DINER-DEBAT

avec

Monsieur François LACÔTE (MP 1977)

Senior Vice-Président, en charge de la Direction Technique, Alstom Transport
Jeudi 10 mai 2007
" TGV, métros, tramways, les grands défis technologiques et commerciaux des transports guidés ; histoire d'un record de vitesse "
 
François Lacôte est Ingénieur des Ponts et Chaussées (Ecole Polytechnique et Ecole Nationale des Ponts et Chaussées). En 1971, il est affecté à la Direction Départementale de l’Equipement du Doubs en tant que responsable des études de développement urbain et de la programmation des grands équipements du département.

Il entre à la SNCF en 1974 et occupe, entre 1974 et 1981, divers postes de direction d’établissements de maintenance du matériel roulant. En 1981, il rejoint la Direction du Matériel comme responsable des programmes locomotives et automotrices, puis, à partir de fin 1982, comme responsable des programmes TGV.

A ce titre, il a dirigé les études et la réalisation des générations successives de TGV et a dirigé la campagne d’essais qui a permis d’établir un record du monde sur rails à 515,3 km/h, le 18 mai 1990. Directeur du matériel, de juillet 1990 à avril 1997, il a la responsabilité de la totalité du domaine relatif au matériel roulant (matériel neuf et maintenance – 100 établissements et 25 000 employés). Il est ensuite nommé Directeur du Développement International puis Directeur de la Recherche et de la Technologie (avril 1997 à novembre 2000).

En novembre 2000, il rejoint le Comité de Direction d’ALSTOM Transport où il occupe actuellement la fonction de Senior Vice Président, en charge de la Direction Technique.

François Lacôte a 59 ans, marié avec quatre enfants, et ses centres d’intérêt incluent la voile, le ski et la musique.

Cercle Militaire, Paris 8

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Compte-rendu

Après quelques mots nous rappelant ses brillants débuts à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, puis à la DDE du Doubs, François Lacote nous indique que nous sommes là pour parler du TGV. Il en a suivi le tout début à la SNCF, piloté le record de 1990 et participé activement à celui de 2007.

Le TGV

Le TGV est né d’un partenariat entre la SNCF, son concepteur et Alstom (à l’époque Alsthom) son fabricant, mais c’est maintenant Alstom qui en a l’entière maîtrise.
Le TGV n’est pas un train ! C’est un système global de transport imaginé et développé par la SNCF.

Le train est indéformable : Cela a imposé des contraintes d’exploitation inédites et en particulier rendu obligatoire les réservations.
Mais cette caractéristique permet:
· de concevoir une architecture globale du train ;
· de réduire le nombre de bogies, en les plaçant entre deux wagons (les bogies présentent 40 % de la traînée aérodynamique du train) ;
· d’apporter une grande sécurité (le TGV nord a déraillé suite à un effondrement de la voie en 1993 à 300 km/h sans aucun blessé. Il a arraché tout le ballast sur plus de 1 km sans se coucher).

Les voies sont réservées aux TGV
Cette idée permet d’utiliser la puissance installée pour obtenir la vitesse pour passer des pentes plus fortes que sur les voies classiques et ainsi optimiser le parcours et réduire les ouvrages d’arts, donc les coûts de construction.

Le TGV, c’est maintenant quatre types de trains :
· le TGV Sud Est, sorti en 1972, exploité entre 270 et 300 km/h ;
· le TGV Atlantique dont les études ont commencé en 1982. Il a été mis en service en 1989 et battu le record de vitesse à 515,3 km/h en 1990. Il est exploité à 300 km/h. Il fonctionne sur Thalys et Eurostar. Il a apporté plus de confort et des aménagements d’espace plus variés ;
· le TGV Duplex qui apporte 40 % de capacités supplémentaires à coût identique. C’est de cette famille qu’est issu le TGV Est qui a battu le record à 574,8 km/h ;
· enfin, Alstom travaille sur l’AGV qui permettra une certaine modularité et pourra être exploité jusqu’à 350 km/h. En répartissant la puissance sur les wagons, il n’y a plus de motrice. Donc à longueur identique, ce train offrira 30 % de capacité en plus qu’un Thalys.

Histoires de records

En 1990, le record visé était de 420 km/h ; à la SNCF, on pensait que 400 km/h auraient suffi ; les techniciens d’Alstom pensaient que 450 km/h étaient faisables. La vitesse atteinte a été de 482,4 km/h. Ce qui limitait la vitesse, c’était le captage de l’électricité, parce qu’à cette vitesse, le train rattrapait l’onde de déformation de la caténaire. La ligne a donc été modifiée, ce qui a permis d’atteindre la vitesse de 515,3 km/h.

En 2007 la vitesse visée était de 555 km/h. A l’essai 555,5 km/h ont été atteints. Il y a eu de la pression pour battre le record japonais du train magnétique à 580 km/h, mais à cette vitesse, le TGV serait à la merci d’un défaut de commutation. En outre, lors d’un autre essai la perte d’un enjoliveur a endommagé le bas de caisse et imposé un freinage d’urgence. Le record est médiatisé et il faut tutoyer la limite sans la franchir. Pour rouler à 574,8 km/h, ce sont 31 000 V et 800 A qui passaient sur une seule bande de contact.

La concurrence

La concurrence est vive, notamment avec les japonais. Ils ont été pionniers de la grande vitesse avec le Shinkansen qui roulait dès 1964 à 210 km/h. La SNCF pour rivaliser arrivait à faire rouler le Paris-Toulouse à près de 200 km/h. Un train à grande vitesse peut s’implanter avec succès à chaque fois que :
· il y a une volonté politique forte, parce que cette solution de transport va structurer le pays ;
· le flux de passager est important ;
· le niveau de vie est élevé ;
Ces conditions sont réunies sur le marché chinois qui présente le défi des nombres : les chinois veulent faire en cinq ans ce que l’Europe a mis 20 ans à réaliser.
Les partenariats sont de plus en plus difficiles à réaliser car les chinois veulent maintenant avoir une complète maîtrise de leur développement.

La concurrence magnétique est une impasse. Cette solution a été explorée à la fin des années 60 par les japonais et les allemands pour dépasser le cap des 250 km/h qui paraissait infranchissable sur rail. Mais la solution magnétique n’apporte en fait pas d’avantage sur le rail car au delà de 350 km/h, le bruit est essentiellement aérodynamique :
· avec 12 mm d’entrefer, les contraintes de réalisation de la voie et de suspension sont supérieures ;
· le roulement fer/fer offre une très faible résistance à l’avancement qui ne présente pas de handicap pour le rail.
Surtout, la compatibilité avec les réseaux existants, les gares, est impossible. La réalisation d’un aiguillage magnétique est extrêmement complexe.

La solution des trains pendulaires est complémentaire, mais pas alternative. Ils peuvent rouler 20 % plus vite qu’avec un train classique. Ainsi une ligne pendulaire sur Paris-Lyon permettrait de passer de 4h en train classique à 3h30 en train pendulaire, ce qui ne se compare pas aux 2 h d’un TGV.

Le rail reste promis à un grand avenir : la capacité de transport du RER A est équivalente à celle d’une autoroute de deux fois 5,6 voies !
Par rapport à l’avion, un TGV consomme 30 fois moins d’énergie pour atteindre sa vitesse de croisière ! Avec la montée des préoccupations énergétiques, c’est un sérieux atout.

Alstom

Alstom est leader mondial dans les métiers de l’énergie et du transport. En matière de transport, l’entreprise non seulement développe et fabrique les matériels roulants, mais c’est également un leader mondial en matière de signalisation et d’infrastructures (réalisation de la LGV entre la Manche et Londres, …).
L’entreprise fait et pour le moment tient le pari de réaliser des transferts de technologie vers les clients, ce qui est nécessaire aujourd’hui pour signer des marchés, et en même temps de continuer la recherche pour faire la course en tête. Ce choix est ambitieux comme Alstom consacre 2 à 3 % du chiffre d’affaires à l’effort de recherche, tandis que la marge n’est que de 6 %.
Alstom transport est très connu pour le TGV, mais l’entreprise remporte également des succès dans les tramway et les métros : métro automatique de Singapour, tramway de Bordeaux qui après des débuts brocardés par la presse (à ce moment là, le taux de disponibilité était de 98 % et il est aujourd’hui de 99,9 %), tramway en Australie, … ; ou encore les locomotives : la chine vient de passer une commande pour 500 locomotives (les plus puissantes jamais fabriquées). Alstom a réussi jusqu’à présent à maintenir ses capacités de production sur leurs sites historiques en France et en Europe. Cette prouesse est permise par l’avance technologique, mais aussi par un effort important d’automatisation et mécanisation de la fabrication. Siemens a la même démarche, mais Bombardier commence à céder aux demandes pressantes des clients en matière de prix.
François-Xavier Dugripon (MP2004) et Jean-François Cuvier (MP1975)