le scrutin majoritaire ne favorisent pas les femmes.

En conclusion une soirée riche en nombreuses questions de l’auditoire, parfois un peu techno (les panglossiens lorsqu’ils causent sur les transports européens aiment les questions relatives à la modalité intra-sectorielle dans la transeuropéeanisation des infrastructures dans une logique de réseau ouvert. !.) mais où les propos sociaux et politiques de Mme Anne-Marie Idrac n’eurent pas du tout la tonalité de la langue de bois... ce que l’on ne regrettera pas !
Xavier Delvart (MP 1993)