PETIT-DEJEUNER DEBAT

avec

Monsieur Jean-Paul BAILLY

Président du groupe La Poste
Mercredi 13 décembre 2006 (8h30-10h)
" La Poste : compétition et modernisation "
 
Diplômé de l’Ecole Polytechnique et du MIT, Jean-Paul Bailly est Président du Groupe La Poste depuis 2002. Il a consacré l’intégralité de sa carrière au Service Public en participant, auparavant, au management et à la direction de la RATP de 1970 à 2002 ; il y a assuré, notamment, les fonctions de Directeur du Département du matériel roulant autobus, de Directeur du Métro et du RER et de Directeur du Personnel. En 1990, il est nommé Directeur Général Adjoint, puis Président Directeur Général en 1994. Dans ce cadre, il a mis en place un dispositif d’« alarme sociale », visant à favoriser le dialogue avec les organisations syndicales et réduire la conflictualité dans l’entreprise. Entre 1997 et 2001, il assume parallèlement la Présidence de l’Union Internationale des Transports Publics (UITP). Membre du Conseil Economique et Social depuis 1995.

Dans un environnement de plus en plus concurrentiel, La Poste est engagée dans une compétition de plus en plus vive marquée notamment par la dérégulation progressive du courrier.
La Poste a donc engagé d’ambitieuses actions de développement et de modernisation dans l’ensemble de ses activités.
Comment tous ces projets peuvent-ils être mis en œuvre dans une entreprise publique employant près de 300 000 personnes ?
Comment rendre compatibles la poursuite de la compétitivité et le maintien d’un niveau satisfaisant de « service postal » ?
Est-il possible de marier, à une échelle aussi importante, la volonté d’efficacité et le maintien de valeurs humanistes ?

Bibliographie
Les Entretiens de la Mémoire de la Prospective, (par Philippe Durance), Février 2006, 15 p.

Hôtel Bedford, Paris 8

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Compte-rendu

Petit déjeuner organisé par l'Association des Cadres Dirigeants de l'Industrie pour le progrès social et économique (ACADI) et le Club Pangloss

Présentation générale de La Poste
La Poste est à la fois le service public le mieux connu des Français (avec ses 100 000 facteurs et 17 000 points de contact, dont 1 500 en zones urbaines sensibles, et 24 millions de livrets A, elle assure un véritable lien social et une couverture territoriale) et l'entreprise française la plus méconnue de ces mêmes Français.
C'est ainsi que le président Bailly a introduit ses propos sur le thème " La Poste : compétition et modernisation ".
Spontanément, quand ils rencontrent son président, même les grands clients de La Poste parlent plus volontiers du bureau de poste du lieu de leur maison de campagne que de l'industrie postale. En fait " l'usine est cachée ! "
La Poste est l'une des 20 premières entreprises françaises et " représente 1% de la France " : 1% du PIB, 1% de l'emploi. De même la répartition hommes/femmes est la même que celle de l'ensemble du pays (50,5%). Les Français pensent que La Poste vit de l'argent du contribuable alors qu'elle dégage des résultats positifs avec des revenus pour l'Etat (impôt sur les sociétés notamment). Elle doit donc trouver son équilibre entre la dynamique industrielle et le service public.
Sur un chiffre d'affaires légèrement supérieur à 20 milliards d'euros en 2006, 11 milliards sont réalisés par l'activité courrier (" navire amiral de La Poste "), 4,5 milliards par le colis et l'express qui sont les activités les plus internationalisées et 4,5 milliards par la Banque Postale. Seul 30% du chiffre d'affaires global est réalisé hors concurrence par le courrier adressé de moins de 50g. 70% de l'activité est donc réalisée sur un marché concurrentiel, face à des entreprises comme DHL ou FedEx par exemple.
90% du chiffre d'affaires courrier est réalisé avec des clients industriels, très concentrés et dont les contrats s'élèvent à quelques centaines de millions d'euros ; les 50 premiers clients représentant 40% du chiffre d'affaires global de La Poste. Les 10% de courrier émis par le grand public se répartissent entre celui vers les entreprises (7%) et celui de particulier à particulier (seulement 3%). Ce dernier segment, le plus " visible du public ", génère moins de chiffre d'affaires que le premier grand client.
En termes d'emploi, sur 280 000 collaborateurs, 180 000 sont des fonctionnaires et 100 000 sont des salariés de droit privé. En 2010-2011, la bascule se fera et les salariés seront alors plus nombreux que les fonctionnaires. Il n'y a ni statut particulier du postier ni régime de retraite spécifique.

Situation en 2002
Jean-Paul Bailly rappelle la situation qu'il a trouvée lors de son arrivée à La Poste en 2002 :
* pas de vision ni de projet,
* pas d'alliés pour porter un projet,
* organisation lourde et complexe, très descendante, héritage d'une organisation administrative territoriale, une structure peu responsabilisante,
* culture du dialogue, mais beaucoup moins de l'accord.
C'est pourquoi il a d'abord mis toute son énergie sur la construction d'un projet, d'une ambition avec la mission, pour toute la ligne hiérarchique, de " faire descendre le sens des choses " et faire en sorte que chaque postier ait un projet. Il a voulu mettre en mouvement toute l'entreprise et faire ainsi du mouvement la référence ; tous les postiers sont dans au moins un projet et le mouvement crée de l'espace, de la motivation et de l'initiative. Le mode projet devient le mode de gestion de la complexité et la condition nécessaire à l'innovation. Il a ainsi restructuré l'entreprise par métiers, avec des infrastructures séparées, car il est difficile de mutualiser des flux différents. Les 5 niveaux hiérarchiques ont été réduits à 3 (national, territorial et par établissement).
Le projet a été rapidement construit avec le comité exécutif, puis expliqué aux dirigeants avec leur implication pour la mise en œuvre. Jean-Paul Bailly rencontre environ 10 000 cadres par an.

Le Courrier
Les difficultés sont les suivantes :
* la substitution électronique est de plus en plus importante,
* les flux et les volumes sont en décroissance,
* La Poste est en retard dans ses investissements en automatisation.
Pour la rénovation du Courrier, il n'y a pas eu de fermeture " sèche " d'établissement , mais des études d'impact sur les territoires et l'emploi d'une redistribution des effectifs et tâches, annoncée puis mise en œuvre. Les centres de tris sont modernisés, progressivement regroupés au voisinage des grandes agglomérations et des nœuds et axes routiers, ferroviaires et aéroportuaires, et équipés de machines de tri très performantes (40 000 lettres/heure).
Le métier change et d'achemineur, devient " intégrateur de processus de contact avec ses clients ". La Poste devient intégrateur de la logistique d'information et de la relation client des entreprises (aujourd'hui 1€ payé à La Poste correspond à 3 € payés par l'entreprise). Par exemple La Poste gère des fichiers d'adresses et les retours pour les grands clients, et cette activité de service, qui ne représente encore que 25% du CA du courrier, est un gisement de CA et de marges.

Le Colis et l'Express
La Poste détient 12% du marché européen de ce segment très international (deuxième place européenne derrière la poste allemande qui en détient 19% et devant la poste néerlandaise qui est à 10%). 2 milliards de chiffre d'affaires sont réalisés à l'international, dont la moitié en Allemagne. L'Express est une activité essentiellement (à 90%) B2B1 alors que le Colis reste plutôt du B2C2 (à 90%) domestique, en fort développement avec le e-commerce.

La Banque Postale
Elle est l'avenir des bureaux de poste : 70% de l'activité des bureaux est financière. " La Banque Postale est bien née " nous confie JP Bailly, bien que le projet ait été plus complexe à lancer que le passage à l'euro et celui de l'an 2000 réunis.
Elle est actuellement dans la recherche de partenariats pour pouvoir offrir du crédit à la consommation et de l'IARD3.

Le Réseau
Au départ la taille du réseau (17 000 points de contact) a été considéré comme un fardeau, et a donné lieu à une tentative de réduction qui s'est soldée par un échec. Ensuite la proximité a été considérée comme un atout, notamment en zone rurale " quand tous les autres sont partis ". Une re-dynamisation du réseau a été accomplie en adjoignant aux activités postales des activités commerciales en partenariat avec EDF/GDF, la SNCF, les cartes de téléphone, des services à la personne. Le réseau développe des franchises : 4 000 bureaux sur 17 000 sont aujourd'hui dans des mairies ou des commerces. Et ce système convenant à tout le monde (90% de satisfaits avec notamment avec une disponibilité de 35 à 70 heures/semaine au lieu de 9h/semaine), les syndicats finissent par l'accepter. Par exemple en octobre 2006, 150 nouveaux points de contact franchisés ont été créés.
La proximité est un atout à condition de savoir l'exploiter. Jean-Paul Bailly fonde beaucoup d'espoir sur les services à la personne. Les atouts de La Poste sont :
* la confiance et la performance,
* le savoir faire en matière de fichiers et de plate-forme,
* le paiement via le CESU de La Banque Postale.

Résultats économiques
Sur le plan financier, entre 1990 et 2001, La Poste n'a ni gagné, ni perdu d'argent. Pendant cette même période, la poste allemande a gagné 10 milliards d'euros et racheté DHL.
En 2002, La Poste a été à l'équilibre. Depuis elle est bénéficiaire :
2003 : 150 millions d'euros
2004 : 350 millions
2005 : 500 millions
2006 : plus de 600 millions
Pour 2006 le résultat d'exploitation s'élève à 4% du CA quand les postes les plus performantes sont à 8%. La Poste devrait atteindre cet objectif en 2010.

Questions/réponses
Le E.Commerce et livraison en ville
Les tendances du marché du e.commerce sont les suivantes :
* les grands de la VAD connaissent des difficultés,
* le dégroupage s'accélère, la livraison se faisant de plus en plus directement du producteur au consommateur. Cette désintermédiation et la multiplication des livraisons entraînent des livraisons de plus en plus légères et rapides, ce qui crée une opportunité pour La Poste.
La Poste va développer l'utilisation de véhicules électriques, de nouveaux systèmes de livraison sur rendez-vous pour éviter les échecs dus aux absences des clients (développement des secondes présentations), de consignes automatiques (Cityssimo), et l'utilisation de SMS pour avertir de la livraison.

La dérégulation et les facilités essentielles
La Poste n'envisage pas, comme EDF ou la SNCF, de séparer les activités opérationnelles des infrastructures. La facilité essentielle est l'accès à la distribution.
Le modèle américain
L'USPS est une " non profit business ". C'est la seule poste dont le seul objectif est l'amélioration constante de la productivité. Cela est rendu possible parce qu'elle a le monopole de la distribution et qu'elle réinvestit ses résultats dans ses process.
Le modèle européen
Dans le domaine du courrier, il y aura une compétition de bout en bout, depuis la gestion des données (adresses) jusqu'à la distribution.
Les nouveaux entrants sur le marché postal seront des low cost avec :
* une distribution non quotidienne,
La segmentation se fera par le bas (sortie du monopole). La segmentation par le haut est déjà en place (par ex. l'express). Les postes historiques devraient rester sur leur marché historique/domestique, tandis que devraient apparaître un à deux opérateurs alternatifs. Les alliances ne seront possibles qu'entre opérateurs alternatifs.

La presse
* La Poste perd 500 millions d'euros par an sur l'activité presse, qui représente 5% des revenus, 10% des flux et 30% du poids du total du courrier.
* Les tarifs sont très bas : le prix d'une lettre de moins de 20g est de 0,54 euro, alors que celui d'un journal, de 50 à 100g, est de 0,25 euro.
* La qualité de service est très bonne : la livraison à J+1 est de 82% pour le courrier et de 97% pour la presse.
Des synergies seront recherchées avec les NMPP notamment.

Un exemple de modernisation
La gestion immobilière : La Poste a créé une foncière pour gérer ses 4 milliards d'actifs immobiliers, équivalant à 10% du patrimoine immobilier de l'Etat. Ce système performant suit une logique de marché et applique la réalité des prix (locatifs). Il pourrait être suivi par l'Etat.

Relations entre la CNP et la Poste
La Poste est actionnaire de la CNP (Caisse Nationale de Prévoyance) par l'intermédiaire de Sopassur. Il n'y a pas eu de concentration ni d'alliance entre les postes européennes mais des fonds d'investissements ont pris des participation dans des postes ayant des marges de progrès (poste belge) ou déjà rentables (poste danoise). Il y a des projets de prises de position comme opérateur alternatif low cost chez les voisins.

En conclusion, Jean-Paul Bailly pense que s'il existe des freins syndicaux, politiques et économiques, La Poste a également une capacité de mouvement extraordinaire.
Christine Ecuyer (A2004)
1 B2B = Business to Business
2 B2C = Business to Customer
3 IARD = Incendies, Accidents, Risques Divers