DINER-DEBAT

avec

Monsieur Gilles JOHANET

Procureur Général près la Cour des Comptes
Mardi 26 janvier 2016
" Missions de la Cour, endettement et financement de la protection sociale "
 
Gilles Johanet (IEP, ENA, Cour des Comptes), haut fonctionnaire, a occupé de nombreuses fonctions au sommet de l’Etat. Directeur de cabinet de Georgina Dufoix au secrétariat d’état à la famille (1981-1983), il est ensuite chargé de mission pour les questions de santé, maladie et retraite auprès de Pierre Mauroy (1983-84), puis directeur général de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie des Travailleurs Salariés (1989 à 1993 et 1998 à 2002). Entre temps, il préside le Centre de écurité sociale des travailleurs migrants, puis devient secrétaire général de la Cour des comptes et directeur du régime social des marins. Entré aux AGF en 2003, il a d’abord été en charge de la branche santé et assurances collectives, puis directeur général adjoint. Lors de la fusion des AGF avec Allianz en 2007 il retourne à la Cour des Comptes. En 2011, il y est nommé président du Comité économique des produits de santé, puis en 2012 procureur général.

Gilles Johanet abordera les thèmes suivants sur lesquels les questions des participants seront les bienvenues :
- description du mode de fonctionnement de la Cour des Comptes pour ses missions de contrôle et d’évaluation, choix des thèmes, évaluation de l’impact des rapports de la Cour, etc.
- endettement de la France et de ses partenaires européens : comment le comprendre et y réfléchir ? Quelles voies d’avenir ?
- financement de la protection sociale : quelle analyse ? Quelles voies d’évolution ?

Bibliographie : Santé : Dépenser sans compter : des pensées sans conter. Santé de France, 1995.

La Terrasse, Cité internationale universitaire, Paris 14

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Compte-rendu

C’est à un véritable feu d’artifice, tout aussi informatif sur le fond qu’éloquent sur la forme, que les membres du Club Pangloss ont pu assister, pour ceux qui avaient pu se joindre à Jean-François Cuvier, président du Club, qui a accueilli Gilles Johanet à ce diner-débat, animé par David Causse, vice-président.

Le premier temps fût celui pris pour faire connaissance avec Gilles Johanet et son parcours très ouvert, à la fois de haut fonctionnaire, grand commis de l’Etat, mais aussi d’ancien cadre dirigeant d’une grande entreprise et, beaucoup plus original dans cet écosystème, écrivain et agitateur d’idées. La réaction du biotope familial à ce jeune lauréat du concours de l’ENA, lui demandant de s’empresser de démissionner car la famille n’avait jamais connu la gêne de comporter un fonctionnaire depuis presque sept siècles, en a ému et aussi amusé plus d’un. Car finalement, la fonction de procureur général de la Cour des Comptes est sans doute une des plus fidèles qu’il soit possible d’imaginer vis-à-vis de ce tropisme familial au sein de l’appareil d’Etat !

C’est Alfred Sauvy et son équipe, et donc la démographie - qui est des sciences humaines la moins inexacte - qui ont conduit Gilles Johanet sur le terrain de l’intérêt général et de la protection sociale, mais avec toute la rigueur chiffrée que cette discipline comporte. La seule comparaison de la densité en Allemagne (240 habitants au km²) et de la France (130 h/km²) est un élément déterminant en soi : Gilles Johanet ponctuera nombre de ses développements de ces repères d’analyse.

Interrogé sur l’efficacité recherchée par la Cour des Comptes pour son rôle de contrôle et d’interpellation, au sein du système public et social, Gilles Johanet a livré quelques-unes de ses lignes directrices :
  • l’intérêt du regard sur la pratique britannique du National Audit Office (NAO), qui est délibérément très sélectif dans ses investigations, concis dans ses rapports et chiffré dans ses recommandations, afin de toujours viser l’essentiel, et un bon rapport coût-efficacité de sa propre mobilisation ;
  • l’attention portée par la Cour à la publication et à la diffusion de ses avis, beaucoup plus largement qu’auparavant, en s’adressant chaque jour plus directement qu’avant au « citoyen et contribuable » ;
  • la préoccupation d’une actualisation sinon d’un réajustement des missions des administrations et agences publiques et sociales, en regard des moyens disponibles effectivement, plutôt que de continuer à afficher des ambitions trop larges et trop peu hiérarchisées, qui ne peuvent plus être réalisées.

En synthèse, Gilles Johanet estime que la France a la chance de disposer d’une terre généreuse et d’un climat favorable, qui nous a accoutumés à la fois à une certaine douceur de vivre mais, insensiblement aussi, à une « addiction à la dépense publique », laquelle se révèle être une funeste habitude en ses temps budgétaires et de croissance très contraints. Là où le piège se referme dangereusement – expliquera-t-il avec plusieurs graphiques ci-après - c’est lorsque l’envolée de la dette publique française peut subitement s’avérer d’un coût prohibitif dès lors que les taux d’intérêt augmenteraient. Et c’est un risque sérieux si un différentiel de croissance s’établit avec d’autres pays, devenant alors plus attractifs que notre pays pour les investisseurs.

  
        (cliquer pour agrandir)

Interrogé sur le terrain très familier pour lui de la protection sociale, Gilles Johanet lance trois interrogations qui conduiront à beaucoup d’échanges entre les participants, même après la récupération de leur manteau au vestiaire :
  • le fait que dans le cadre de notre organisation actuelle, la médecine générale est la seule discipline à ne pas disposer de nomenclature tarifaire, à la différence des autres spécialités, ce qui emporte nombre de conséquences et de dérives pour un système de santé beaucoup trop morcelé et dispersé dans ses politiques de santé publique et d’accès aux soins,
  • le fait que l’accès aux données de santé est beaucoup trop verrouillé à ce jour, pour permettre aux regards innovants - et d’interpellation légitime - de se déployer autant que nécessaire,
  • le fait que la récente décision du Conseil Constitutionnel de censure sur le tiers payant obligatoire, incluant les complémentaires, sera peut-être, au-delà des apparences immédiates, une très bonne nouvelle pour les usagers et les contribuables.

    Là où la généralisation obligatoire était déjà vouée à de nombreuses et farouches oppositions, la situation nouvelle se prête au contraire à une excellente émulation technique et qualitative entre opérateurs complémentaires, pour pouvoir proposer aux patients comme aux professionnels de santé des solutions intégrées et efficaces. Et ainsi, la boucle est bouclée avec la transmission familiale initiale. Cette idée que l’initiative et l’émulation peuvent s’avérer plus appropriées que l’obligatoire et l’univoque. Cette idée que la norme législative et réglementaire n’est pas la seule manière d’être efficace et au service de nos concitoyens – même si elle est parfois un socle indispensable - n’est-elle pas pleinement fidèle à la confidence initiale de Gilles Johanet dans ce diner-débat ? L’addiction à la dépense publique, ne serait-elle pas amplifiée par une addiction à la norme, fût-elle largement inappliquée ? Gilles Johanet invite ainsi chacun d’entre-nous tout autant à l’esprit critique et à l’initiative qu’à l’introspection.
David Causse (MP1994)