DINER-DEBAT

avec

Monsieur Willy ROSENBAUM

Professeur de maladies infectieuses et tropicales
Octobre 1994
" Sida enjeux et perspectives :
stratégie de lutte globale "
 


Hotel Hilton, Paris 7

Compte-rendu

Le Sida est une maladie récente (non pas un virus nouveau mais un virus nouvellement reconnu) sur laquelle il est nécessaire de commencer par quelques rappels historiques. La maladie est découverte en 1981 aux USA, en raison d'un dispositif de surveillance des maladies sexuellement transmissibles plus développé qu'en Europe. Les modalités de transmission de la maladie sont connues dès 1982 et l'idée virale est émise à la même date grâce à la collaboration existant entre les différents organismes de recherche (on a souvent tendance à oublier cette collaboration…). On estime que 15 millions de personnes sont contaminées dans le monde actuellement dont 1 million aux USA et environ 0,9 million en Europe. Les prévisions sont contradictoires : 40 millions en l'an 2000 pour l'O.M.S., mais entre 100 et 120 millions pour l'école de santé de Harvard. Le Sida est la première cause de mortalité à New-York (1 homme sur 7), une des premières en région parisienne (1 sur 15 à 1 sur 20). La France table cependant sur une stabilisation du nombre de nouveaux cas en 1995.

Le Sida est devenu une maladie dont le développement est extrêmement imbriqué aux problèmes sociaux : initialement maladie dite des "loisirs" selon certaines analyses socio-médicales, touchant une population plutôt "riche", le développement actuel du Sida tient essentiellement à l'accroissement de la pauvreté, da la précarisation et de l'exclusion sociale. Ce clivage social dans les sociétés développées se retrouve au niveau planétaire : l'Afrique, continent le plus pauvre est déjà et sera de loin le continent le plus touché en l'an 2000.

Sur le plan médical, le Sida doit être qualifié de maladie chronique dont le traitement peut maintenant durer 10 ans, voire plus.

Les réponses : la prévention et les traitements par une prise en charge médicale rapide. Or ces deux réponses se heurtent à des contraintes financières et sociales dans l'ensemble du pays.

Revenons sur les contraintes sociales : pour W. Rozenbaum, la prévention en matière de sexualité se heurte à de nombreux tabous car, dans nos consciences, la prévention procède implicitement d'une "anticipation sur la culpabilité". Pour se préserver la quasi totalité des français sait maintenant ce qu'il faut faire, amis seulement 35% mettent ce "savoir" en pratique. En France on parle trop de la gestion du risque du Sida sans parler des situations dans lesquelles ce risque est présent, à savoir des situations de plaisir. En conséquence de quoi, tout discours catastrophique sur le sujet n'est pas "recevable" par les populations ciblées.

En matière de toxicomanie, la France se caractérise incontestablement par un retard considérable dans toute l'approche sociale du problème : la diffusion des produits de substitution reste en France confidentielle.

Le vaccin n'est pas une solution pensable à court terme : il n'y a plus de recherches privées en raison de prévoir une rentabilisation à court terme des efforts de recherche. Les laboratoires se sont ainsi désengagés. Par ailleurs il y a dans le domaine de la recherche plus de coopération que de concurrence et on ne peut de toute façon, malgré tous les efforts de coopération entre les différents organismes, empêcher une certaine duplication des efforts de recherche.

La réponse actuelle à la maladie ne peut être que globale et sociale : le problème du Sida n'est pas un problème de carence de la technique médicale. Pour traiter le Sida il est indispensable que le malade reste socialement intégré : en France la tolérance sociale à l'égard des séropositifs, bien qu'en recul, reste plutôt satisfaisante. Le rôle des médecins de ville est fondamental, mais ils ne le jouent pas assez, parfois faute de moyens. L'hôpital n'est pas organisé pour répondre à la dimension sociale de la maladie : l'hôpital est un lieu multidisciplinaire qui ne peut répondre qu'à l'ensemble des problèmes médicaux. par contre le Sida est une véritable spécialité qu'on n'a pas voulu reconnaître comme telle : on a ainsi refusé la création de services spécialisés, mais dans les faits 85% des malades de 20 services spécialisés de l'Assistance Publique sont atteints par le Sida (rappel : actuellement 700 des 18000 lits disponibles de l'assistance publique sont occupés par des malades atteints du Sida).

En France les moyens consacrés à la maladie ont été estimés à 3 milliards de francs par le Ministère de la Santé. Il y a déclin de l'effort depuis 1992. Le véritable problème consiste à savoir si on répond aux besoins posés par une maladie comme le Sida : la véritable responsabilité de l'État consiste à engager les patients dans des circuits adaptés de la médecine et à les faire soigner sachant que la modification des traitements thérapeutiques entraîne un accroissement de la demande de soins. Or on voit actuellement des gens mourir de façon illégitime parce qu'ils sont entrés trop tard dans le système de soins. Les gens ont trop peur de se déclarer séropositifs par crainte de l'exclusion sociale (on ne peut plus contracter une assurance, avoir un prêt, etc.… alors que l'on a peut-être encore 10, 15 ans à vivre). On sait maintenant repousser certaines des complications graves de la maladie mais trop de malades entrent encore trop tardivement dans le système de soins.

En conclusion le professeur Willy Rozenbaum a voulu nous transmettre ce message fondamental : le Sida ne peut être soigné uniquement par des médicaments (on n'a jamais résolu un problème médical par des médicaments). Il pose un véritable problème social, auquel il faudra répondre autrement, par une approche globale et notamment la prévention, car nous sommes appelés, encore pour longtemps, à devoir vivre avec la présence de cette maladie.
Xavier Delvart (MP 1993)