DINER-DEBAT

avec

Monsieur Bernard PERRET

Rapporteur général du conseil scientifique de l’évaluation des politiques publiques (CSEPP)
16 novembre 1993
" L'économie contre la société "
 
Bernard Perret, né le 28 juillet 1951, est ancien élève de l'École Polytechnique et de l'École nationale de la statistique et de l'administration économique (ENSAE). Il est ingénieur et socio-économiste. Nommé administrateur de l'INSEE en 1976, il a été adjoint au chef du département des statistiques du ministère de la Santé et de la Sécurité sociale entre 1976 et 1980, puis chef du bureau de l'informatique à la direction du budget du ministère de l'Économie et des finances. Entre 1983 et 1984, il est conseiller technique au cabinet du secrétaire d'État chargé de la Santé, puis responsable des projections sectorielles à l'INSEE en 1984 et 1985. Il occupe le poste chef du bureau emploi et salaires à la direction de la prévision du ministère de l'Économie et des finances de 1987 à 1989. Il est ensuite rapporteur général du Conseil scientifique de l'évaluation des politiques publiques depuis 1990.

Il est enseignant à l'Institut catholique de Paris, et chroniqueur au journal La Croix dont il dirige le service économique et social du quotidien La Croix entre 1985 et 1987. Il est membre du comité de rédaction de la revue Esprit. Ses thèmes de recherche portent sur l'évaluation des politiques publiques, les indicateurs sociaux et de développement durable, la sociologie et l'anthropologie économique, le travail et l'emploi, les questions sociales, la gestion publique, l'épistémologie, les questions spirituelles et religieuses.

L'Économie contre la société (avec Guy Roustang), Seuil, 1993

Hotel Hilton, Paris 7

Compte-rendu

Nous étions une trentaine autour de notre intervenant, d’horizons très divers mais tous convaincus d’une même idée : le chômage est désormais omniprésent, que faire pour maintenir la cohésion de notre société ? Et le dîner a reflété cette mobilisation de nos esprits : de nombreuses questions ont été posées, qui se sont très vite accompagnées d’une sorte de partage d’expériences.

Bernard Perret a tout d’abord cherché à nous faire partager son analyse des causes et de l’évolution du chômage. Le chômage ne peut être dissocié des questions d’intégration dans la société, et donc des mutations sociologiques qui accompagnent l’évolution de celle-ci. Notre société évolue vers une société de services, dans laquelle les gains de productivité sont moins aisés à obtenir (moins en tous cas que dans une société industrielle), et où il est fait de plus en plus appel à des financements collectifs. En même temps, ces activités de service impliquent des changements de comportement : les qualifications requises ne sont plus les mêmes, elles demandent d’autres qualités individuelles auxquelles les individus ne sont pas préparés par l’école et la formation professionnelle, comme l’autonomie et en même temps la capacité de travail collectif.

La déstructuration progressive du travail (il n’y a plus d’unité de lieu, de temps...) fait en plus que le monde du travail est de moins en moins facteur d’intégration sociale. Au total, l’évolution de notre société coûte cher financièrement, les individus y sont mal préparés d’où une spirale vicieuse qui entraîne chômage et désocialisation progressive.

Bernard Perret se démarque des théories américaines, essentiellement fondées sur des concepts économiques, comme celle de Sauvy, articulée autour de l’idée que le progrès social ne peut être destructeur d’emploi.

Trois questions pourraient guider notre réflexion :
• Ne faut-il pas rechercher un meilleur équilibre entre les «espaces de socialisation» ? C’est-à-dire permettre aux individus d’avoir une vie équilibrée entre le travail, la famille, les activités associatives.
• L’évolution des techniques et celle des besoins de la société n’ouvrent-elles pas davantage le champ des possibilités ? Ainsi par exemple la décision d’aider les personnes âgées, dépendantes - ou non - recouvre-t-elle de multiples choix quant aux modalités de l’aide et à leur traduction socio-économique ?
• Ne faut-il pas inventer la reconnaissance d’autres formes de travail, correspondant à notre société tertiaire plutôt qu’à notre passé industriel ?

Des pistes de solution ont été évoquées :
• Un new-deal européen (cf. l’article d’Edmond Malinvaud dans Le Monde invitant à relancer la machine économique au niveau européen à l’aide de grandes dépenses, en particulier d’infrastructures).
• Le partage du travail, sous des formes favorables à l’équilibre des individus, en s’appuyant sur une organisation répondant au mieux aux besoins sociaux, d’où l’idée d’un partage du travail sur toute la vie : pourquoi ne pas instaurer plus de progressivité dans « l’entrée » en retraite ?
• D’où l’idée également de réformer le service national pour l’ouvrir à un « service civique » étendu et allongé dans le temps.
• D’où l’idée enfin d’élargir encore la notion en vogue actuellement de chèque-service, qui pourrait devenir un nouveau moyen de paiement de toutes sortes de prestations et porteur de solidarités sociales.

Nous sommes repartis avec beaucoup de questions ou plutôt d’interrogations en tête. Le but n’était d’ailleurs pas de trouver des solutions toutes faites. L'une d'elles, peut-être pas très originale et qui a été au centre d’un article d’Alain Lebaube dans Le Monde début décembre, mais qui paraît essentielle est : quelle valeur peut-on à l’avenir donner au travail ?
Marie-Hélène Poinssot (MP 1989)