DINER-DEBAT

avec

Monsieur Bernard RAMANANTSOA

Professeur en stratégie, doyen du corps professoral et de la recherche du groupe HEC
20 septembre 1994
" La stratégie des entreprises : une pratique ou un discours ? "
 
Né le 26 novembre 1948 à Mulhouse d'un père malgache et d'une mère française, il est le neveu du général Gabriel Ramanantsoa, président de la République malgache entre 1972 et 1975. Il effectue ses études en France. Après ses classes préparatoires scientifiques au lycée Sainte-Geneviève, il intègre SupAero (major de promotion) en 1971. Il effectue ensuite un MBA à HEC Paris en 1976, à l'ISA, et sort major de sa promotion. Il obtient en 1987 un DEA de sociologie, en 1991 un doctorat en sciences de gestion à l'université de Paris-Dauphine et en 1993 un DEA d'histoire de la philosophie à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.

Parallèlement à ce cursus universitaire, il entre en 1979 dans le groupe HEC Paris comme professeur permanent, après plusieurs années effectuées en tant que professeur vacataire, et est nommé doyen du corps professoral et de la recherche du groupe HEC.


Hotel Hilton, Paris 7

Compte-rendu

Portant beau, le professeur Bernard Ramanantsoa a illuminé la soirée des panglossiens attirés par cet intitulé aguicheur grâce au brillant, aussi divertissant que décapant, avec lequel il a discuté cette grave question. L’orateur aura même réussi le tour de force de contenter tous les goûts, en se partageant entre le récit d’anecdotes et la formulation de questions.

Une anecdote donc, pour commencer. A l’occasion d’une diversification découverte en lisant la presse, mais oubliée par la courte mémoire de votre rapporteur, le professeur Ramanantsoa flaire « le cas » qui défie toutes les règles, et qui, accessoirement, pourrait servir à l’édification de ses futurs étudiants. Tout à sa ferveur scientifique, notre aimable professeur sollicite et obtient une audience auprès du président Lény, l’heureux auteur d’un exemple si original, l’illustre dirigeant qui, sans le savoir encore, est tout prêt d’accéder au dernier panthéon des patrons : la littérature stratégique. Et le président ne déçoit pas le professeur : deux heures durant, Bernard Ramanantsoa entend Jean-Claude Lény faire l’étalage de son génie, à grand renfort de matrices et de toutes les autres techniques d’analyse stratégique dont notre jeune professeur sait la pertinence mieux que personne puisqu’il les enseigne à longueur d’années.
Le résultat ne se fait pas attendre. M. Ramanantsoa est heureux. Il jubile même : « Le cas dépasse toutes ses espérances. Qui sait même s’il ne lui permettra pas de rénover tout un pan de l’analyse stratégique classique ? ». Malheureusement notre professeur a la mauvaise idée de décrocher son téléphone le jour où, deux ou trois semaines plus tard, s’essaie à le joindre un collaborateur du président Lény. Et après avoir dûment décliné sa qualité d’agent subalterne des grandes manoeuvres de l’industrie mondiale, celui-ci a l’outrecuidance de demander : « Alors, comment s’est passée votre entrevue avec notre président ? ». Le professeur Ramanantsoa se récrie, s’offusque : « Voyons, Monsieur, je ne saurais... ». Mais le fâcheux ne se laisse pas démonter : « Ne vous emportez pas. C’est tout simple, je vais vous expliquer. Voici quelques semaines, le président Lény cherchait lequel de ses cadres avait suivi vos cours. Le hasard a voulu que ce soit mon cas. Le président Lény m’annonça donc que vous lui aviez demandé un entretien, et me demanda de lui préparer quelques fiches sur votre enseignement, vos idées, vos angles d’attaque des problèmes, vos techniques d’analyse stratégique... Enfin vous voyez ce que je veux dire. Alors, ça s’est bien passé ? ».

Alors la stratégie, mythe ou réalité ? Mais comment, poursuit l’orateur, discuter du problème ? Et puis d’abord de quelle stratégie parle-t-on ? De la stratégie secrète, qu’affectionne Ambroise Roux ? De la stratégie des brochures sur les plans stratégiques ? De la stratégie rabâchée aux managers par leurs dirigeants ? La stratégie servirait-elle donc à « motiver » ? Alors stratégie secrète ou stratégie de plaquette ? Et quid des « processus stratégiques » ? La stratégie serait-elle processus ? Mais qu’est-ce qu’un « processus » ? N’est-ce pas, demande l’orateur, un alibi ? L’alibi controuvé d’un vide... stratégique ? Et puis, qu’est-ce que la capacité stratégique ? Comment se comprend le comportement stratégique ?

Peut-on éviter l’analyse des différentes cultures stratégiques ? Mais les cultures d’entreprises suffisent-elles ? Les cultures nationales ne sont-elles pas aussi importantes ? Les grandes manoeuvres japonaises n’en sont-elles pas la preuve ? Mais comment savoir s'il s’agit là de stratégies voulues ? Comment savoir si tel succès est le fruit d’une stratégie ? Et puis, comment enrichir les techniques d’analyse stratégique ? Comment prouve-t-on qu’une stratégie est une stratégie ? Ne faut-il pas se tourner vers la théorie des jeux ? Ne faut-il pas aussi s’intéresser à la sémiotique ? La stratégie n’est-elle pas signe en définitive ? Quid alors du rapport entre stratégies militaire et d’entreprise ?

Mais le panglossien n’est-il pas déjà bien fatigué ? Et le rapporteur n’a-t-il pas le droit de se coucher ? Le lecteur réclame encore une question, une dernière question, comme dans les dîners-débats. Alors la stratégie, mythe ou réalité ?
Jean Gatty (MP 1987)