MINI-MISSION A L'ETRANGER
Costa Rica, Decembre%202016
Le Costa Rica en 2016

Introduction, Ambassade de France A comme Armée C comme Contrepoint D comme Développement Durable E comme éducation - énergie - Environnement, Eau, électricité, Effractions G comme Gastronomie H comme Histoire S comme Stabilité politique T comme Tourisme, Trafic U comme Urubu

Prétendre obtenir en dix jours une vision du Costa Rica qui ne tombe ni dans les clichés paradisiaques d’un pays idéal pour les touristes, ni dans une vision critique d’un environnement annoncé comme préservé, tels étaient les risques rencontrés par les rédacteurs de ce compte-rendu de mission. Cette oscillation entre deux visions qui pourraient s’opposer est sensible dans ces écrits qui, cependant, témoignent tous d’un profond intérêt pour le Costa Rica.

Ce compte-rendu est présenté sous forme de glossaire et, de « A comme Armée » à « U comme urubu », le Costa Rica nous est apparu comme une nation tout à fait spécifique au cœur de l’Amérique centrale.

L’ouragan Otto nous avait précédés de quelques heures, bouleversant notre programme et nous privant de rencontres qui avaient été organisées avec des responsables politiques et administratifs (la vice-présidente du pays, des ministres et un directeur de parc national). Nous avons cependant pu rencontrer monsieur l’ambassadeur de France, son épouse, ainsi que la présidente de la chambre de commerce franco-costaricienne. Nos échanges, très riches et ouverts, ont à peine été perturbés par un tremblement de terre.

Tout comme de précédentes mini-missions à l’étranger du Club Pangloss (Syrie, Jordanie etc.), notre séjour au Costa Rica est un témoignage supplémentaire de l’intérêt de ces voyages qui contribuent à enrichir la vie collective et « l’esprit Pangloss » : voir ensemble, vivre le mieux possible ensemble, analyser ensemble mais avec des approches personnelles, rédiger ensemble, proposer et projeter des idées sur un sujet sortant un peu de l’ordinaire.

Participants
Michel Barrot (MS 1991)
Guy Berman (MP 1973) et Michèle
Thierry Courtiol (MP 1983)
Alain Dubail (MS 1993) et Sylviane
Anne Ferrer-Villeneuve (MP 2003)
Anny Golfouse (MP 1986)

Pierre Hilbrandt (MP 2011)
Nicole Hirsch-Triquart (MP 1972)
Pierre-Yves Landouer (MP 1984), Line Le Gall
Roger Moiroud (MP1979)
Chantal Moiroud (amie 2003)
Patrick Schwartzmann (MP 1971) et Dominique




Echanges avec Monsieur l’Ambassadeur de France, Thierry Vankerk-Hoven : Costa Rica, Janus bifrons de l’Amérique centrale
Accueillie par Thierry Vankerk-Hoven, ambassadeur de France au Costa Rica, Alexandre Barbellion et Nathalie Beaume, vice-président et directrice de la Chambre de commerce et d’industrie franco-costaricienne, la mission Pangloss a pu échanger sur ce pays qui sait cultiver son image internationale de carte postale green, démilitarisée, à la stabilité politique étonnante dans le tropisme de l’Amérique centrale. Il apparaît néanmoins des questionnements croissants sur la soutenabilité de son développement économique dans un contexte politique peu propice aux réformes structurelles, dont le besoin apparaît pourtant flagrant, en matière de contrôle des trafics illégaux, d’infrastructures débordées par les flux de transports, d’assainissement ou encore de lutte contre la pollution.

Né le 29 mai 1955, l’ambassadeur de France au Costa Rica, Thierry Vankerk-Hoven, est diplômé de l’Institut d’études politiques, ancien élève de l’École nationale d’administration, promotion "Solidarité". Conseiller des Affaires étrangères hors classe il a occupé des postes en administration centrale (relations culturelles, scientifiques et techniques de 1983 à 1985, a été sous-directeur de l’Europe occidentale et nordique de 1993 à 1998, a été membre de la mission ministérielle sur les Pays Émergents, en 2006 et a été directeur adjoint de la coopération militaire et de défense de 2006 à 2010, puis directeur adjoint de la Coopération de sécurité et de défense de 2010 à 2016) et à l’étranger (premier secrétaire à Mexico, 1985-1988, deuxième conseiller à Kuala-Lumpur, 1988-1990, premier conseiller à Londres, 1990-1993, ministre conseiller à Madrid, 1998-2002, consul général à Boston, 2002-2005). Il est ambassadeur de France au Costa Rica depuis septembre 2016.

L’ambassadeur Vankerk-Hoven a d’abord souligné dans son propos, la singulière stabilité politique du Costa Rica, réelle atypie dans cette zone géographique, en la mettant en perspective avec ses difficultés croissantes de gouvernance face aux enjeux et réformes à mener.

L’ancienneté du régime démocratique du Costa Rica contraste avec le Guatemala, le Honduras, le Salvador et le Mexique qui connaissent des perturbations résultant du narcotrafic, des trafics d’armes et d’êtres humains. Ces pays pâtissent de l’emprise structurelle de ces trafics qui a progressivement miné les fondements de la stabilité étatique. Préservé par l’efficacité de ses forces armées, le Nicaragua n’est pas touché sur son territoire et son organisation étatique n’est pas affaiblie par la puissance des cartels. En revanche, le Panama et le Costa Rica s’avèrent menacés par la contagion que représentent les narcotrafics.

La stabilité institutionnelle costaricienne qui perdure depuis 1948, résulte paradoxalement d’un coup d’Etat, quand José María Hipólito Figueres a établi un nouveau cadre constitutionnel en contestant le résultat d’élections qu’il considérait comme irrégulières. La Constitution alors promulguée reste en vigueur et définit l’identité du Costa Rica, notamment à travers sa mesure la plus symbolique : la dissolution des forces armées pour sanctuariser les économies budgétaires qui en résultent et les redéployer dans les secteurs considérés comme fondamentaux que sont l’éducation et la santé. Le Costa Rica se distingue aujourd’hui d’ailleurs par la performance de sa couverture sanitaire, moyennant des hôpitaux et équipements sanitaires de haut niveau. En matière d’éducation, la proportion d’analphabétisme s’avère négligeable et le pays offre un système scolaire et universitaire parmi les plus performants d’Amérique latine.

Si le système politique a correctement fonctionné depuis 1948, il tend à arriver en bout de course. Le système bipartisan costaricien, qui reposait sur le Parti libération nationale et le Parti unité sociale chrétienne, s’est fragmenté par scission, en de nouveaux partis, comme le Parti action citoyenne de Luis Guillermo Solis, élu président en 2014. D’autres partis constituent le nouveau spectre politique du Costa Rica, du Frente amplio agrégeant à gauche les mouvances communistes, trotskiste, et socialisme, jusqu’à la mouvance libertarienne, à droite et autres partis populistes. Cet abandon du bipartisme pour le multipartisme complexifie la vie politique interne du Costa Rica.

Par ailleurs, la brièveté du mandat du président, élu pour 4 ans, est accentuée par l’interdiction constitutionnelle de se représenter pour un second mandat immédiatement successif. Il pourra se représenter ultérieurement une dernière fois. Le président du Costa Rica est doté d’importants pouvoirs (sans premier ministre) mais il doit composer avec un Parlement où naissent des majorités de circonstance, qui ne constitueront donc pas forcément un soutien à la politique présidentielle. L’histoire et les relations interpersonnelles architecturent davantage les clivages politiques costariciens que la césure traditionnelle gauche/droite. Cette logique prépondérante de contrepouvoirs exacerbés pose un souci de gouvernance au président, qui n’est pas assuré d’avoir une majorité au parlement et donc de disposer d’une réelle capacité à faire adopter des lois et à mettre en œuvre des réformes substantielles.

Les débats actuels portant sur l’amodiation de la Constitution, démontrent une prise de conscience et un consensus émergeant, pour mettre un terme au blocage politique et économique actuel, qui est préjudiciable pour l’engagement des réformes de structure attendues et à une gouvernance étatique efficace.

L’ambassadeur Vankerk-Hoven a ensuite mis en exergue la qualité des relations bilatérales France/Costa Rica, qui permet à la fois de porter conjointement des valeurs identiques sur la scène internationale et de développer des synergies économiques intéressantes, malgré des difficultés structurelles que le Costa Rica devra dépasser.

La France bénéfice d’une excellente image au Costa Rica. Elle constitue un pays de référence, de longue date, notamment grâce à l’influence du lycée franco-costaricien, qui a joué un rôle déterminant dans la formation des élites depuis 50 ans. Les élites costariciennes actuelles sont venues se former en France. La fille du Président de la République suit ses études au lycée français et la Ministre de l’éducation a fait les siennes à Montpellier. Cette proximité élective et culturelle facilite la réforme de modernisation du lycée français, de même que l’homologation des diplômes entre les deux pays et les échanges universitaires. Le Costa Rica est d’ailleurs le seul pays d’Amérique latine à avoir instauré un enseignement obligatoire du français dans les écoles. Il dispose en outre d’un statut d’observateur au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie.

Le Costa Rica partage les mêmes valeurs, principes et couleurs de drapeaux que la France. L’héritage des Lumières, la défense des droits de l’homme sont des préoccupations analogues des deux pays, le Costa Rica ayant même précédé de 80 ans, l’abolition française de la peine de mort. La coopération portant sur la défense de l’environnement et la lutte contre le réchauffement climatique a constitué un axe fort lors de la COP21 qui s’est déroulée à Paris. En matière de relations économiques internationales, le multilatéralisme est défendu conjointement par les deux pays. Les relations franco-costariciennes s’expriment néanmoins dans le cadre intégratif et structurant de la relation américano-costaricienne qui reste prépondérante. Historiquement, le Costa Rica a été un terrain d’entrainement des contras, par la CIA, pendant la révolution sandiniste et de nombreuses collaborations stratégiques perdurent. Un accord de libre-commerce entre les deux pays a été conclu à l’issu d’un débat clivant dans le pays et d’un référendum au résultat serré. La Chine apparaît enfin de plus en plus présente au Costa Rica, tant culturellement (par l’apprentissage du chinois) qu’économiquement.

Le Costa Rica est candidat à l’adhésion à l’OCDE depuis un an et demi, ce qui implique de répondre à une vingtaine de panels (transparence de la fiscalité, compétitivité, procédures, législation etc.). En cas de succès, il rejoindrait le Mexique et le Chili, seuls membres sud-américains ayant adhéré à ce jour. Les difficultés de gouvernance politique évoquées supra pénalisent cependant l’avancement de cette démarche itérative et la Colombie pourrait adhérer à l’OCDE avant le Costa Rica.

Cette adhésion implique notamment des trains de réformes propices au développement économique du pays. Le paquet fiscal en est le point central avec plusieurs projets de lois qui ne pourront probablement pas être adoptés au cours de la mandature Solis. L’introduction d’une véritable TVA, l’encadrement des dépenses publiques notamment par l’encadrement des rémunérations des fonctionnaires, la réforme de l’impôt sur le revenu sont autant de sujets indispensables pour assainir durablement les comptes publics qui ne cessent de se détériorer. Si le processus progresse lentement, des avancées sont néanmoins visibles à travers le management du secteur bancaire vers davantage de transparence et moyennant une lutte structurée contre la fraude. Ce volontarisme est indispensable pour permettre une politique efficace contre les trafics, notamment de stupéfiants, et plus largement, pour tarir le financement et le blanchiment de ces trafics illégaux.

Néanmoins, au-delà de ces réformes systémiques incontournables, d’autres axes politiques doivent être développés pour répondre à des besoins fondamentaux des costariciens, insuffisamment pris en charge, et surtout garantir un écosystème favorable aux investisseurs étrangers.

Le développement des infrastructures apparaît ainsi indispensable car les réseaux vieillissants ou inexistants (routes, ports, postes de frontières à moderniser) sont perturbés par un engorgement systématique. Le problème des transports publics à San José et plus largement dans l’ensemble du pays, impose d’engager des infrastructures lourdes et des investissements assumés à la fois par les municipalités mais surtout par le ministère des transports. Alors que des embouteillages quotidiens perturbent les grandes agglomérations et induisent une forte pollution, le Costa Rica semble peiner à générer des projets d’ampleur et à les exécuter. ALSTOM a proposé la construction d’un tramway, sans que le dossier n’aboutisse.

Le traitement des eaux a de même fait l’objet de propositions d’aménagement de la part de VEOLIA, car seuls 20% des eaux usées sont traités à ce jour. A nouveau aucune décision n’est effective, ce qui est contraire à l’image green véhiculée par le Costa Rica.

Tous ces projets majeurs supposent des ressources conséquentes et sont conditionnés par des prêts de la banque d’Amérique centrale, car la situation des finances publiques s’est dégradée ces dernières années.

Le produit national brut costaricien est de 61,43 milliards de dollars en 2013, soit un PIB par habitant de 12 900 dollars en 2013, ce qui est proche du Mexique et de la Malaisie. La dette publique progresse de 43,9 à 46,3% du PIB de 2015 à 2016 (prévisionnel), ce qui participe de la baisse de note accordée par l’agence Moody’s au Costa Rica.

L’économie costaricienne est résiliente, avec un taux de croissance de 3% en 2015 contre 5% en 2012. Elle est poussée par la consommation des ménages et par des investisseurs actifs.

Une douzaine de zones franches contribuent à développer les exportations du pays et l’accueil de grands groupes internationaux. Le centre de services partagés de Procter & Gamble se développe en proposant une nouvelle activité de supply chain, la production de dispositifs médicaux et de dispositifs médicaux implantables représente 2,2 milliards de dollars en 2015, IBM a installé son programme d’intelligence artificielle WATSON, le centre de services partagés de Publicis emploie 200 personnes assurant le traitement comptable de la paie du groupe. En avril 2015, ESSILOR a racheté un distributeur d’optique et ses 140 points de vente pour 70 millions de dollars. Newrest dispose du monopole de fourniture des plateaux repas de Copa Airlines. Téléperformance a ouvert un centre d’appel de 1 000 personnes.

Au-delà de ces implantations réussies, le coût de la vie reste très élevé, avec des prix fréquemment proches des prix français, une main d’œuvre qualifiée mais onéreuse, ce qui hypothèque l’installation de nouveaux investisseurs. Certaines entreprises, comme VINCI, s’inquiètent en outre du respect de leur charte de déontologie avant de venir s’installer au Costa Rica. Le développement du tourisme est favorisé par les pouvoirs publics car ce secteur est la première source de ressources du pays, avec une image de marque internationale valorisante de défenseur de la biodiversité (51% du pays est une forêt). Il existe cependant aussi une face cachée, à travers la gestion insuffisante des villes, celle des déchets et des transports. Une agriculture très productiviste, focalisée sur la production de bananes, de café et d’ananas, détériore la nappe phréatique et les cours d’eau du pays.

Economie émergente et prometteuse d’Amérique Centrale, le Costa Rica est considéré comme une démocratie robuste et stable. Sa capacité à valoriser ses atouts naturels et à les préserver, tout en développant une stratégie de diversification économique, doit s’adosser à un fonctionnement institutionnel plus efficace et plus efficient, pour offrir des perspectives et des opportunités d'affaires aux entreprises françaises et autres investisseurs internationaux.

A l’issue de cette présentation, l’ambassadeur Vankerk-Hoven a convié la mission Pangloss dans sa résidence, pour permettre une rencontre avec les investisseurs français installés au Costa Rica et avec d’autres personnes ressources locales, susceptibles d’offrir un regard complémentaire aux membres.
Anne Ferrer-Villeneuve (MP 2003)