DINER-DEBAT

avec

Monsieur Pierre VELTZ

Directeur Général de l’Etablissement Public Paris Saclay
Mardi 6 mars 2012
" Le Grand Paris : urbanisme, architecture, réseau de transport, politique de la ville et de la recherche "
 
Quel est le concept de ville-monde, quelle(s) réalité(s) cache-t-il ? Quelles sont ces villes-monde ? Quelle est la place de Paris dans ce concert ? Quelle est l’évolution de ces cités ?

Pourquoi mettre en œuvre une politique de recherche et développement de la région capitale ? Comment le faire ? Que peut attendre Paris, la région francilienne, voire la France toute entière d’un tel développement ? Que se prépare-t-il sur le plateau de Saclay, un des épicentres de la recherche francilienne ?

Polytechnicien, ingénieur général des Ponts et Chaussée, Pierre Veltz a été chercheur, directeur de la recherche puis directeur général à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, avant de diriger l’Institut des Hautes Etudes de Développement et d’Aménagement des Territoires Européens. Il participe depuis le début à l’aventure du développement de la région capitale, d’abord au Secrétariat d’Etat puis à l’Etablissement Public Paris Saclay dont il est actuellement le directeur général.

Chez Jenny, Paris 3

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Compte-rendu

Le 6 mars dernier, le Club accueillait Pierre Veltz. Polytechnicien, ingénieur des Ponts et Chaussées, Pierre Veltz a été chercheur, directeur de la recherche puis directeur général à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, avant de diriger l’Institut des Hautes Etudes de Développement et d’Aménagement des Territoires Européens. Il participe depuis le début à l’aventure du développement de la région capitale, d’abord au Secrétariat d’Etat à la région capitale et aujourd’hui à l’Etablissement Public Paris Saclay dont il est le Président Directeur Général.

L’EPPS, créé par la loi du 3 juin 2010 sur le Grand Paris intervient sur 49 communes des Yvelines et de l’Essonne. Il est chargé d’assurer la cohérence et la qualité de l’aménagement de ce territoire, ainsi que de réaliser un certain nombre d’opérations.

Avant d’aborder les détails du projet Grand Paris, il est utile de préciser le concept de ville-monde. En effet le Grand Paris est souvent associé à la compétition entre les villes-monde. Encore faudrait-il préciser ce que recouvre cette notion de ville-monde.

On constate à l’échelle mondiale une urbanisation de plus en plus importante, qui s’accompagne d’une montée des classes moyennes, notamment en Asie, et de la capacité marchande qu’elles représentent, cette capacité constituant aujourd’hui le principal moteur de la croissance mondiale. Par ailleurs, le monde s’organise de plus en plus autour de grandes régions urbaines, qui sont les « hubs » de la mondialisation. Ces centres urbains sont en inter-relation. Ils échangent horizontalement entre eux autant qu’ils sont en compétition entre eux, en constituant une structure en archipel qui se superpose à la structure des Etats et des Etats-Nations. La mondialisation va de pair avec une polarisation sans précédent. Les 10 premiers centres urbains mondiaux regroupent 4% de la population mondiale, génèrent 40% du PIB mondial et sont à l’origine de 80% des innovations.

Et Paris dans ce contexte ? Paris fait partie des 4 premières villes-monde avec New York, Tokyo et Londres. Mais son développement est jusqu’à aujourd’hui davantage orienté vers l’espace national : que vers la compétition mondiale. De plus l’aménagement du territoire à la française a une vieille tradition de brider la croissance parisienne, considérée comme excessive, voire parasitaire ; ce qui risque à moyen terme de fragiliser sa place dans la compétition. Le projet de Grand Paris a pour objectif de renverser ce paradigme, de replacer Paris dans la compétition mondiale et d’en faire la locomotive du développement de la France.

Pour cela Paris dispose d’atouts considérables. En particulier, l’image mondiale de la capitale française est très bonne, même si elle est souvent biaisée par rapport à la réalité. C’est la première ville universitaire du monde par le nombre de chercheurs (45000). La région parisienne est aussi, globalement, une zone de très forte productivité. Mais le taux de croissance y est inférieur à celui de Londres. Paris est très attractif pour les jeunes, mais passé 25 ans, le solde résidentiel avec les autres métropoles françaises se détériore rapidement. Il faut donc retenir les habitants « productifs » à Paris. Cela passe largement par le logement et le transport. Il faut améliorer sensiblement et rapidement ces secteurs.

Le plateau de Saclay, plateau essentiellement agricole proche du cœur de la capitale et qui accueille divers centres de recherche (CEA, INRA, CNRS, grandes écoles, université scientifique, …représentant près de 15 % de la recherche française) aussi bien que les centres de R&D de grandes entreprises (Air Liquide, Renault, Safran, Thalès, Danone, etc.), concentre un potentiel considérable. Mais on observe des interactions très faibles entre ces divers acteurs.

Un premier objectif est de fédérer les structures de recherche et d’enseignement, en particulier pour les écoles, qui n’ont pas la taille critique pour concurrencer les grandes universités mondiales. La décision très importante qui a été prise est de créer l’Université de Paris Saclay, regroupant tous les acteurs scientifiques du plateau, capable de rivaliser avec les grands centres mondiaux.

Ensuite, il faut favoriser les connexions et le travail en réseau entre le pôle universitaire et les entreprises. Pour cela des structures d’accueil des créateurs d’entreprises puis des entreprises en croissance doivent être mises en place. C’est dans ce cadre, qu’EDF installe son centre de recherches sur le plateau.

Enfin, l’aménagement et l’accessibilité du plateau doivent être considérablement améliorés afin de créer un cadre de vie attractif pour les enseignants, les chercheurs et les étudiants. Tout cela reste à faire. Le projet se cristallise autour du projet de métro Grand Paris Express dont une ligne desservira le plateau à partir d’Orly et de La Défense. Ce moyen de transport public associé aux dessertes locales en cours d’amélioration et de diversification autorise la création de quartiers autour de centres universitaires. Sont ainsi envisagées deux « villes » d’environ 10 000 habitants.

Question : A votre avis l’ENA doit-il intégrer le pôle universitaire du plateau de Saclay ?

Ce n’est pas le sujet. Il s’agit avant tout de prendre position dans la compétition mondiale scientifique et technologique, de sortir de notre système actuel en tuyaux d’orgue, de réduire les coûts. Il faut se fédérer, se rassembler, travailler en réseau, en transversalité. Bien que disposant du plus grand nombre de chercheurs dans le monde, Paris n’est pas visible, les conditions d’accueil pour les étudiants étrangers y sont décriées. Par ailleurs dans la perspective d’asseoir les centres universitaires et de recherche français, la circulaire sur l’emploi des immigrés qui limite considérablement les possibilités d’accueil des doctorants, est un signal très négatif.

Question : N’est-ce pas d’abord une question de gouvernance ?

Bien sûr, il faut mettre en place une gouvernance efficace. Le système des grandes écoles françaises n’est pas optimal. L’université de Paris Saclay ne marchera que si on dépasse les structures actuelles. Il est absolument nécessaire d’évoluer aussi bien au niveau de l’Université que des communes, du logement. Actuellement par exemple, l’aménagement du campus exige la modification de 5 PLU (plans locaux d’urbanisme), sous compétence communale. Ceci illustre l’extrême complexité à laquelle la gouvernance actuelle contraint. Pour faire le Grand Paris, il est indispensable de modifier cette organisation, de la simplifier, de la moderniser, de la rendre efficace.

Question : Comment cette évolution peut-elle se faire ?

Le problème essentiel est l’étroitesse des territoires de gouvernance. Cette situation favorise les « nimby » qui s’opposent à toute évolution. Elle favorise également le mitage dans les zones périurbaines, chaque territoire cherchant un développement propre au détriment du développement collectif. C’est une question majeure pour l’aménagement urbain. L’éparpillement du pouvoir foncier entraîne l’éparpillement du pouvoir économique et nuit à l’efficacité. On pourrait envisager d’élaborer les PLU à l’échelle des intercommunalités plutôt que des communes. En tout état de cause, il faut envisager de traiter le droit des sols à une échelle plus large.

Question : Qu’est-ce qui empêche de réformer le Code de l’Urbanisme ?

Toutes les tentatives de PLU intercommunal ont jusqu’ici échouées. Il faut garder en mémoire que le pouvoir foncier entraîne un pouvoir économique considérable. Les Opérations d’Intérêt National (OIN), comme celle qui existe sur le plateau de Saclay permettent de créer des ZAC (Zones d’Aménagement Concerté) à l’initiative de l’Etat mais ce sont des outils juridiques relativement faibles, car ils doivent respecter les PLU existants.

Question : Quel est, dans ces conditions l’apport des CDT (Contrat de Développement Territorial) créé par la loi sur le Grand Paris ?

Le Grand Paris est organisé autour d’un réseau de transport collectif rapide appelé Grand Paris Express. Issu d’une concertation longue et d’un accord entre l’Etat et la Région, ce réseau est constitué de deux boucles desservant l’ensemble de la petite couronne, les aéroports, le plateau de Saclay. Sa longueur est voisine de 150 km et il est doté de 54 gares. Il doit rapprocher les franciliens. Il dessert des territoires que l’Etat souhaite organiser en clusters de développement. Le Contrat de Développement Territorial est, dans ce cadre, un contrat entre l’Etat et les communes qui organise l’aménagement urbain autour des gares du réseau Grand Paris Express. C’est un nouvel outil dont la valeur juridique est forte – il s’impose aux PLU, aux SCOT et même au SDRIF – et qui permet d’envisager l’urbanisation à une échelle cohérente. Il est issu de la concertation entre les parties. On observe, par exemple dans le cas du Grand Roissy, un début d’organisation de la gouvernance à une échelle adaptée. Dans la CDT la notion d’intérêt général est garantie par l’Etat. Le cas de Saclay est spécial, la loi du grand paris ayant fixé un calendrier particulier, et le CDT étant dissocié des gares. Nous envisageons deux CDT, l’un au sud du plateau pour l’aménagement de la zone du campus, l’autre à Versailles Saint Quentin en Yvelines.

En conclusion, Bruno Auger remercie Pierre Veltz pour son intervention qui permet de donner du sens au grand Paris, de le situer dans la compétition mondiale. Le débat autour de la gouvernance est passionnant. Il reste à construire cette nouvelle gouvernance aussi bien à l’Université que dans le Grand Paris. Notre société doit évoluer pour rester dans le concert mondial.
Jean-François Chauveau (MS 1994)